« Dans la rencontre amoureuse des regards, dans la fulgurance de l’événement, l’infiniment petit domine l’infiniment grand. L’éphémère capture l’éternité », Daniel Bensaïd, Walter Benjamin - Sentinelle messianique - A la gauche du possible (Plon, 1990).
Daniel Bensaïd (1946-2010) est décédé ce mardi 12 janvier matin. Je suis triste.
Daniel était pour moi un « grand frère » en matière politique et intellectuelle. Sans lui, je n’aurai pas fait ce parcours difficile qui m’a conduit de la famille socialiste (1976-1992) à la LCR (un rapprochement fin 1997 se traduisant par une adhésion en 1999), et aujourd’hui au NPA. Sans lui, je n’aurai pas découvert la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin. Deux de ses livres m’ont alors tout particulièrement ouvert de nouveaux horizons philosophiques : Walter Benjamin - Sentinelle messianique - A la gauche du possible (Plon, 1990) et Le pari mélancolique (Fayard, 1997). Ces interférences benjaminiennes nous avaient conduit à écrire ensemble un texte qui devait beaucoup à ses analyses : « Le travail intellectuel au risque de l’engagement » (revue Agone, n°18-19, 1998 [1]). Il avait l’humanité et l’intelligence médiatrices.
C’était aussi un ami et un camarade.
Je pouvais lui faire part de mes divergences intellectuelles et politiques (il faut dire que je n’étais ni « trotksyste », ni même « marxiste »...), voire exprimer publiquement des critiques de certains de ses écrits, sans que cela n’affecte le rien du monde ni l’amitié, ni la camaraderie militante.
Il avait une élégance éthique et une fraternité joyeuse.
Avec lui disparaît un des derniers grands intellectuels-militants, figure qui a tant marqué historiquement le mouvement ouvrier (avec les Proudhon, Marx, Rosa Luxemburg, Jaurès...), et qui a peu à peu disparu sous les doubles coups de butoir de la spécialisation du travail intellectuel et de la désintellectualisation de la gauche.
La maladie n’entamait pas sa joie de vivre et son espièglerie. Il maintenait un horizon utopique radicalement autre en politique, mais cela ne l’empêchait pas de vivre pleinement chaque instant, chaque rayon de soleil.
Son autobiographie nous invitait à Une lente impatience (Stock, 2004), enracinée dans l’immanence de notre présent mais reliée aux fils de la mémoire et aux possibilités de l’à-venir.
Respect et mélancolie, Daniel, le combat et l’amour continuent...