HOMMAGE À DANIEL BENSAÏD
Dimanche 24 janvier – 14 h – Mutualité – 24 rue Saint Victor Métro Maubert Mutualité
Le décès de notre camarade Daniel Bensaïd a suscité beaucoup d’émotion et y compris au-delà des frontières.
Le NPA remercie les organisations, les partis politiques et associations, les militants, les personnalités, les intellectuels, tous ceux et toutes celles qui nous ont fait parvenir des témoignages de sympathie.
Un hommage militant sera rendu à Daniel Bensaïd le dimanche 24 janvier, à partir de 14h, au Théâtre de la Mutualité.
Daniel Bensaïd
Daniel Bensaïd est mort mardi 12 Janvier. Intellectuel et militant, c’était le fondateur et un animateur inlassable de la revue Contretemps. Auteur de nombreux ouvrages et articles [1] dont Marx l’intempestif (Fayard, 1995), il a contribué à faire vivre l’héritage de Marx et Engels à rebours des orthodoxies d’État ou de Parti.
Lancé en 2001, le projet initial de Contretemps visait à s’inscrire dans la dynamique de renouvellement des mouvements sociaux en tissant des liens entre engagement militant et recherches universitaires ; entre la génération formée dans l’effervescence des années 1970 et la nouvelle formée dans le contexte de la contre-réforme libérale ; entre les controverses nationales et les recherches internationales ; entre les marxismes et les sociologies critiques.
Après vingt-deuxnuméros thématiques parus entre 2001 et 2008 et dont l’intégralité sera prochainement disponible en ligne, un nouveau dispositif articulant revue papier et publication web a été lancé à l’automne 2008 [2] à l’occasion de la fusion avec la revue théorique de la LCR, Critique Communiste. Fidèle à l’exigence de penser le monde comme totalité pour le changer, cette revue était conçue comme un outil de réflexion visant à donner un contenu à l’anticapitalisme. Pour Daniel, ce fut un moment de passage. Soucieux de préserver l’interaction féconde entre les développements de l’analyse critique et l’action politique, il s’agissait pour lui de soutenir l’émergence d’une nouvelle équipe d’animation aujourd’hui à pied d’œuvre.
La disparition de Daniel nous attriste profondément. Il s’agit d’une perte considérable pour la revue, pour les marxismes et, plus largement, pour les pensées critiques.
Nous vous proposons de relire trois articles récemment écrits par Daniel. Le premier, Puissances du communisme [3], a été publié dans le n°4 de la revue papier, en vue des rencontres organisées les 22 et 23 janvier prochain à l’université Paris 8. Le second, « Keynes et après ? » [4], est consacré au retour de Keynes et lui offre l’occasion de revenir sur l’étonnant exercice de politique fiction auquel se livre Trotski à propos de ce que pourrait être le communisme aux Etats-Unis. Le troisième, « terreurs et violences » [5], retrace les débats sur la violence révolutionnaire et sur le « terrorisme » dans l’histoire du mouvement ouvrier.
Vous pouvez également télécharger la première partie de la préface de Daniel Bensaïd au texte de Marx sur les crises publié par les éditions Demopolis [6], lire le chapitre « Un plan d’urgence face à la crise » [7] du livre d’Olivier Besancenot et de Daniel Bensaïd, Prenons Parti publié par Les éditions Mille et une nuits ou encore lire en ligne l’ouvrage publié avec Charb Marx mode d’emploi [8].
L’équipe de Contretemps
Camarades
C’est avec une grande tristesse qu’Alternative libertaire et ses militant-e-s
ont appris le décès de Daniel Bensaïd. Au-delà de nos divergences idéologiques,
nous tenons à saluer la mémoire d’un militant et d’un intellectuel
révolutionnaire qui a mis sa vie au service du combat contre l’exploitation et
l’oppression. Ses travaux ont également contribué à faire vivre et à renouveler
la pensée émancipatrice. Ils sont une source d’enseignement et d’inspiration
pour toutes celles et ceux qui militent pour une rupture révolutionnaire.
Partisan d’un marxisme non dogmatique, ouvert aux idées libertaires il restera
un exemple pour le dialogue et la confrontation entre courants
révolutionnaires. Nous adressons à ses camarades du NPA, ses amis et ses
proches nos sincères condoléances.
Alternative libertaire, le 13 janvier 2010
12 janvier 2010 — 30 mai 1431
SA MERVEILLEUSE VIE
EN MORT S’ÉCHAPPANT
La trogne de l’évêque était penchée sur moi comme dans un verre grossissant, qui donnait à sa couperose une dimension de fluvialité sanguine. J’ai vu tournoyer casques et hallebardes. J’ai vu tourbillonner la foule et les chevaux. Une seconde, quelques centièmes peut-être. Le temps de passer de l’autre côté du miroir.
Tu as beau t’y attendre. T’y être préparée. La mort, tu crois l’avoir fatiguée, enveloppée, apprivoisée, à force de la frôler, toujours plus près, d’une caresse de la hanche.
Soudain, tu ne t’appartiens plus. Ça flanche en toi, et ce n’est pas toi. Tu appartiens à ce grand vide qui se creuse en toi. A ce vertige qui vrille la tête. A cette faiblesse soudaine des muscles, à cet abandon du corps.
Les comètes qui traversent le ciel de l’Histoire sont pressées. Jésus, Saint-Just, Guevara… Comme si leur énergie se consumait plus vite. Comme si elles devaient tout donner en une saison. On ne saurait les concevoir tièdes et rassasiées.
Tu n’étais pas faite pour durer.
Peut-être valait-il mieux finir jeune et bien portante, que vieille et grabataire. _ D’une brève flambée que d’une longue maladie. La difficulté était non seulement de connaître la mort et d’y aller, mais d’y aller, en la connaissant, comme si je l’avais ignorée.
Par acquiescement, non par résignation.
De prendre congé de ces muscles souples et forts, de ce grain de peau voué à la cendre, de ce corps inassouvi d’avoir si peu servi. De vivre avec moi-même, dédoublée, comme avec une ombre. De ne pas oublier une seconde le dénouement sans pour autant me laisser vaincre à petit feu, avant même qu’il ne soit l’heure.
Ce moment d’acquiescement, de révolte épurée de tout ressentiment, de colère lavée de toute trace de mépris, fut ta dernière épreuve et ta plus grande grandeur.
L’insoumission sans mépris. Le refus sans ressentiment.
L’anéantissement en toi du ressentiment et du mépris.
Ce moment d’acquiescement, non de résignation.
Non de mépris, mais de sainte colère.
J’ai appris à vivre ce qu’il me restait de vie, journée après journée, minute après minute ; à défendre ces instants précieux contre l’idée dévorante de la dernière fois. Du dernier automne et des dernières rousseurs par-dessus les toits. Du dernier hiver et de la dernière neige à ma lucarne. Du dernier printemps et des dernières floraisons. J’ai appris à défendre chaque parcelle du jour contre le venin du regret.
Il y a des morts subites et des morts lentes,
des morts distraites et des morts acharnées,
des morts légères comme un enlèvement,
des morts lourdes comme un enterrement,
des morts annoncées et des morts impromptues,
des morts résignées et des morts révoltées,
des morts révoltantes et des morts insolentes,
des morts aux étoffes riches et aux tables dressées,
des morts en haillons, aux croque-morts pressés,
des morts oublieuses et des morts rancuneuses,
des morts lisses et des morts noueuses,
des morts bâclées et des morts apprêtées,
des morts agonisantes et des morts rayonnantes…
Tout compte fait, il ne reste pourtant que la mort sans phrases et sans discours, sans façons et sans atours. La mort tout court. Chacun son tour. L’affaire du monde la mieux partagée. Pas de quoi en faire une histoire capitale. On ne devrait même pas lui en vouloir. « Elle nous a donné, comme une source, sans jamais tarir, nos émotions et nos connaissances, nous a piqués de son aiguillon pour nous mettre debout, délier notre langue, tailler la pierre, fondre les alliages, démontrer les vérités, aller vers l’œuvre. Elle, la mort*. »
C’était tout de même ma mort.
Ma mort unique, personnelle et destinée.
Avec elle la plus sage sagesse ne nous réconciliera jamais.
Daniel Bensaïd,
Jeanne de guerre lasse,
« Au vif du sujet », Gallimard, 1991, pp. 262-264
* Michel Serres, Statues, « Champs »-Flammarion, 1989, p. 238.
Pierre Granet
Mort de Daniel Bensaïd
Le secrétariat du Collectif Communiste Polex tient à saluer la mémoire de Daniel Bensaïd, intellectuel marxiste de valeur, et militant anti-impérialiste intransigeant dans ses convictions. Il restera vivant dans nos combats et notre volonté de voir renaître ensemble un grand mouvement révolutionnaire en France.
Pour le secrétariat du Collectif
Francis Arzalier
Le 13 janvier 2010
"il y a des morts subites et des morts lentes,
des morts distraites et des morts acharnées,
des morts légères comme un enlèvement,
des morts lourdes comme un enterrement,
des morts annoncées et des morts impromptues,
des morts résignées et des morts révoltées,
des morts révoltantes et des morts insolentes,
des morts en haillons, aux croque-morts pressés,
des morts oublieuses et des morts rancuneuses,
des morts lisses et des morts noueuses,
des morts bâclées et des morts apprêtées,
des morts agonisantes et des morts rayonnantes…
Tout compte fait, il ne reste pourtant que la mort sans phrases et sans discours, sans façons et sans atours. La mort tout court.Chacun son tour. L’affaire du monde la mieux partagée. Pas de quoi en faire une histoire capitale. On ne devrait même pas lui en vouloir" (Jeanne de guerre lasse-1989)
Voilà peut être ce qu’il vous dirait....Moi, je ne peux m’y résoudre (Et elle est même pas matérialiste, en plus...).
Je suis de tout cœur avec vous.
Anne Lafran
Salut Daniel !
C’est avec une grande émotion que j’apprends la disparition de Daniel Bensaïd.
Je le connaissais depuis mon adhésion à la JCR dissoute, future Ligue Communiste, en 1968 à Toulouse. Avec Ernest Mandel, il contribua beaucoup à la formation idéologique de nombre de militants de ma génération, sachant allier exigence théorique et action militante.
Sa ténacité pour contribuer au renouveau d’une pensée marxiste non dogmatique aura aidé à garder le cap dans le brouillard des années libérales et à maintenir vivante une pensée critique du capitalisme, aujourd’hui à nouveau d’actualité.
Par-delà les désaccords qui nous ont éloignés dans les années 90, il reste pour moi une figure de révolutionnaire intègre et désintéressé qui n’a jamais succombé aux sirènes des honneurs factices des temps corrompus pour rester fidèle à ses convictions.
Cela mérite le respect.
Claude DEBONS
Militant puis membre de la direction de la LCR (1968-1993)
Ancien responsable syndical
Secrétaire national du Parti de Gauche
Daniel était un vieil ami depuis 68, nous avons même été au même lycée, c’est une perte irremplaçable.
Je me joins depuis les Pyrénées à l’hommage du NPA et de tous les « vieux » camarades.
Jak ex « Makila » de la vieille époque
comité « Haut Comminges »
Hommage à Daniel Bensaid décédé le 12 janvier 2010
C’était vraiment un internationaliste passionné. Un intellectuel de haute lignée, un universitaire respecté, un militant comme il y en a peu par génération ; probablement la personnalité la plus attachante issue du courant de la JCR-LCR.
Daniel Bensaïd était engagé depuis longtemps dans un corps à corps théorique et pratique avec la recherche d’une politique révolutionnaire. Sa plume était ferme, sa pensée ouverte, sa voix ensoleillée. Nous saluons sa mémoire.
Socialisme Maintenant !
(club d’action et de réflexion pour le socialisme)
Daniel Bensaïd vient de mourir. Il va me manquer, et je ne suis pas le seul. La même génération, mais le contraire de cet ersatz autocélébrant que furent les « nouveaux philosophes ».
Je ne l’ai croisé que quelquefois, nous n’avons eu que des bribes de conversation — la première fois, c’était justement aux obsèques d’une camarade — mais j’ai toujours eu le sentiment d’une vraie cohérence entre la pensée, l’action et tout simplement la manière d’être, pour une fois Telerama a trouvé le mot juste : « tendance radical modeste ».
En tout cas, pour tous ceux qui se demandent à quoi ça rime d’être marxiste aujourd’hui, Daniel n’a jamais cessé de donner des réponses. On va avoir beaucoup de choses à relire et à méditer, et on le remercie de nous les avoir laissées.
Quelquefois strictement philosophique, je pense à la Discordance des Temps, Marx l’intempestif ou Le pari mélancolique ; parfois strictement politique, je pense à ses textes sur Mai 68, ou sur la « deuxième gauche » (Rocard, les haillons de l’utopie) ; parfois essayiste kaléidoscopique, ceux de ses textes qui m’ont fait le plus jubiler intellectuellement et qui ont laissé perplexes marxistes et antimarxistes, comme « Moi la Révolution » (contre le Bicentenaire de 89/enterrement de 93), ou « Jeanne de guerre lasse » (où l’on rencontre une figure de Jeanne d’Arc dans la lignée de Michelet, de Péguy, mais aussi de Delteil). Et, toujours intéressé par les grands hérétiques du marxisme, Bloch, Benjamin, relisant Pascal pour un pari sans garantie transcendante, son « Walter Benjamin », très politique au moment où l’Université le découvrait pour l’aseptiser aussitôt.
"Tu comprendras, citoyen-président, que je décline l’invitation à tes festivités étatiques, si tant est que ces mots soient compatibles.
S’il faut à tout prix « faire quelque chose » pour mon bicentenaire, comme on « fait quelque chose » pour le réveillon, par inertie et habitude, je le ferai dans l’intimité, avec chopine et saucisson, des pâtes à l’ail et du boudin antillais, en souvenir d’Ignace et de Moïse… J’écouterai Gal Costa et Paco Ibañez, Fascinação par Elis Regina, le Condamné à Mort de Genet, et Marianne Faithfull, chantant de sa voix déchue le Boulevard of broken dreams.
Ce sera de circonstance." (Moi, la Révolution-1991)
et puis ça aussi :
"il y a des morts subites et des morts lentes,
des morts distraites et des morts acharnées,
des morts légères comme un enlèvement,
des morts lourdes comme un enterrement,
des morts annoncées et des morts impromptues,
des morts résignées et des morts révoltées,
des morts révoltantes et des morts insolentes,
des morts en haillons, aux croque-morts pressés,
des morts oublieuses et des morts rancuneuses,
des morts lisses et des morts noueuses,
des morts bâclées et des morts apprêtées,
des morts agonisantes et des morts rayonnantes…
Tout compte fait, il ne reste pourtant que la mort sans phrases et sans discours, sans façons et sans atours. La mort tout court. Chacun son tour. L’affaire du monde la mieux partagée. Pas de quoi en faire une histoire capitale. On ne devrait même pas lui en vouloir" (Jeanne de guerre lasse-1989)
Jean-José Mesguen
Daniel Bensaïd, l’ami, le militant, le théoricien, nous a quitté
Le Parti de Gauche salue sa mémoire
Le Parti de Gauche salue la mémoire de Daniel Bensaïd, mort de maladie le 12 janvier à l’âge de 63 ans, et s’associe à la douleur de sa famille et de ses camarades. Il assure les militant-e-s du NPA de toute sa solidarité.
Avec lui, c’est une grande figure de la gauche française qui disparaît. Tout au long de sa vie, Daniel Bensaïd a été fidèle à ses engagements et à ses convictions révolutionnaires depuis son adhésion au PCF en 1962, au lendemain de la répression du métro Charonne, puis lors de la fondation de la JCR en 1966 et jusqu’à sa mort. Il s’est tenu toute sa vie du bon côté de la barricade, celui des exploités et des opprimés. En des temps qui ont vu nombres de reniements, cette continuité force le respect.
L’exemplarité de la vie politique de Daniel Bensaïd et qu’il ne séparait pas la pensée et l’action menant de pair un exigeant travail théorique pour enrichir la réflexion marxiste dans les conditions d’aujourd’hui et un engagement militant intense à la direction de la LCR et de la Quatrième Internationale. Il avait le combat internationaliste chevillé au corps, et dans les années 70 et 80, il mènera par exemple de nombreuses actions de solidarité avec des militants latino-américains, en Argentine ou au Brésil notamment, ou encore plus récemment pour le respect des droits du peuple palestinien.
Son énorme travail théorique, constitué de plus d’une quarantaine d’ouvrages et de milliers d’articles et contributions diverses, aura enrichi la réflexion philosophique et politique des dernières décennies bien au-delà des rangs de son organisation et développé un marxisme critique vivant à l’heure où le capitalisme libéral se prétendait comme la fin de l’histoire. La crise du système résonne comme un hommage à sa ténacité.
Par delà les parcours et les choix partidaires différents qui ont été les nôtres dans les années passées, nous nous sommes souvent retrouvés dans les mobilisations sociales et citoyennes, comme dans les débats et confrontations sur les stratégies d’aujourd’hui. C’est pourquoi le Parti de Gauche est particulièrement affecté par cette disparition.
« Salut Daniel, et merci ! »
Le Parti de Gauche sera représenté à l’hommage militant qui lui sera rendu le 23 janvier.
UJFP
L’Union Juive Française pour la Paix a appris avec une très grande tristesse le décès de notre camarade Daniel Bensaïd.
D’autres que nous diront l’importance de sa contribution en tant que militant politique, enseignant, philosophe.
L’UJFP, dont Daniel Bensaïd était membre depuis le début de la deuxième Intifada veut témoigner de l’importance de son apport à l’analyse de la « question juive », tant dans son autobiographie politique « Une lente Impatience » que dans sa réédition de « la question juive » de Karl Marx.
L’UJFP veut témoigner de son action pour une paix juste et durable au Proche Orient, notamment par sa contribution aux appels pour dénier le droit à l’Etat d’Israël et à ses défenseurs inconditionnels en France de parler et agir « en notre nom », et pour soutenir la lutte du peuple palestinien pour ses droits.
Militant internationaliste, il a accepté de porter avec nous sa judéïté pour servir la justice, et l’humanité de l’autre.
Sa générosité était aussi grande que sa pensée et sa modestie. Devant lui chacun se sentait important, pris en compte, écouté et respecté. Autant de qualités humaines rares et qui vont nous manquer.
Salut Daniel, ton combat, notre combat continue.
Union Juive Française pour la Paix (UJFP)
Daniel, c’est d’abord la modestie de celui qui se disait enseignant de philosophie, et non philosophe. C’est une présence discrète mais résolue lors des mouvements enseignants et étudiants à l’Université Paris 8. C’est une écoute, une gentillesse, militant d’égal à égal, la capacité à tenir en haleine une salle entière sur la question du vol du bois chez Marx. De la colère parfois, comme quand un gouvernement indigne a extradé Paolo Persichetti. Daniel, c’est également l’aventure de la revue Contretemps, avec une volonté de confronter et d’enrichir réciproquement marxisme ouvert et sociologie critique. C’est une pensée « mécréante » et politique, une des premières à avoir abordé les questions mémorielles avec Qui est le juge ? ; une curiosité et une ouverture, avec un intérêt pour un Marx « intempestif », mais aussi pour Walter Benjamin, Péguy ou Jeanne d’Arc. S’il a pu faire des erreurs, il était le premier à les reconnaître, toute sa vie il a « brossé l’histoire à rebrousse-poil », selon l’expression de Walter Benjamin justement, refusant de s’inscrire dans le « cortège triomphal » des vainqueurs de l’histoire et autres « nouveaux philosophes ». Il a rejoint les marranes, les communards, les révolutionnaires et les insurgés. Mais ses combats continuent.
Sylvain Pattieu
Je viens d’apprendre le décès de Daniel Bensaïd. Je le savais malade mais c’est un choc. J’ai découvert Daniel Bensaïd à mes tout débuts militants. Je le revoie dans ce café du XXe arrondissement parisien où il animait des débats pour résister à l’air du temps. Comme beaucoup, j’étais admirative, bluffée, séduite par son agilité intellectuelle, son humour, son charisme. Il était tout simplement passionné et passionnant. J’ai plus tard eu la chance de discuter avec lui, parfois des heures. Nous avions de fortes convergences de fond mais aussi des désaccords politiques. Qu’importe, je le savais là, de plain pied dans notre univers de la gauche radicale. Même si c’était parfois avec une part de dureté ou de mépris que je percevais, peut-être à tord, comme une expression de la culture trotskyste, il incarnait quelque chose de fort, de solide, comme un repère.
Ces derniers temps, Daniel animait la revue Contre-temps, avec sa version Internet, et la Fondation Louise Michel lancée dans la foulée du NPA. Une fois de plus, il s’était entouré de jeunes intellectuels brillants et savait faire réseau. Il venait par ailleurs de collaborer à l’ouvrage collectif que j’ai coordonné, Post-capitalisme. Imaginer l’après. Il était souffrant mais a trouvé l’énergie pour rendre sa contribution. Quand je l’ai sollicité, de manière très ouverte, en lui disant juste le thème et en lui demandant ce qu’il avait envie d’écrire, je me souviens qu’il m’a dit ceci : “je crois maintenant que le problème majeur est celui de la mesure”.
J’ai en mémoire ses yeux, souvent rieurs, dans lequel je voyais l’appétit, la rage de vivre. Il nous manque, il nous manquera durablement.
Clémentine Autain
Pour Daniel Bensaïd
Daniel est décédé. Intellectuel ? Philosophe ? Certainement. Mais ces mots lui vont mal qui sont trop souvent les masques grimaçants de la désinvolture et de l’imposture. Théoricien reconnu, du moins par ceux dont la reconnaissance lui importait, il était d’abord un militant. Deux faces pour un même visage et pour une même politique : la « politique de l’opprimé ». Mais aussi deux formes d’activité sous tension : tant il est vrai que le temps de l’intervention n’est pas celui de la recherche et que le courage d’agir ne se le laisse pas déduire de la soif de savoir.
Tardivement médiatisé, Daniel ne fut jamais un intellectuel médiatique : un intellectuel pour médias, en quête de leur consécration et bientôt prisonnier de leur logique. Celle-là même qui flatte les egos et dilate les nombrils. A l’individualisation médiatique de l’intellectuel, il opposait deux principes qui dessinent une figure sinon inédite, du moins particulière de l’engagement. Un principe de responsabilité qui impose de mettre ses idées à l’épreuve d’une pratique collective ; un principe d’humilité qui rappelle que l’on ne pense jamais seul, mais toujours avec d’autres [9]. Aux penseurs à grande vitesse, il opposait la « lente impatience » du militant.
Dirigeant — encore un mot qui lui va qu’à demi — de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), puis de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), il avait participé à la fondation du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) : il savait que le combat pour le communisme ne supporte pas d’être orphelin de toute appartenance. Longtemps responsable de la Quatrième internationale, il était un militant internationaliste, pas un commis voyageur. Un « soixante-huitard », dit-on. Certes, mais pas un professionnel de sa propre histoire, et encore moins du reniement. Fidèle à l’événement, mais en vertu d’une prise de parti qui l’a précédé et qui ne se confond pas avec lui.
Théoricien, Daniel Bensaïd a rendu Marx à son actualité, critique et stratégique, en lui offrant la compagnie non seulement de Blanqui, Lénine et Trotsky, mais aussi (surtout ?) celle de Charles Péguy et de Walter Benjamin. Sentinelle attentive, comme eux, au surgissement de l’événement qui de toute sa force propulsive lézarde le cours monotone de toutes les formes d’oppression – et les bouscule jusqu’au point où tout bascule ou peut basculer : révolution. Sentinelle qui jamais ne s’est satisfait d’être seulement vigilante : dans l’action, jusqu’au dernier moment.
Sa vie, son œuvre, son activité ne furent pas, bien sûr, sans failles ni défauts, sans erreurs ni errements. Mais Daniel Bensaïd restera un exemple. Pas une icône : un exemple, tout simplement. Ou, pour le dire mieux et honorer sa simplicité et son humanité, une référence. Du moins pour celles et ceux qui, indéfectiblement, font et refont le pari de l’émancipation humaine.
Henri Maler
« Militant de base » de la LCR puis du NPA je souhaite cependant mêler ma voix à toutes celles, beaucoup plus éminentes que la mienne, qui ont exprimé leur profonde tristesse face à la mort de Daniel.
– Les interventions de Daniel, lors des nombreuses universités d’été auxquelles j’ai participé, ont toujours été parmi les plus marquantes pour moi. Ses propos étaient clairs et accessibles tout en laissant poindre l’extrême complexité du monde. Ses exposés étaient, parfois, teintés d’agacement (affirmation de ses convictions) mais les réponses aux militants (après l’exposé) étaient toujours à la fois cordiales, subtiles et (je crois) compréhensibles par l’auditoire.
– « Marx l’intempestif », « la discordance des temps », sont les deux seuls livres savants (de Daniel) pour lesquels j’ai tenté l’aventure d’une lecture. Cette lecture fut, pour moi, très difficile et si je n’en ai pas compris grand-chose. Il me semble cependant en avoir tiré quelques vagues intuitions...
– Ses articles (dans la revue contretemps notamment) m’étaient plus accessibles même si je percevais bien qu’une multitude (sans référence à Tony Negri qui agaçait justement l’orateur Daniel) de références philosophiques me faisaient défaut. Je crois qu’un grand nombre de lecteurs non savants (mais cependant curieux) pourraient s’aventurer dans la lecture des ces articles. Ils ne comprendront peut être pas tout mais ils pourront amorcer une réflexion critique grâce à ces textes.
– Enfin, je me permettrai une note plus sensible à la fin de ce petit hommage à ce militant et philosophe que je trouvais très attachant (même si je ne le connaissais pas personnellement). Les agacements, du moins ceux que j’ai pu percevoir et que j’ai déjà évoqués, étaient parfois dus à la lecture d’une prose anarchiste qu’il jugeait, me semble t’il, hors réalité. Etant issu des traditions libertaires, j’y étais donc très sensible et j’étais même parfois un peu irrité, pourtant cette irritation (éventuelle) n’était que passagère car l’ouverture des propos de Daniel permettait toujours de raccrocher à l’analyse critique qu’il proposait. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai pu me réconcilier avec un certain marxisme non dogmatique (même si je ne me défini toujours pas comme marxiste... et non plus, aujourd’hui, comme libertaire...). J’ai eu la chance d’avoir avec lui un long entretien filmé (d’environ trois heures) qui a été diffusé auprès de militants de ma région. Lors du montage de cet entretien (dans un coin de ma salle à manger) je passais en boucle tel ou tel morceau de phrase prononcé par Daniel. Ma femme qui n’avait pas assisté à l’entretien, ne pouvait comprendre le sens général de ses propos mais entendait ces petits « bouts de paroles » répétés et re-répétés inlassablement (d’autant plus inlassablement que le montage fut laborieux, je ne suis pas du tout un professionnel de la vidéo). Ces morceaux de phrases hachées, donc incompréhensibles, composaient une sorte de musique qui évoquait une grande douceur à l’oreille de ma femme. Une douceur qui me semble en accord avec la mélancolie et la sensibilité que j’ai cru pouvoir déceler chez cet homme qui me manquera beaucoup.
Les prochaines universités d’été existeront encore, elles seront probablement encore passionnantes, mais elles ne seront plus ponctuées par cette voix chantante (accent toulousain oblige) ni par cette acuité critique qu’il proposait d’une façon si particulière.
Je ne pourrai plus aller écouter « Bensa » !...
Je m’associe donc à la peine de tous ceux qui ont eu la grande chance de le connaître
beaucoup mieux que moi.
Didier Eckel (NPA 01)
Je n’ai croisé Daniel Bensaïd que quelques fois, à l’occasion de tables rondes ou de débats au cours desquels nous avons eu l’occasion de confronter nos approches à la fois convergentes et divergentes de questions concernant l’action politique, la référence à Marx, au communisme, etc. Je garderai le souvenir de sa rigueur intellectuelle et de sa chaleur humaine. S’il nous manquera, il nous laisse une œuvre importante, qui continuera pour sa part à faire son chemin.
Alain Bihr
Merci de m’avoir informé. Je suis rentré il y a quelques heures de Padoue où je travaillais à la Fondation Longhi sur l’iconographie des 13° 14° et 15° siècles. J’aurais accepté de prier très fort Saint Antoine pour nous garder en vie Daniel, si j’avais su plus tôt l’état de santé menacée de notre archange révolutionnaire. Sans doute cela n’aurait rien changé ; les saints meurent jeunes, les révolutionnaires aussi ( la trentaine d’ans de Saint Antoine, la soixantaine de Daniel c’est du même ordre, à l’échelle des temps comparés de la durée de
vie de l’espèce humaine), c’est le service de la vérité qui est en cause. Elle brûle cette vérité et il nous faudra plus d’un miracle pour venir à bout du capitalisme. Daniel était à lui seul un de ces miracles. Il en avait la joie, le goût extraordinaire de la vie, la solide dérision des semblants, l’impertinence enthousiasmante d’une intelligence lumineuse et surtout la tendresse sans fin de ceux qui ne veulent rien cèder au désespoir.
Au moment où s’est joué le destin de la toute jeune LCR, en 1970-71, j’ai dit à Daniel tout le bien que je pensais du Principe Espérance d’Ernst Bloch. Je crois que l’œuvre de Daniel est un magnifique fleuve participant de cette source, résurgence du Marx énonçant le communisme comme « vraie résurrection de la nature, naturalisme accompli de l’homme, humanisme accompli de la nature ».
Je pleurs avec toi et toutes celles et tous ceux qui ont aimé Daniel. Mais en écrivant ces mots j’entends Daniel me voyant en larmes me dire avec sa tendre ironie « Arrête de faire le grand couillon ! ». Il y avait plus de tendresse dans ce révolutionnaire là qu’il n’y en eut dans les générations antérieures. Cela prépare l’avenir.
Bien à toi,et merci encore de me faire savoir aussi que Johsua et Alexandra sont toujours là. Le temps présent est celui de l’éternité ; raison pour laquelle l’injustice qui s’y révèle nous est insupportable : hommage au révolté de l’injustice que Daniel continue et continuera d’être à nos côtés.
Camille Scalabrino
Daniel Bensaïd est mort
Je fus militant de la LCR et des JCR à la fin des années 70. Daniel Bensaïd fut, d’abord, pour moi, cet orateur qui soulevait une salle de Jeunesses communistes révolutionnaires, évoquant le monde tel qu’il allait, l’impérialisme français en Amérique latine, et bien d’autres choses. C’était un dirigeant flamboyant mais qui savait se montrer d’une orthodoxie redoutable. Un internationaliste qui participa aux débats qui devaient donner naissance au Parti des Travailleurs du Brésil.
Des années plus tard, dans les années 90, alors que la victoire mondiale du néolibéralisme était célébrée, je le rencontrais réellement. Pour résister à « l’air du temps », à Poitiers, les « amis de Politis » développèrent une série de débats pour maintenir un esprit critique, pour offrir une tribune à des critiques du système, pour offrir un espace de pensée. C’est ainsi que je fus à l’initiative de la venue réitérée de Daniel Bensaïd. Il parlait de Jeanne d’arc, de Walter Benjamin, de Péguy, de Marx, encore et toujours. Il aidait à maintenir vivante une tradition de l’émancipation sociale, et à renouveler cette tradition. Il comparait le travail des marxistes à celui des marranes, ces juifs obligés d’abjurer leur religion et qui, clandestinement, maintenaient leurs rites religieux. Ce qui n’était pas une invitation à transformer le marxisme en religion...
Dans un débat où il « affronta » localement Miguel Benasayag, il affirma que « l’Etat et la révolution » (Lénine) était un livre « trop libertaire ». Benasayag, « ancien officier de l’ERP » (en Argentine où il fut prisonnier et torturé) et « libertaire », se scandalisa. Bensaïd insistait : la critique de l’Etat faite par Lénine dans cette brochure était trop simple ; ce qui, au nom de la liberté, eut des conséquences funestes ; une analyse de l’Etat plus fine doit ammener à un dépérissement effectif de celui-ci (de mémoire). Dialecticien et militant, Daniel Bensaïd ne plaisantait pas avec ces concepts. Il ne voulait pas clore le débat par un argument d’autorité, mais ne cédait rien sur ce qu’il croyait juste.
J’ai lu la plupart des livres de Daniel Bensaïd. « Le pari mélancolique » et « Qui est le juge ? pour en finir avec le tribunal de l’histoire » furent des lectures marquantes pour moi. L’intelligence critique existait toujours, je la rencontrais. C’était vivifiant.
Il était philosophe à Paris VIII et disait qu’il n’aimait pas se définir comme philosophe. Il savait combien la philosophie peut être transformé en prêt-à-penser, en discours du Maître, en paroles justifiant le despotisme. Et la politique n’était pas pour lui une succursale de la philosophie. C’était un militant plus qu’un philosophe. Et un philosophe qui pouvait tenir la dragée haute aux philosophes.
Il était juif de mère goy, avec un nom à faire frémir tout antisémite. Il s’affirmait juif face aux antisémites. Et surtout, juif avec Walter Benjamin et son « messianisme révolutionnaire ».
C’était un militant qui savait convaincre et empêcher que la LCR ne devienne une secte (il n’était pas le seul dans cette tâche pas si facile). C’était un militant qui a justifé la création du NPA et a payé de sa personne pour que ce projet aboutisse. Savoir reconnaitre ses erreurs, assumer les conséquences politiques de ses actes, participer à des collectifs militants, analyser à nouveaux frais la situation politique et proposer des mots d’ordre adaptés. Ne pas céder. Bensaïd n’était pas le seul à avoir cette éthique militante, mais il était un des meilleurs pour la formaliser.
A posteriori, à partir des années 90, pour moi, Daniel Bensaïd fut une référence, un maître en politque. D’autant plus qu’il n’invitait guère à être considéré ainsi. Il avait le souci de transmettre, à la façon d’un Walter Benjamin. « Une lente impatience » fut le titre d’un livre magnifique qu’il a écrit. Impatience à ce que ce monde aux inégalités croissantes change. Lenteur pour écouter et apprendre, et renouveler son argumentation.
Les dernières lignes de « Walter Benjamin. sentinelle messianique » sont : « Interpréter le monde, c’est déjà commencer à le changer. Changer le monde, ce n’est plus seulement, mais c’est encore l’interpréter ». Bensaïd est mort en sachant que ce message fut transmis, je suppose.
Ici, en cette région de Poitiers, le premier hommage qui lui fait fait fut écrit par Jean-Pierre Duteuil, militant de l’Organisation communiste libertaire, qui fut, avec lui, un militant du mouvement du 22 mars, en mai 68. Un mouvement dont le caractère subversif fut magnifique. Un mouvement dont Duteuil nous dit qu’il fut marqué par « la diversité, la radicalité, le non-dogmatisme ». Que Bensaïd fut un « trotskyste pas entièrement trotskyste » avec des « anarchistes pas entièrement anarchistes ». Programme toujours actuel et digne de la mémoire de Daniel Bensaïd, en vérité, je pense.
Au-delà de la tristesse, il reste à continuer.
Pascal Boissel
Salut Samy,
Je sais pas trop quoi t’écrire, ça fait trois jours que je me dis que je vais le faire. Mais j’ai un peu l’impression que c’est dérisoire. Même si je n’ai croisé Bensa que quelques fois, ça a toujours été marquant, comme pour tous ceux qui ont eu cette chance. Je ne peux pas imaginer ta douleur mais je la partage. Voila je voulais juste te dire que je pense à toi, et j’espère que tu trouveras la force nécessaire.
On se verra à Paris le 24, j’y passe quelques semaines avant de partir à Istanbul.
Je t’embrasse
Chloé Stevenson