La crise actuelle va donner lieu à de nouvelles réglementations.
Les libéraux fanatiques s’effacent devant
leurs rivaux hétérodoxes, Joseph Stiglitz, George Soros
ou Paul Krugman, et tous les prêcheurs d’un New Deal,
qui n’ont cessé de répéter que la maladie provenait du
dérèglement et qu’une bonne régulation en serait le
remède. C’est oublier un peu vite que la dérégulation
libérale n’était pas le fruit d’un caprice doctrinaire. Elle
visait à rétablir des profits érodés dans les années 1960
et 1970 par les résistances et les conquêtes sociales. Revenir
à l’Etat social et aux recettes keynésiennes consisterait
à reconstruire ce qui a été détruit. Et si tant est que
cela soit possible dans une économie mondialisée, cela
ne ramènerait nos sociétés qu’à la case départ. Le capitalisme
n’aurait en rien réglé son problème insurmontable,
celui de produire en surcapacité et de façon anarchique.
Comme le dit fort bien Jean-Marie Harribey, coprésident
d’Attac, « réguler n’est pas régler ».
Il est prévisible que les possédants agiront comme ils
l’ont toujours fait. Ils établiront et utiliseront les règles
quand ils en auront besoin. Ils les contourneront (en
toute légalité) quand elles leur pèseront. Et ils les changeront
à nouveau lorsque la situation s’y prêtera. Est-il
besoin de rappeler que Roosevelt, président des Etats-
Unis lors de la Grande Crise, fit adopter en 1933 le
Glass-Steagall Act qui contraignait les banques à séparer
les activités de financement et d’investissement (les
banques d’affaires) de celles de dépôt (les banques
dites « de détail »). En 1999, à la veille d’entrer dans le
véritable âge d’or des 2000 rugissantes, les banquiers
l’ont fait abroger. Et les capitalistes ont applaudi des
deux mains à ce débouché financier offert aux profits
tirés de la production.
Faut-il rappeler que la politique de New Deal de
Roosevelt, qui consistait à lancer de grands travaux
publics et de grands chantiers pour relancer l’économie,
en refusant de remettre en cause un tant soit peu
les sacro-saints privilèges capitalistes n’a pas suffi à
relancer durablement l’économie et à éviter la guerre ?
Si la population laborieuse a pu bénéficier alors de
nouveaux acquis sociaux pour les emplois et les
salaires, elle le dut d’abord à elle-même, à sa détermination,
à ses luttes victorieuses et à sa grève générale,
notamment en 1934. Les mesures de Roosevelt, mythifiées
par la gauche réformiste, n’ont pas stoppé la
récession économique, qui en 1937 a abouti à une nouvelle
dépression financière. En fait, plus que le New
Deal, c’est malheureusement la Seconde Guerre mondiale
qui, en relançant l’activité industrielle militaire, a
remis d’aplomb l’économie des Etats-Unis.
Pour sortir de la crise en s’épargnant de nouvelles
guerres, il faut donc s’attaquer au système et au cœur
même de la logique capitaliste : le pouvoir absolu du
marché, la course effrénée au profit, la propriété privée
des grands moyens de production et d’échange, et la
concurrence de tous contre tous. Dans les mesures
gouvernementales comme dans les propositions de la
gauche de gouvernement, en France, on en est loin.
En finir avec la libre circulation du capital financier
Limiter les parachutes dorés, revoir les normes
comptables, revoir les critères et le statut des agences
de notation ? Ce serait la moindre des choses. Ce sont
des correctifs aux défauts les plus criants ou les plus
scandaleux du système. Ces mesures ne vont même pas,
comme la pétition lancée au printemps 2008 par des
économistes critiques, jusqu’à l’abrogation de l’article
56 du traité de Lisbonne interdisant toute restriction
aux mouvements du capital financier. Ni à
réclamer l’abrogation de l’article 48 du même traité
qui, au nom de la « liberté d’établissement », laisse au
capital la possibilité d’aller où les conditions sont les
plus favorables, et aux institutions financières la liberté
de trouver asile où bon leur semble.
D’aucuns parlent du retour de l’Etat providence ou
de l’Etat social sous prétexte que des banques seraient
nationalisées. Ce n’est pourtant pas le cas, loin s’en
faut. L’Etat n’aura même pas un droit de vote lors des
conseils d’administration des établissements bancaires
dans lesquels il détient une participation de 34 %. Pourtant,
le très libéral Nicolas Baverez définit la banque
comme un « bien public de la mondialisation » : « Sous
le choc actuel de l’effondrement du crédit se profile un
oligopole bancaire hautement rentable et assuré de sa
pérennité du fait de la présence forte des intérêts publics
et d’une immunité illimitée contre le risque de défaut.
Voilà pourquoi les banques demeurent le banc d’essai
de la mondialisation. Du fait de leurs caractéristiques,
elles ont la nature d’un bien public qui génère des gains
de productivité considérables pour l’économie en cas
de bon fonctionnement, et des destructions majeures
en cas de dysfonctionnement. » On s’attend alors à ce
que ce bien public revienne à une gestion publique
sous contrôle public, conforme à sa « nature ». Au prix
d’un retournement de haute voltige, la conclusion est
inverse : « D’où la nécessité d’une régulation qui doit
intégrer la dimension mondiale du risque et se frayer
un chemin étroit entre les deux moyens les plus sûrs
d’aboutir à un krach bancaire, la déréglementation et la
nationalisation. » Pour cet économiste du juste milieu
(libéral), l’Etat assure donc aux banques une « immunité
illimitée » pour les pertes et une assurance tous
risques pour les profits.
Laurence Parisot s’est empressée de convoquer un
G5 patronal pour préciser qu’il est bon que l’Etat joue
son rôle en volant au secours de la finance, à la condition
que ce soit à titre provisoire et qu’il promette de
se retirer gentiment dès que les affaires auront repris
leur cours lucratif. Autrement dit, de socialiser les
pertes avant de reprivatiser les profits. Alors que certains
économistes héroïsent le capitalisme en lui attribuant
« une éthique du risque », l’Etat intervient en
réalité temporairement comme l’assureur des banquiers
menacés de faillite. Le risque, c’est pour les autres,
pour les travailleurs licenciés, précarisés, surendettés,
qui ne bénéficient pas de la même indulgence ni des
mêmes arrangements.
Un grand service bancaire public
S’attaquer réellement au système impliquerait de
réunifier toutes les banques dans un seul service public
bancaire, en expropriant les intérêts privés, sans rachat
ni indemnités. Celui-ci aurait le monopole du crédit
afin de financer les priorités sociales, d’orienter l’investissement
vers la satisfaction des besoins, de financer
de grands travaux de reconstruction et de rénovation
des services publics, d’impulser la transition énergétique.
S’attaquer au système, ce serait placer ce service
public de crédit sous le contrôle des salariés et des usagers,
lever le secret bancaire et l’anonymat de certains
placements, établir un contrôle public et une taxation
sur les mouvements de capitaux.
Solidarité internationale des peuples...
La brutalité de la crise va exacerber la lutte pour le
partage des territoires, le contrôle des ressources énergétiques,
la sécurisation des voies d’acheminement,
autrement dit renforcer la logique de guerre et de militarisation,
et ce d’autant plus qu’en période de récession
et d’inflation l’économie d’armement est un
moyen classique de soutien des Etats à l’industrie. Au
lendemain du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont
officialisé la doctrine de la « guerre préventive »,
s’émancipant ainsi des règles en vigueur du droit international
et s’autorisant à intervenir militairement, avec
ou sans la bénédiction de l’ONU, où et quand ils le
veulent. Le corollaire, c’est l’adoption, sous prétexte
d’antiterrorisme, de législations d’exception et de criminalisation
préventive, dont le Patriot Act est le
modèle. Elles généralisent la présomption de culpabilité
au détriment de la présomption d’innocence. La loi
de rétention de sûreté, la criminalisation des résistances
sociales, la détection de la dangerosité dès l’aˆge de trois
ans s’inscrivent dans cette logique.
Contre la mondialisation armée et les nouvelles
guerres impériales, nous exigeons le retrait des troupes
françaises d’Afghanistan et d’Afrique, le retrait définitif
de la France de l’OTAN et le démantèlement de ses
bases (contre lesquelles une manifestation européenne
aura lieu à Strasbourg au printemps 2009), la destruction
de toutes les armes de destruction massive, la réduction
des budgets militaires, la nationalisation des industries
d’armement et un plan pour leur reconversion.
La crise, les guerres, le changement climatique risquent
d’amplifier les déplacements de population et les
mouvements migratoires. Le capitalisme va exploiter
cette misère pour diviser les travailleurs, opposer les
nations aux nations, les ethnies aux ethnies, attiser de
nouvelles guerres de religion. Il va exploiter la vulnérabilité
des travailleurs sans papiers pour faire pression
sur les conditions de vie et de travail de tous. Plus que
jamais, nous lui opposons la solidarité avec les travailleurs
immigrés, l’exigence de régularisation des sanspapiers
et du droit de vote pour les immigrés, un principe
de citoyenneté de résidence fondé sur un approfondissement
du droit du sol.
Le bouclier social
S’attaquer au cœur du système, ce serait adopter un
bouclier social pour protéger les travailleurs des dégaˆts
de la crise : relever les salaires, les pensions et les
retraites ; annuler l’endettement des catégories sociales
appauvries, interdire les licenciements boursiers, faire
cesser les suppressions de postes dans la fonction
publique, créer un fonds mutualisé pour la formation
et la reconversion des salariés et garantir la pérennité
de leur revenu, adopter un plan de relance coordonné
au niveau européen. Il faudrait pour cela abroger le
traité de Lisbonne, briser le carcan des critères de
Maastricht et du pacte de stabilité, en finir avec l’indépendance
de la Banque centrale européenne, réorienter
radicalement la construction européenne en commençant
par l’harmonisation des droits sociaux et du système
fiscal et en ouvrant un réel processus constituant.
S’attaquer à la crise énergétique, climatique, alimentaire,
ce serait revoir radicalement le mode de vie et
de développement. Les biens publics inaliénables (eau,
air...) devraient être sanctuarisés et un plan de reconversion
énergétique élaboré par les collectivités au lieu
d’être confié à la loi de la concurrence marchande.
Le « trou de la Sécu », les 1,5 milliard pour le RSA, les
1,2 milliard de la Banque mondiale pour l’aide alimentaire
d’urgence, et même les 30 milliards annuels nécessaires
selon la FAO pour nourrir les milliards d’êtres
humains victimes de la faim, apparaissent bien dérisoires
à côté des centaines de milliards que les gouvernements
sortent soudain de leur chapeau. La vraie question,
c’est de savoir qui va payer, du capital ou du travail ?
Devinez ! Pour la France, l’augmentation du besoin de
financement devrait atteindre 154 milliards d’euros en
2009 pour couvrir le déficit budgétaire, le remboursement
d’emprunts arrivant à échéance, les nouveaux
besoins liés à la création du « fonds souverain à la française
» cher à M. Sarkozy. Où les trouver ? En lançant de
nouveaux emprunts pour lesquels les investisseurs sollicités
seront plus exigeants que jamais, en soldant à la
baisse ce qui reste à privatiser, en ponctionnant des
acomptes (il est question de 2 milliards d’euros) sur les
recettes des entreprises (encore) publiques, en puisant
dans les réserves de la Caisse des dépôts [1] ?
Ce sont autant d’expédients aux effets provisoires et
incertains. Ce sont donc forcément les travailleurs qui
paieront le gros de la note. Si ce n’est par l’augmentation
des impôts, ce sera par la compression salariale,
par les coupes dans les budgets et les services publics,
par le déremboursement des dépenses de santé, etc.
C’est déjà le cas, et depuis trop longtemps.
Il s’agit maintenant d’inverser la tendance : par l’augmentation
de tous les salaires, des pensions et des
minima sociaux ; par le recul du chômage, la transformation
des heures supplémentaires et temps partiels
en emplois véritables, qui économiserait des dépenses
sociales et renflouerait la Sécurité sociale ; par la suppression
du bouclier et des niches fiscales (dont le
manque à gagner est évalué à 70 milliards par la commission
des Finances de l’Assemblée nationale) ; par le
rétablissement des cotisations sociales des entreprises,
l’arrêt des subventions à ceux qui délocalisent, l’adoption
d’un impôt fortement progressif sur le revenu et
sur les profits ; par l’interdiction de l’évasion vers les
paradis fiscaux dont le préjudice est estimé à un minimum
de 40 milliards ; par le plafonnement des dividendes
(en 2007, les entreprises ont distribué en
dividendes 8,1% de leur valeur ajoutée contre 3,2%
en 1982) et leur transfert à un fonds de mutualisation
pour financer l’interdiction des licenciements [2].
On a beaucoup parlé de crise de confiance. La
confiance va et vient, comme les cours capricieux de la
Bourse. La crise de croyance, elle, est durable. Les
dieux du marché, la foi en leur toute-puissance sont
morts. L’heure est venue d’un anticapitalisme aussi
décomplexé que l’est le « pur capitalisme » prédateur.