Cher Alain Krivine,
Comme autant d’autres collègues et militants qui l’ont connu, je suis très touché par le décès de Daniel BENSAID qui a été mon collègue pendant les années où j’enseignais comme assistant associé de philosophie à l’Université de Paris VIII. J’estime que nous avons perdu avec lui le plus grand théoricien du marxisme contemporain, après la disparition de Louis Althusser, d’Henri Lefebvre et d’Ernest Mandel. C’était qn. qui s’est donné entièrement à la bonne cause de la lutte pour la construction d’un monde meilleur, plus fraternel, sans exploitation, sans aliénation, sans discrimination. Il laisse une œuvre importante et immense que j’ai étudiée avec beaucoup d’intérêt et de plaisir et que j’ai aussi cité dans certains de mes propres livres. C’est la raison pour laquelle je salue votre décision de lui rendre hommage dimanche prochain, à la Mutualité.(Je viendrai.)
Je voudrais aussi t’informer par la même occasion que j’ai réussi à imposer à la radio-diffusion allemande (Radio Allemagne /Deutschlandfunk) de diffuser une notice nécrologique sur Daniel Bensaïd (dont je suis moi-même l’auteur) et qui a été effectivement radiodiffusée le mardi 13 Janvier, à 17.55h, à la fin de l’émission du magazine culturel « Kultur heute ». (La notice a été lue non pas par moi-même, mais par un speaker. Voici le texte de cette notice nécrologique (en traduction française) :
« Hier est décédé à Paris, des suites d’une longue maladie, le philosophe français Daniel Bensaïd, à l’âge de 63 ans. Avec lui disparaît un des plus grands théoriciens de la gauche française, un excellent connaisseur et spécialiste de l’œuvre de Karl Marx et de Walter Benjamin, et aussi la tête intellectuelle dirigeante du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), succédant à l’ancien LCR trotskiste. Il est l’auteur de plus de trente livres qui sont non seulement des contributions à l’histoire du mouvement ouvrier et à la théorie marxiste mais qui formulent aussi des diagnostic politiques critiques, d’un point de vue très engagé. Son dernier livre (écrit en collaboration avec Olivier Besancenot) plaide de manière passionnée pour un »socialisme du XXIe siècle« et une démocratie sociale radicale comme alternative au néo-libéralisme conservateur et au stalinisme. » (Arno Münster)
Voilà pour l’information.
J’ai aussi demandé que « France Culture » rende hommage à Daniel Bensaïd, dans une de ses prochaines émissions. Mais Raphaël Enthoven qui aurait absolument dû le faire, n’a pas du tout répondu à mes e-mails.
Dans l’attente de te revoir dimanche prochain, lors de l’acte commémoratif, je t’envoie (et aussi à Olivier B. et à la veuve de Daniel )
toutes mes amitiés.
Arno Münster
« Aux antipodes de tout dogmatisme »
Olivier Besancenot
Les mots sont dérisoires pour exprimer notre chagrin et nos pensées qui vont à sa compagne, Sophie.
Les mots, lui, Daniel savait les trouver pour exposer clairement une idée complexe, la rendant aussi imagée que son accent toulousain. Sa vie durant, Daniel fut un combattant, jusqu’au dernier jour, même face à la maladie qui le rongeait. Il humanisait le militantisme. Il avait soif de confronter et d’expliquer son point de vue. Il donnait envie de comprendre, et d’agir, encore et toujours, sur le monde injuste contre lequel nous nous révoltons. Avec lui, le marxisme devenait limpide, car il le rendait vivant, en constante remise en question, aux antipodes de tout dogmatisme. À contre-courant des idées triomphantes des années 1990, avec leur cortège de renoncements à gauche, et alors que les idées communistes, sans distinction, étaient mises en procès, Daniel a su défendre nos principes politiques. Grâce à sa pensée, nous avons pu nous revendiquer encore fièrement du communisme.
Daniel était tout-terrain. Il participait aux colloques, aux manifs, aux rassemblements internationaux, aux réunions de quartiers ; il était aussi gourmand de discussions en tête-à-tête. Les yeux pétillants, il t’invitait alors dans son univers, celui des idées, des filiations historiques et des polémiques philosophiques contemporaines. Lorsqu’il devinait chez moi de l’incompréhension, alors il souriait, de son petit rire, puis il faisait semblant de passer à une autre idée pour me réexpliquer la même, mais différemment. Daniel était accessible parce qu’il était généreux. Même dans les derniers temps, il demandait d’abord des nouvelles des autres. Internationaliste, il détestait toutes les frontières : géographiques, celles qui séparent les mondes manuel et intellectuel ou éloignent les générations. Du coup, la différence d’âge n’avait pas d’importance entre nous.
Sans nostalgie, Daniel a participé activement à la création du NPA, car il conjuguait son militantisme au présent. Lors de la dernière mobilisation universitaire, je me souviens de ses mots : « Ça donne envie d’y croire ». Tu nous as donné envie d’y croire, Daniel. Aujourd’hui, plus encore.
Olivier Besancenot
« Le plus jeune des vieux de la LCR »
Alain Krivine
Nous sommes encore sous le choc. Trop, peut-être, pour nous imaginer que nous ne verrons plus Daniel et son sourire embarrassé, que nous ne pourrons plus entendre les accents de sa voix toulousaine.
De partout, de France comme du monde entier, les messages de sympathie, de tristesse et d’hommage nous parviennent. Daniel n’en reviendrait pas, il n’aurait pas aimé tant d’éloges… Et pourtant, ils affluent de tous les continents et de tous les milieux : révolutionnaires, syndicalistes, intellectuels, journalistes, artistes, militants et militantes du quotidien. Chacune et chacun se souvient d’un livre, d’une aide militante, d’un exposé, d’un sourire.
Allier la pratique à la théorie, il savait faire : passer du service d’ordre de la LCR à l’écriture de résolutions sur ses objectifs stratégiques pour un congrès, sans oublier un coup de chapeau à Walter Benjamin, un clin d’œil à Jeanne d’Arc, un coup de patte aux « nouveaux philosophes », un moment à la direction de la trésorerie ou la commission d’organisation de la Ligue, plus tard aux réunions de son comité NPA de quartier avant de préparer, quelques jours avant de nous quitter, le forum du 23 janvier sur le communisme organisé par la Société Louise-Michel.
J’ai oublié qu’entre temps, il avait écrit un livre de « vulgarisation » sur Marx… et qu’il avait fait un voyage au Brésil, pays dont il s’était occupé longtemps pour la Quatrième Internationale dont il était un des dirigeants.
C’était cela Daniel, un tourbillon, avec sa curiosité, sa gentillesse, son ironie, sa culture et sa simplicité. Il dévorait les livres et publications et pouvait écrire du plus simple au plus ardu avec, parfois, des notes bibliographiques qui laissaient pantois bon nombre de ses lecteurs.
Le plus jeune des « vieux » de la LCR par l’esprit avait été un fervent partisan de la construction du NPA. Avec son refus du dogmatisme et de la langue de bois, son écoute permanente des autres, mais aussi sa fermeté dans la défense des valeurs, il n’a rien lâché, ni rien abandonné de son enthousiasme révolutionnaire.
Daniel nous rendait heureux, intelligents et confiants. Alors pas de larmes, on continue.
Alain Krivine
Daniel nous manque
et nous n’oublions pas l’éclat de ses multiples facettes
nous voudrions rendre hommage à l’anticolonialiste et à l’altermondialiste
Le cedetim sera représenté à l’hommage du 24 janvier
Nous lui rendrons aussi un hommage avec ses nombreux amis qui qui seront à Porto Alegre
gustave massiah
L’Ecole Emancipée rend hommage à Daniel Bensaïd
Avec Daniel Bensaïd, le mouvement social perd une figure lumineuse. Tant dans ses relations humaines, militantes, que pour sa pensée rigoureuse et vagabonde.
Préférant se dire professeur de philosophie plutôt que philosophe, Daniel était un extraordinaire passeur, autant qu’un penseur de la complexité sociale et de la lutte émancipatrice. Son apport est considérable pour renouveler la critique marxiste du monde. Dans ses écrits ou exposés, les idées semblaient s’enchainer d’une façon naturelle, évidente. Il savait convaincre et, même si l’on n’adhérait pas toujours à ses conclusions, il stimulait la réflexion. Il pouvait être iconoclaste tout en gardant fermement ses convictions fondamentales… et laissait souvent une part au doute.
Il ne concevait la pensée qu’au service de l’action, qu’au service du combat contre l’exploitation et l’oppression sous toutes ses formes. Internationaliste résolu, obstiné, il s’alimentait des combats des exclus, des « sans », notamment d’Amérique Latine, continent qui lui était cher. Dans ces combats qui sont les nôtres, il a toujours pris toute sa part, jusqu’aux derniers moments.
Daniel aimait la vie et nous gardons le sentiment de fraternité qu’il irradiait. L’Ecole Emancipée salue l’homme, le militant, le camarade.
SYNDICAT NATIONAL DE
L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
78, rue du Faubourg Saint-Denis
75010 - PARIS
Tél. : 0144799621
Fax : 0142462656
Courriel : sg snesup.fr
Merci de transmettre à la famille de Daniel BENSAID et de ses proches
Fidélité à lui-même, à ses idées, à ses engagements, à ses amis,
telle a été la vie de Daniel Bensaïd. Dans un monde où le
néolibéralisme exacerbe la concurrence entre les individus, il a mis au
centre de sa vie sociale les valeurs de solidarité et de coopération, et
il s’y est tenu. Dans une vie de la cité où le réalisme inspire la
tentation du reniement, il montrait que d’autres voies sont possibles :
celles des serments honorés.
Mais les promesses faites ne durent que si elles sont sans cesse
renouvelées par la pensée et l’action. L’attachement au marxisme et à
Marx de Daniel Bensaïd s’est nourri de critique. Il éprouvait sa
pertinence dans la confrontation permanente aux changements du monde et
dans sa capacité à éclairer l’action.
Professeur de philosophie à l’université de Paris VIII, il était
syndiqué au SNESUP. Son travail de pensée irriguait son engagement et ses
combats contre l’exploitation, l’oppression, les discriminations. Pétri de
cette culture qui permet de penser leur dimension mondiale, il était
profondément internationaliste.
Avec toutes celles et tous ceux pour qui il restera dans leur mémoire, le
SNESUP s’associe au dernier hommage public qui lui sera rendu dimanche 24
Janvier, à 14 heures, à la Mutualité.
Chers camarades,
Nous nous joignons à votre affliction dans notre sympathie commune envers Daniel Bensaïd.
Même si nous n’avons pas été tous très proches de Daniel, avant notre adhésion au CEI de la 4e internationale ; à la LCR, – en tant qu’anciens de la Tendance-marxiste-révolutionnaire-internationale, dont Michel Pablo était la personnalité la plus éminente – nous avons eu le temps de l’apprécier en tant qu’intellectuel révolutionnaire marxiste. De même pour tous ceux de la revue aujourd’hui.
Personnellement, je l’ai connu au Comité Central et membre de la cellule du 20e arrondissement de Paris, où il lui fallait dépenser ses forces à convaincre quelques camarades qui ne faisaient pas beaucoup d’efforts pour l’unité avec les organisations politiques proches. Inutile de dire que la politique du Front unique n’était pas leur tasse de thé.
Nicole, mon épouse, appréciait beaucoup la gentillesse et la pédagogie que dépensait Daniel envers ces camarades... Devant leur surdité Nicole décida de quitter l’organisation.
Nicole n’est plus là. Sinon je sais qu’elle aurait, comme Michel Pablo, qui me l’a dit aussi, en son temps, conservé envers Daniel notre sympathie.
Au nom de l’équipe d’Utopie critique, nous nous joignons à votre peine et nous avons la même pensée envers notre camarade qui nous a quitté.
Gilbert Marquis,
Utopie critique, revue internationale pour l’autogestion.
Tristesse du croyant pour le mécréant Bensaïd
13 Janvier 2010 Par Stephane Lavignotte
Un ton tout petit mot pour dire ma tristesse après la mort de Daniel Bensaïd. Invité par Philippe Corcuff et Lilian Mathieu, j’ai rejoint il y a quelques années le comité de rédaction de la revue Contretemps, qui en proximité alors avec la LCR, voulait faire dialoguer la gauche radicale. Moi qui était écolo et libertaire, pasteur, protestant, non-marxiste, non-communiste, non-révolutionnaire, non-trotskyste, je me demandais ce que j’allais faire là, alors qu’on était quelques années avant l’ouverture des portes avec le NPA : je me souviens de l’excellent accueil que me fit Daniel Bensaïd. Il faut souligner sa chaleur et son humour. Son incroyable capacité de travail, y compris pour les boulots ingrats d’une revue. Son écoute, qui le faisait toujours prendre en compte les idées de l’autre, et les discuter sérieusement, sans jamais les carricaturer. De ces réunions, j’aimais l’intelligence, des uns et des autres, jeunes ou plus vieux routier du débat intellectuel. Et là-dedans l’intelligence de Daniel. Grâce à lui, et avec Michaël Lowy, j’ai eu envie de redécouvrir ce qu’il pouvait y avoir de riche dans la pensée de Marx, à apprendre qu’il y en avait eu un jeune et un vieux, quelques unes des voies sans issues, mais aussi des pistes oubliées de sa pensée qui permettent d’ouvir des chemins dans les impasses d’aujourd’hui.
Moi qui suis théologien, je garderai en mémoire la protestation que j’élevais amicalement auprès de lui quand il publia « BHL, un nouveau théologien ». Le bon dieu n’a qu’a bien se tenir, il y aura bientôt des pétitions au paradis...
Oui. L’humour de Daniel Bensaïd. Pas enfermé dans son statut de philosophe, ou de dirigeant internationaliste, ou de sage de la gauche de révolutionnaire ou de cycliste ou de juif ou de marxiste...
Un humour qui fera la différence, le temps passant, avec ces êtres qui ont tout trahi et confondent dérision et humour. Ces âmes mortes.
SELS (Sensibilité Ecologiste Libertaire et radicalement Sociale-démocrate)
L’année 2009 s’est mal terminée avec la mort de Michel Feitag (en novembre) et l’année 2010 a mal débuté avec la mort de Daniel Bensaïd (en ce mois de janvier).
La SELS a été créée en décembre 1997 autour d’un manifeste intitulé « Pourquoi nous nous liguons ? », autour d’un métissage d’expériences politiques diversifiées (anarchistes, socialistes, écologistes et d’ailleurs) se rapprochant de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Puis, après une phase de partenariat expérimental entre la SELS et le LCR, les principaux animateurs nationaux de la SELS ont adhéré à la LCR en 1999. Plus près de nous, les animateurs de la SELS ont accueilli avec enthousiasme la création du Nouveau Parti Anticapitaliste, dont ils avaient anticipé la configuration élargie et pluraliste par rapport à la LCR. Pour cette (petite) histoire et ses enjeux actuels, on peut se reporter à : Philippe Corcuff et Willy Pelletier, « NPA : l’expérience sociale-démocrate libertaire dans la LCR comme analyseur d’enjeux actuels », revue Critique communiste (LCR), n°187, juin 2008, repris sur http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/130808/de-la-lcr-au-npa-l-experience-sociale-democrate-libertaire-comme-a .
Or ces différentes étapes n’auraient pu être franchies sans l’ouverture intellectuelle, l’élégance éthique et la profonde humanité du philosophe et militant de la LCR Daniel Bensaïd, à qui nous rendons ici hommage.
Michel Freitag, sociologue et philosophe québécois d’origine suisse, est moins connu du public français, mais il a marqué la sociologie francophone. Il était devenu un aficionado d’« Infos Sels », en nous encourageant régulièrement.
Messages aussi de : la Ligue des Droits de l’Homme, le Parti ouvrier indépendant (POI)...
Antoine Comte, David Mulmann, Denis Clair, Emre Ongun, Jean Labib, Roger Martelli, Philippe Caubère, Dominique Simonot, Francis Wurtz, Pierre Duharcourt, Christophe Gilbert, Evelyne Alessandri, Michel Rotman, Daniel Mermet, Henri Weber, Janette Habel, Marcel-Francis Khan, André Grimaldi, Charb, Gérard Chaouat, Bruno Morello, Gérard Boulanger...
Disparition de Daniel Bensaïd
Le Parti socialiste vient d’apprendre avec émotion et tristesse la disparition de Daniel Bensaïd, fondateur de la Ligue communiste révolutionnaire.
Ce grand penseur, enseignant à l’Université de Paris VIII, n’a jamais cessé d’accompagner la mutation du mouvement trotskyste. Infatigable débatteur, il était un des théoriciens les plus solides intellectuellement de ce mouvement, en France et dans le monde.
Il a mené sans concession le combat des idées, inspiré par la défense d’un marxisme ouvert et généreux.
Le Parti socialiste présente ses condoléances à la famille de Daniel Bensaïd, à son parti politique et à ses dirigeants.
Communiqué de Benoît Hamon, Porte-parole du Parti socialiste
Mort du philosophe et théoricien Daniel Bensaïd
Portrait de l’homme de la LCR à l’occasion de la sortie de ses mémoires en juin 2004. Dans Une lente impatience il revenait sans lyrisme ni cynisme sur une vie d’activisme, sur ses combats et ses rencontres, prolongés avec conviction par son action altermondialiste d’aujourd’hui.
Les Inrocks.com
Voir sur ESSF : Livres de Daniel Bensaïd : notes et compte-rendu de lectures – 2 –
La ligne rouge : PORTRAIT
Par EMMANUEL PONCET
Le philosophe Daniel Bensaïd, théoricien de l’ex-LCR et du Nouveau Parti Anticipaliste, est décédé à Paris mardi matin, des suites d’une longue maladie. Nous republions ci-dessous un portrait de lui, datant d’avril 2004 :
Voir sur ESSF : Daniel Bensaïd – La ligne rouge
Souvenirs personnels
Je ne suis pas membre du NPA. J’ai quitté la LCR voici 30 ans, une éternité. Je garde surtout en mémoire des faits anciens concernant Daniel Bensaïd. Pourtant, je ressens une grande émotion et un grand vide depuis que j’ai appris son décès.
Parmi les souvenirs qui me traversent l’esprit, j’en retiens neuf :
* Daniel Bensaïd était un militant disponible et courageux. Comme dirigeant de la LCR et de la Quatième Internationale, il a dépensé une énergie considérable pour se rendre là où sa présence pouvait être utile (par exemple en Espagne à l’époque franquiste ,en Argentine durant la dictature). Ses responsabilités ne l’empêchaient pas de répondre à des sollicitations dont l’importance était moindre. En septembre 1968, trois élèves préparant un CAP Electricité avaient été exclus du CET Guynemer de Toulouse pour avoir demandé la création d’un foyer. Leurs camarades s’étaient alors mis en grève et avaient été réprimés très durement (charge policière, réinscription individuelle...). M’étant personnellement investi dans le soutien de ces jeunes (responsables des JC par ailleurs), j’avais été dégoûté par leur isolement malgré la justesse évidente de leur cause (y compris pour les textes de l’institution). Dans ces conditions, j’avais beaucoup apprécié que Daniel Bensaïd et Michel Recanati viennent de Paris pour essayer de donner un coup de pouce à la mobilisation.
* Daniel Bensaïd articulait sans cesse questions d’orientation politique et questions organisationnelles. En octobre 1968, le réseau autour du journal Rouge était imposant sur Toulouse (nous vendions 1200 journaux hebdomadaires) mais l’organisation était défectueuse, tant les cercles noirs clandestins (nous étions dissous depuis juin 68), que les comités rouges (sympathisants). Daniel Bensaïd profita de sa venue (ses parents vivaient dans la ville rose) sur une journée pour discuter puis trouver une solution transitoire jusqu’au congrès local à préparer : une direction de 4, des structures de base (les cercles rouges puisque les cercles noirs n’avaient pas de réalité), un lieu hebdomadaire de réflexion, de rapport entre direction et élus des cercles, de partage des tâches. Une semaine plus tard, l’ensemble tournait assez bien.
* Daniel Bensaïd était léniniste mais sans perte de l’esprit critique, sans autoproclamation publicitaire de l’organisation. Le soir du 1er mai 1969, je présidais un meeting de la LCR dans la grande salle de Toulouse, Place Dupuy. Pris par l’élan, j’annonçai 15000 manifestants réunis par la LCR à Paris malgré l’interdiction générale de tout rassemblement imposée par le gouvernement. Bensaïd me fit passer un petit papier « Rectifie immédiatement. Ce n’est pas 15000 mais 1500 » ; puis lorsqu’il intervint, il commença par quelques mots d’une part sur le rapport entre matérialisme et réalité exacte, d’autre part sur le risque permanent de « réification » d’elle-même pour toute organisation.
* Dans les relations quotidiennes, j’ai toujours trouvé Daniel très sympathique, aimable, souriant, présent dans le dialogue, pas du tout imbu de lui-même, parlant facilement d’autre chose que de politique ; la situation n’était pas tout à fait la même en cas de désaccord politique. En septembre 1970 (si mon souvenir est bon), il écrivit avec Antoine Artous, Paul Alliès et Armand Creus un texte d’orientation avec lequel je n’étais pas du tout d’accord et contre lequel je constituai rapidement un groupe d’une quarantaine d’adhérents sur Toulouse. Je n’eus qu’une discussion avec lui à ce moment-là ; je découvris un Bensaïd faisant totalement corps avec ses questionnements sur la stratégie anticapitaliste et ses embryons de réponse, un Bensaïd capable de pousser le débat jusqu’au bout, jusqu’aux derniers retranchements de son contradicteur. Ce que j’écris là n’est pas une critique ; vu ce qu’il est advenu de la CFDT par exemple, je n’avais pas raison sur tout, loin de là.
* Daniel Bensaïd était un « militant intellectualisé » (pour reprendre son terme) de haut vol, naturellement porteur d’une pensée non découpée en tranches par matière universitaire, capable d’argumenter en mêlant sans cesse des éléments de philosophie, d’histoire, d’économie, de sociologie, de droit... Son souci permanent de réflexion théorique construite reste pour tous un message fondamental, ô combien difficile à poursuivre. A l’automne 1976, il me proposa de prendre en charge une première série de 6 articles pour le quotidien Rouge dans le cadre d’une petite rubrique historique à poursuivre, de la Révolution française à 1968 en passant par 1830, 1848, la Commune, 1936, la Libération. Le problème, c’est que mon fond sur ces questions ne collait pas sur des points importants avec la tradition théorique trotskiste (en particulier pour 36 et la Libération). Nous en parlâmes tranquillement... puis je ne fis rien de plus. En fait, au niveau de réflexion où il posait le débat, je n’étais pas capable en 1976, d’écrire une telle rubrique.
* Parmi les dirigeants politiques, certains sont attentifs à la vie de leurs camarades, c’était le cas de Daniel Bensaïd. Lors de ses venues à Toulouse, il pensait toujours à demander des nouvelles d’une telle ou d’un tel. En 1977, il insista avec Janette Habel pour que j’intègre humainement Michel Recanati dans le petit secteur national que j’animais ; il est vrai que nous avions de bonnes relations ; j’ai répondu oui, en signalant la difficulté du mandat, puis ça n’a pas marché (j’en prends évidemment ma part de responsabilité).
* Daniel Bensaïd faisait corps avec l’idéal socialiste internationaliste. Au moment du « Bicentenaire » de la Révolution française en 1989, j’ai assisté à des manifestations diverses extrêmement sympathiques. Ceci dit, les cercles qui animaient ce bicentenaire manquaient d’abord d’expérience du mouvement social pour comprendre une révolution ; ils manquaient aussi considérablement d’attachement affectif à l’évènement, manquaient aussi probablement de réflexion sur son importance historique. Aussi, le bicentenaire n’a pas amélioré la place donnée à la Révolution française, par exemple dans les programmes d’histoire ; au contraire, le moment du bicentenaire a marqué un recul considérable dans le profil médiatique de Robespierre par exemple comme de toute la période Montagnarde. Or, cette année-là, Daniel Bensaïd, qui n’était historien, ni de formation, ni de passion, sortit un magnifique bouquin aux Editions Gallimard « Moi, la Révolution, remembrances d’un bicentenaire indigne » qui correspondait à ma colère sur ce sujet. Ce « moi, la révolution » résumait assez bien par ailleurs une partie importante de la personnalité de Bensaïd.
* J’ai eu l’occasion de discuter à nouveau avec Daniel Bensaïd et de manger avec lui plusieurs fois lors de deux universités d’été de la LCR entre 2004 et 2008. L’écouter lors de ses exposés était un régal car chaque phrase poussait à la réflexion et même à la remise en cause. Je n’aborderai pas ici les discussions politiques privées abordées en présence d’Antoine Artous en particulier ; en matière de relations unitaires, il avait de toute évidence était échaudé par les expériences négatives de la candidature Juquin, d’Izquierda Unida en Espagne, du PT brésilien, échaudé par la facilité de trahison de nombreux partenaires conjoncturels... et voulait éviter la même déconvenue destructrice au NPA... Je n’étais pas d’accord, mais c’est une autre histoire.
* De tout temps, Daniel Bensaïd a été porteur d’une pensée reposant à la fois sur sa connaissance du sujet traité, une formation marxiste très conséquente et une grande autonomie de réflexion par rapport à ce « marxisme ». Avant-hier, je rangeais quelques rayons de livres lorsque je suis tombé sur des bouquins de lui « La révolution et le pouvoir », « Une lente impatience », « Marx l’intempestif », « Le pari mélancolique », « La discordance des temps », « Qui est le Juge ? », « Walter Benjamin, sentinelle messianique », « Un Monde à changer, mouvements et stratégie », « Éloge de la politique profane », « Marx, mode d’emploi ». Ces seuls dix ouvrages (je sais qu’il m’en manque) seront inévitablement redécouverts par les nouvelles générations qui porteront à leur tour le flambeau des idéaux révolutionnaires d’émancipation. De ce point de vue, il ne fait pas de doute que Daniel Bensaïd ne risque pas de mourir.
Choqué par l’annonce de ce décès, que le lecteur m’excuse d’avoir immédiatement laissé mes doigts dicter d’instinct les quelques paragraphes ci-dessus sur le clavier. Ils manquent de fond mais pas de sincérité.
Jacques Serieys le 12 janvier 2010
Daniel Bensaïd ? Lequel ?
Une quarantaine de personnes dans la salle de la Maison du Peuple à Montauban. Daniel Bensaïd est à la même tribune que Gilbert Wasserman. C’est une réunion politique autour des élections législatives de 1993 à l’invitation du journal Point Gauche !. Ce sera mon seul contact direct avec ce militant LCR bien connu dans la région toulousaine. Je venais de lire son livre sur Jeanne d’Arc et en guise de présentation, je lui ai demandé s’il était judicieux de l’évoquer. J’ai vite compris, et encore plus pendant la soirée, qu’il ne fallait pas confondre les genres. Ce n’était pas Daniel Bensaïd qui était venu à Montauban mais la voix de la LCR dont il était l’humble porteur. J’avais lu avec plaisir les trois derniers livres de l’écrivain dont son Walter Benjamin, sentinelle messianique, j’ai été déçu par l’homme politique. Je n’ai pas été plus enthousiasmé par Gilbert Wasserman, qui, au contraire de Bensaïd, n’était là que pour sa propre voix qu’il cherchait à tout prix à adapter à l’auditoire.
Etrange n’est-ce pas, cette passion de Bensaïd, pour Jeanne d’Arc ? Son livre avait été publié chez Gallimard, collection « au vif du sujet » où il avait déjà publié Moi, la Révolution, collection dirigée par… Edwy Plenel. Le philosophe et écrivain sortira de l’ombre surtout à grâce à Plenel, cet ancien de la LCR qui jouera longtemps un rôle clef au Monde. Vérification supplémentaire de l’importance du réseau de relations pour accéder à la publication (avec Benjamin il s’agissait d’un autre type de réseau). Cette collection publiera aussi le premier livre de Pascale Froment, Je te tue, la même Pascale Froment qui, par contre, laissera de son passage à Montauban, à un des débats organisés aussi par le journal Point Gauche !, un souvenir impérissable.
Mais revenons à Jeanne de guerre lasse où Bensaïd se laisse aller à entendre la voix de Jeanne d’Arc pendant vingt trois jours. Il y case toute son érudition en commençant par une référence à Jeanne d’Arc citée par le Péruvien José Carlos Mariatégui. Si un éditeur me demandait un livre sur ce marxiste incomparable, sûr, je me régalerai à l’écrire car de Lima à Rome en passant par Paris je connais peu d’auteurs aussi attachant ! Mais voilà, il n’a rien pour lui : pensez un philosophe… marxiste… et en plus péruvien ! Bref, rien de sérieux !
Bensaïd cite d’autres références plus classiques, de René Char à Clovis Hugues, en passant par Michelet ou Joseph Delteil, toute la superbe famille des amoureux de la belle Jeanne. Mais au fil des pages la grande idée de départ s’essouffle : Jeanne devient un fantôme quand elle paraît si vivante aux premières pages.
A présent cette question : pourquoi, cette division des rôles entre l’homme politique et l’écrivain ? Pourquoi cette coupure affichée comme une double vie ? Pour bannir dans la pratique cette détestable tradition française de l’intellectuel de gauche qui joue de sa notoriété pour dire la bonne parole ? Il s’agit sans doute d’une conception de l’organisation politique où l’homme est effacé par la dite organisation, conception permettant de se différencier de la politique réduite à une lutte d’égocentriques. Entre Gilbert Wasserman et Daniel Bensaïd les idées étaient à ce moment là très proches mais pas leur conception de la lutte. Aussi, à l’heure de sa mort, Bensaïd pouvait se dire : « j’ai eu raison, mon organisation a tenu la route et la tiendra encore longtemps », tandis qu’à l’heure de sa mort Wasserman pouvait constater, qu’à suivre trop les vents incertains de l’histoire, il était plus que jamais dans le labyrinthe de ses échecs.
Après le débat de Montauban, je ne sais s’il y a un lien de cause à effet, mais j’ai cessé d’acheter des livres de cet auteur me contentant de le lire de nombreuses fois dans quelques revues. Sa disparition est sans doute double : pour le NPA qui perd un guide, pour les intellectuels qui perdent une voix originale.
14-01-2010
Jean-Paul Damaggio
* http://la-brochure.over-blog.com/article-daniel-bensaid-lequel--43224917.html
Pour Daniel Bensaïd
par Henri Maler
Daniel est décédé. Intellectuel ? Philosophe ? Certainement. Mais ces mots lui vont mal qui sont trop souvent les masques grimaçants de la désinvolture et de l’imposture. Théoricien reconnu, du moins par ceux dont la reconnaissance lui importait, il était d’abord un militant. Deux faces pour un même visage et pour une même politique : la « politique de l’opprimé ». Mais aussi deux formes d’activité sous tension : tant il est vrai que le temps de l’intervention n’est pas celui de la recherche et que le courage d’agir ne se le laisse pas déduire de la soif de savoir.
Tardivement médiatisé, Daniel ne fut jamais un intellectuel médiatique : un intellectuel pour médias, en quête de leur consécration et bientôt prisonnier de leur logique. Celle-là même qui flatte les egos et dilate les nombrils. A l’individualisation médiatique de l’intellectuel, il opposait deux principes qui dessinent une figure sinon inédite, du moins particulière de l’engagement. Un principe de responsabilité qui impose de mettre ses idées à l’épreuve d’une pratique collective ; un principe d’humilité qui rappelle que l’on ne pense jamais seul, mais toujours avec d’autres (1). Aux penseurs à grande vitesse, il opposait la « lente impatience » du militant.
Dirigeant — encore un mot qui ne lui va qu’à demi — de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), puis de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), il avait participé à la fondation du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) : il savait que le combat pour le communisme ne supporte pas d’être orphelin de toute appartenance. Longtemps responsable de la Quatrième internationale, il était un militant internationaliste, pas un commis voyageur. Un « soixante-huitard », dit-on. Certes, mais pas un professionnel de sa propre histoire, et encore moins du reniement. Fidèle à l’événement, mais en vertu d’une prise de parti qui l’a précédé et qui ne se confond pas avec lui.
Théoricien, Daniel Bensaïd a rendu Marx à son actualité, critique et stratégique, en lui offrant la compagnie non seulement de Blanqui, Lénine et Trotsky, mais aussi (surtout ?) celle de Charles Péguy et de Walter Benjamin. Sentinelle attentive, comme eux, au surgissement de l’événement qui de toute sa force propulsive lézarde le cours monotone de toutes les formes d’oppression – et les bouscule jusqu’au point où tout bascule ou peut basculer : révolution. Sentinelle qui jamais ne s’est satisfaite d’être seulement vigilante : dans l’action, jusqu’au dernier moment.
Sa vie, son œuvre, son activité ne furent pas, bien sûr, sans failles ni défauts, sans erreurs ni errements. Mais Daniel Bensaïd restera un exemple. Pas une icône : un exemple, tout simplement. Ou, pour le dire mieux et honorer sa simplicité et son humanité, une référence. Du moins pour celles et ceux qui, indéfectiblement, font et refont le pari de l’émancipation humaine.
Henri Maler
(1) Voir, par exemple ce qu’il déclarait lors d’un entretien accordé à Rue 89 :
http://www.dailymotion.com/video/x4fy89_entretien-daniel-bensaid-2_news
Bibliographie
De la trentaine de livres qu’il a rédigés ou auxquels il a participé, on retiendra particulièrement (par un impossible choix) : Walter Benjamin, sentinelle messianique, éditions Plon, 1990. La Discordance des temps : essais sur les crises, les classes, l’histoire, Editions de la Passion, 1995. Marx l’intempestif : Grandeurs et misères d’une aventure critique (XIXe, XXe siècles), Fayard, 1996. Le Pari mélancolique, Fayard, 1997. Le Sourire du spectre : nouvel esprit du communisme, éditions Michalon, 2000. Les Trotskysmes, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002. Une Lente Impatience, éditions Stock, coll. « Un ordre d’idées », 2004. Un nouveau théologien : Bernard-Henri Lévy (Fragments mécréants, 2), Nouvelles Editions Lignes, 2008. Politiques de Marx, suivi de Inventer l’inconnu, textes et correspondances autour de la Commune, Karl Marx et Friedrich Engels, La Fabrique, 2008. Marx, mode d’emploi, éditions La Découverte, 2009 (avec Charb).
* Paru sur le blog du Monde diplomatique :
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-01-14-Pour-Daniel-Bensaid
HOMMAGE À DANIEL BENSAÏD, PRONONCÉ LORS DE SES OBSÈQUES LE 20 JANVIER 2010 PAR CHARLES MICHALOUX
Je connais, je connaissais Daniel depuis près de 45 ans.
Pour celles et ceux de sa génération et de la mienne, c’est une partie de nous-mêmes qui part avec lui ; sans doute la meilleure, celle de notre jeunesse ardente et de nos espérances sans calculs, ni compromis.
Pour les plus jeunes, il était aussi un maître d’espérance ouverte sur le monde et un frère chaleureux de combat et de débat, qu’il illuminait par sa culture et son talent qui nous faisaient croire à l’optimisme de l’intelligence partagée et aux projets toujours renouvelés d’une volonté collective.
Pour nous tous et en nous tous, sa perte a creusé un gouffre que nous n’imaginions pas quand nous redoutions la terrible nouvelle qui nous rassemble aujourd’hui.
Depuis une vingtaine d’années, Daniel se savait atteint de ce mal incurable qui fauche encore des vies partout dans le monde. Il n’en parlait pas mais il ne s’en cachait pas non plus.
Quand il l’a appris –après quelques jours de retraite pour discipliner ses pensées et mettre sa volonté au pas de charge qui était le sien –, il m’a fait l’honneur et l’amitié (avec quelques autres qu’il considérait comme ses proches) de m’en parler.
« Maintenant on va faire du mieux qu’on peut pour continuer », a-t-il conclu face à moi défait, en m’embrassant pour la première fois.
Cette saloperie lui a ravagé le corps qu’il avait gaiement entretenu par le vélo et la course à pied.
Mais il avait décidé de tenir la camarde à distance, même s’il savait que cette histoire lui mordait désormais la nuque.
Avant 90, tout en militant 24 heures sur 24, en participant de près, en animant toutes les bagarres politiques de la JCR, puis de la Ligue communiste et de la LCR, il avait déjà écrit une dizaine de bouquins.
Outre ses nombreux textes et articles (notamment pour la revue Contretemps qu’il avait créée en 2001), il devait en produire une quarantaine au cours des 20 dernières années !
Il lisait des pages par milliers en français évidemment, en anglais aussi, en espagnol, en portugais, en italien, en allemand pour travailler sur Marx dans le texte.
Nous étions ébahis par son énergie, sa puissance de travail, sa facilité presque à en écrire des milliers d’autres, jamais creuses, ni convenues, ni banales.
Dans la lignée de Walter Benjamin, son maître en « passages », il se voyait comme un passeur de carburant pour la pensée et l’action. Une sentinelle et un éclaireur, revisitant les textes pour les habiter en projetant dessus la lumière de sa vaste culture littéraire.
Bien sûr, il n’était pas infaillible, mais toujours avec honnêteté, il n’hésitait pas à sourire de ses erreurs en les reconnaissant.
Lire Daniel, l’écouter, discuter longuement avec lui était toujours une fête, tant il était chaleureux, préoccupé des autres, soucieux de faire partager son enthousiasme jamais entamé pour le vaste projet de changer le monde, en s’engouffrant dans toutes les brèches, en cernant « tous les carrefours du possible » comme il aimait à le dire.
Quand d’autres se sont fatigués, ont baissé les bras pour bientôt aller à la soupe des places et des situations offertes par la société et l’ordre établi, même parées des vertus fanées de l’« alternance », lui s’est assigné un devoir de lucidité, de travail et d’imagination à l’écart des banalités à la mode ou de la vulgate sclérosée du matérialisme primaire.
À la fin des années 80, quand la Contre-réforme libérale battait déjà le tam-tam des médias avant de prêcher les bienfaits de la mondialisation, il avait dû constater en 1988 : « L’idée même de révolution, hier rayonnante d’utopie heureuse, de libération et de fête, semble avoir viré au soleil noir ».
Et il n’a pas ménagé ses efforts, souvent harassants pour lui, pour faire passer l’éclipse.
Si, la crise aidant, il y a un peu plus de lumière qu’alors, même s’il n’y en a pas assez, c’est en grande partie grâce à Daniel qui s’est imposé dans ses années-là comme une balise rigoureuse, fertile et imaginative, reconnue et estimée bien au-delà de sa famille politique : la LCR, la IVe Internationale et aujourd’hui le NPA.
L’hommage public qui lui sera rendu dimanche après-midi à la Mutualité en témoignera avec éclat, j’en suis sûr.
Daniel ne sera pas remplacé. D’autres ont certes pris son sillage : Olivier Besancenot, le NPA, toutes celles et ceux qui font vivre sa pensée et son action maintenant. Daniel était heureux de les voir, nombreux, toujours présents ou récemment embarqués dans l’aventure, même s’il râlait gentiment parfois sur les maladresses, les erreurs, les occasions manquées.
Mais lui nous manquera jusqu’à la fin de nos vies, car la fulgurance de son intelligence et la sincérité de ses implications, y compris personnelles, sont vraiment irremplaçables.
Ici, autour du cercueil de Daniel, nous l’entourons une dernière fois de notre affection, de notre amour (le mot s’impose), de notre reconnaissance et de notre admiration.
Et dans cette épreuve qui nous dévaste, nous pensons aussi à Sophie que nous chérissons pour ce qu’elle est et ce qu’elle a été pour Daniel.
Par ces quelques mots, j’ai voulu rendre à Daniel un peu de l’honneur et de la chaleur de sa présence parmi nous, avec nous.
Cet honneur nous aidera à vivre mais son absence nous minera toujours.
Salut Daniel !