Le 8 décembre 2005, l’Assemblée nationale française adoptait
la création d’une taxe sur les billets d’avion destinée à
financer un programme de lutte contre le sida, la tuberculose
et la malaria. Comprise entre 1 et 40 euros selon les classes
et les destinations, elle entrera en vigueur le 1er juillet 2006
pour 18 mois. Un amendement prévoit qu’au 31 décembre
2007, un bilan conditionnant sa poursuite sera effectué.
De nombreuses organisations dans le monde, dont Attac et
le CADTM, militent en faveur de taxes internationales sur les
mouvements de capitaux (taxe de type Tobin) qui permettraient
de réallouer des ressources vers les plus démunis,
mais aussi de contribuer à une régulation des marchés financiers.
Aussi lorsque Chirac lança un groupe de travail sur une
nouvelle fiscalité internationale pour le financement du développement,
on a pu penser que cette idée de taxe « Tobin »
n’était plus une lubie d’altermondialistes utopiques et
irresponsables.
En 2004, à la veille de l’assemblée générale de l’ONU, Chirac
et Lula, rejoints par le Chilien Lagos et l’Espagnol Zapatero,
plaidèrent en faveur d’un impôt mondial contre la pauvreté.
Mais les pays opposés à une taxation internationale sont
nombreux et en janvier suivant, le discours de Chirac adressé
au forum de Davos fut accueilli avec scepticisme.
On ne parla plus de développement, mais simplement de
lutte contre des pandémies dans les pays pauvres et, au sein
de l’Union Européenne, Paris et Berlin proposèrent une taxe
sur le kérosène ou sur les billets d’avion. Plus question de
taxe sur les transactions financières...
Chirac va pouvoir laisser son nom à une nouvelle taxe, mais,
au fil du temps, cette mesure est devenue une “mesurette”.
Pour la lutte contre le sida, l’ONU évalue les besoins à 15
milliards de dollars pour la seule année 2006. Or les gains
escomptés, 210 millions d’euros par an, sont bien inférieurs,
non seulement à ces besoins mais aussi à ce que pourrait rapporter
une telle taxe à l’échelle de la planète (3 milliards de
dollars). Cela serait déjà bien dérisoire par rapport aux
besoins de développement estimés par le PNUD à 80 milliards
de dollars par an pendant 10 ans.
D’autre part, ce type de taxe transfère la responsabilité des
Etats vers certains consommateurs... et pendant ce temps,
l’aide publique au développement, financée sur le budget des
Etats, reste bien en-deçà des engagements pris à l’ONU en
1970 : 0,7% du PIB. Serait-ce une ruine pour les pays riches ?
35 ans plus tard, seuls cinq pays d’Europe y sont parvenus,
la France traînant encore à 0,41%.
Et cette nouvelle taxe ne fait même plus référence au développement,
il s’agit de lutte contre la pauvreté et plus particulièrement
contre le sida. On ne s’interroge pas sur le système
qui engendre et aggrave la pauvreté. Or le fonctionnement
débridé et spéculatif des mouvements de capitaux, facilité
par l’existence des paradis fiscaux, est l’une des causes de
la pauvreté dans le monde. Une taxe sur les billets d’avion
n’aura aucun impact sur ces mouvements de capitaux.
Lutter contre la pauvreté devrait aussi commencer par l’annulation
des dettes qui étranglent les pays en développement.
Les pays d’Afrique consacrent en moyenne 38% de leur
budget au service de la dette, une part gigantesque puisque
parfois quatre fois plus élevée que l’ensemble de leurs budgets
de santé et d’éducation. La pingrerie des riches créanciers
qui mettent tant d’obstacles à l’annulation de ces dettes
est criminelle.
Quelle cohérence y-a-t-il à prétendre lutter contre le sida ou
la malaria dans les pays pauvres, quand, dans le même
temps, FMI et Banque mondiale leur imposent par les PAS
(plans d’ajustement structurel) de réduire drastiquement
leurs budgets publics et, en matière de santé, la récupération
des coûts sur le dos des usagers et des malades !
Enfin, depuis 1995, l’OMC s’est associée au FMI et à la
Banque mondiale pour imposer le libre-échange aux pays en
développement. Négociations dans le cadre de l’OMC, PAS,
accords de Cotonou les contraignent à libéraliser leurs services,
y compris la santé, à ouvrir toujours plus leur marché
intérieur en supprimant les droits de douane à l’entrée. Or,
pour certains pays, ces droits de douane, outre qu’ils protégeaient
leurs productions locales, leur procuraient jusqu’à
40% de leurs ressources fiscales permettant le financement
de la santé et de l’éducation. Au nom du libre-échange, on
administre à ces pays le « médicament qui tue ». Les pays
riches ne devraient-ils pas aussi cesser d’organiser la fuite
des cerveaux, notamment des personnels de santé ? Sur les
200 infirmières formées au Swaziland ces deux dernières
années, 150 ont été happées par la Grande-Bretagne !
Le financement de la lutte contre le sida, la tuberculose et
la malaria est un bel objectif, mais alors pourquoi rendre
quasi impossible l’accès des pays pauvres aux médicaments
vitaux ? En effet l’ADPIC, cet accord de l’OMC qui protège, par
le système des brevets, les profits des multinationales de la
pharmacie, interdit de fait aux pays pauvres de faire produire
et d’importer des copies de médicaments récents. La procédure
dérogatoire à l’ADPIC, qui vient d’être pérennisée à la
veille de la conférence de Hong Kong, est tellement contraignante
qu’aucun pays pauvre n’a, jusqu’à ce jour, cherché à
la mettre en route. L’épidémie de sida continue donc à se
développer. Mais soucieux de préserver les intérêts de leurs
laboratoires, les pays riches, dont la France, refusent de
modifier l’ADPIC. Comme si l’épidémie de sida n’était pas une
urgence, ils proposent des dispositions dérogatoires impossibles
à mettre en œuvre. Les brevets, eux aussi, tuent !
Sous des apparences de solidarité, on veut bien « lutter »
contre la pauvreté, en maintenant une logique d’assistance,
mais sans rien changer au système qui conforte et renforce la
domination des grandes firmes capitalistes.
La taxe Chirac, qui ne remet pas en cause ce système, n’a
plus grand-chose à voir avec les taxes globales de type
« Tobin » telles que les revendiquent de nombreuses organisations
altermondialistes. C’est ce qu’il faudra faire valoir lors de
la rencontre internationale que Chirac a prévue les 28 février
et 1er mars prochains pour rallier d’autre pays à son initiative
et la rendre ainsi internationale.