Le Camp-Est est le seul centre pénitentiaire de Nouvelle-Calédonie. Il est conçu pour 192 détenus et en héberge actuellement 425.
Il se décompose en six structures :
– La maison d’arrêt pour les femmes qui date de peu et qui accueille huit détenues logées individuellement.
– La centrale pour les jeunes qui est en cours d’agrandissement et surpeuplée.
– La centrale pour les adultes qui purgent de longues peines surpeuplée aussi.
– Le dépôt pour les peines supérieures à un an également surpeuplé.
– Le centre de semi-liberté où il n’y a plus de place pour dormir y compris par terre.
– Et enfin la maison d’arrêt pour les hommes où je suis détenu et qui est la structure la plus surpeuplée actuellement à 282 %.
Dans cette maison d’arrêt, nous sommes cinq et plus souvent six par cellule de 13 m2 . Il y a trois lits superposés d’un côté et deux de l’autre. Ces lits sont fabriqués en tube d’acier carré et boulonnés aux murs. Le sixième détenu dort par terre entre les deux colonnes de lits.
Le sol de la cellule est en béton ce qui rend l’entretien difficile et ne facilite pas l’hygiène.
Il y a un W-C à la turque que nous utilisons aussi comme douche à l’aide d’un bidon en plastique en prenant l’eau de la chasse d’eau. Accroché au muret qui cache une partie du W-C, se trouve un bac en béton de 85 cm de long pour 50 cm de profondeur.
Tout le linge des prisonniers reste dans leurs sacs, sous les deux lits du bas, par manque de place.
Pour éclairer la cellule, il n’y a qu’une ampoule encastrée dans un trou du mur au dessus de la porte. Pour la lumière du jour, il y a un trou avec des barreaux, sans fenêtre située à 2 mètres de hauteur dans le mur opposé à la porte. Ce trou mesure 1,48 m de long par 50 cm de haut. La lumière tant extérieure qu’intérieure est donc très faible d’autant qu’un mur d’enceinte est proche des cellules.
Il y a un téléviseur de 36 cm posé au dessus de l’armoire métallique vissée au mur.
Il n’y a qu’une seule prise de courant que nous ne pouvons pour ainsi dire pas utiliser car le réseau électrique est défaillant et disjoncte souvent à la moindre consommation électrique. C’est ainsi qu’on nous refuse les bouilloires électriques qui pourtant seraient pratiques pour préparer le café, le thé ou des soupes.
Pour terminer, un ventilateur est accroché au mur dans les cellules mais pas toutes. Il faut savoir qu’actuellement l’été arrive, et il va faire entre 35 et 40 degrés ce qui fait que nous sommes obligés de dormir torse nu et à l’air libre alors que nous sommes envahis par les moustiques, les souris et les cafards, cafards que nous retrouvons parfois dans nos plateaux repas.
A six dans une cellule, nous disposons donc de 3,80 mètres carrés pour circuler, à six ? Ceci est impossible et oblige tout le temps deux à trois d’entre nous à rester couchés sur nos lits car nous ne pouvons pas non plus nous asseoir dessus ces lits étant verticalement séparés de 60 cm.
Les promenades commencent le matin à 6h30 pour la première pour se terminer à 16 heures pour la dernière. Elles durent ½ heure le matin et ½ heure l’après midi car dans la maison d’arrêt pour 196 détenus répartis en quatre blocs, il n’y a que deux gardiens. Cela dit, nous avons tout de même sport le lundi, mercredi et vendredi matin pendant 1h30, ce qui fait que ces jours là, nous sommes enfermés dans la cellule pendant 22 heures sur 24 au lieu des 23 tous les autres jours.
Pour la nourriture, en dehors du fait que c’est toujours la même chose et parfois immangeable on nous donne de l’eau chaude, des sachets de café, sucre et thé, le matin à 5h30, pour le repas de midi, il nous est donné dans la cellule entre 10h30 et 10h45 et celui du soir entre 16h30 et 16h45. Ces repas se résument à une barquette inox contenant le plat principal et un fruit, un gâteau sec ou un yaourt. Comme je l’ai dit plus haut à plusieurs reprises, nous avons trouvé des cafards, des chenilles et même un bout de caoutchouc dans le plat principal.
Enfin pour les visites, nous ne disposons que de deux visites d’une demi-heure par semaine, alors que le code de procédure pénale, le guide du prisonnier de l’OIP et le recueil « droits et devoirs de la personne détenue » du ministère de la Justice diffusé et applicable depuis janvier 2009 stipulent que les prévenus doivent avoir au minimum trois visites par semaine. En nombre de visites nous sommes donc en deçà de la loi et pour le temps de visite minimum légal.
J’ai saisi officiellement la direction du Centre pénitentiaire en leur demandant de respecter la loi et les directives du ministère, mais à ce jour rien n’a changé.
Sachez aussi qu’il n’y a aucune structure de formation permettant une réinsertion efficace des jeunes ce qui fait que beaucoup d’entre eux entrent en prison pour de petits délits, s’endurcissent pendant leur détention et à leur sortie deviennent des petits caïds.
Depuis cinq mois que je suis là, j’en ai vu sortir un bon nombre qui est revenu pour de nouveaux faits quelques jours ou semaines plus tard.
A peu près 97% de la population carcérale sont des jeunes kanaks et pour des faits identiques, j’ai remarqué que ces jeunes sont plus facilement et plus lourdement condamnés. Je doute franchement de l’indépendance de la justice ici chez nous.
Pour ce qui concerne, l’accès aux soins, il y a un médecin et deux infirmiers. Le médecin est là les jours ouvrables et un infirmier passe les jours non ouvrables pour les soins uniquement. Un dentiste vient deux fois par semaine, ce qui fait que les patients attendent au minimum deux à trois mois pour être reçus.
Le Camp-Est est une prison d’un autre temps, délabrée, construite il y a plus d’un siècle. Je pense que certains blocs de détention ont été construits avec des matériaux qui renferment de l’amiante, ce qui est le cas d’une majorité de monuments de cette époque.
Nous détenons le record de France d’évasions avec quatorze depuis début 2009. Ceci ne me choque pas car les détenus dont la famille est dans le Nord ou les îles n’ont presque jamais de visites. Aucune cabine téléphonique n’est mise à disposition au moins pour ces détenus. Je m’étonne d’ailleurs qu’il n’y ait pas plus de suicides.
Le personnel du Centre pénitentiaire n’est pas mieux traité pour ce qui concerne les conditions de travail, ce qui affecte évidemment les conditions de détention.
Il y a un peu plus de 70 gardiens, effectif théorique car dans la pratique avec les congés, les arrêts maladie dus souvent au stress, il n’en reste que 45 à 50 pour gérer 24 heures sur 24 plus de 420 détenus. Certains dimanche, il n’y a eu dans le Camp-Est que quatre gardiens, un pour 100 détenus, invraisemblable et pourtant vrai. Beaucoup de gardiens, dont certains de mon syndicat n’aspirent qu’à une seule chose, être mutés dans une autre administration. Ils sont totalement démotivés.
Pour ce qui me concerne je ne vais pas rester ici une éternité mais je crains beaucoup pour tout le monde que ce soit détenus ou gardiens.
Il faut dans les plus brefs délais apporter des changements radicaux, faute de quoi on va à la catastrophe. Maintenant que je connais la réalité du Camp-Est, je vais me battre pour faire changer les choses.
Je vous remercie d’avoir pris de votre temps pour lire ce petit état des lieux de la prison qui à mon sens aujourd’hui se classe à la dernière place des prisons dites françaises. La patrie des droits de l’homme n’a vraiment pas de quoi être fière de ce qu’elle fait ici dans notre Pays.
Gérard JODAR
Président de l’USTKE
Détenu au Bloc 1 Cellule 4
Centre Pénitentiaire de Nouméa