De Saint-Denis de la Réunion,
Ce mépris colonial est d’autant plus insupportable que le chikungunya n’est ni un mal inconnu, ni une grippe bénigne. La maladie frappant les régions les plus pauvres de l’Afrique et de l’Asie, la recherche d’un vaccin « non rentable » contre le chikungunya n’a suscité que peu d’intérêt dans le domaine thérapeutique.
En revanche, au début des années 1980, le virus était étudié par l’armée américaine en vue d’utilisations militaires. Il est actuellement enregistré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au nombre des germes pouvant être employés pour la fabrication d’armes bactériologiques. Les malades du chikungunya - « maladie de l’homme courbé » en swahili - subissent de fortes fièvres et des maux de tête. Ils endurent, durant plusieurs mois, de fortes douleurs musculaires et articulaires, qui réduisent la mobilité et rendent tout effort ou travail extrêmement pénible. Pour les personnes âgées, les femmes enceintes et les enfants en très bas âge, le virus peut être mortel. La maladie n’étant transmissible que par les piqûres de certains moustiques, les démoustications et les distributions de répulsifs aux populations constituent les seules parades.
À la Réunion, le chikungunya frapperait aujourd’hui près de 250 000 habitants. 80 personnes au moins seraient décédées des suites de la maladie. Ce bilan catastrophique est imputable à l’incurie et à l’incompétence des autorités centrales, mais aussi aux politiques successives de destruction des services sanitaires et sociaux. Analysant les documents officiels, une enquête d’Attac-Réunion signale ainsi que « les services de prophylaxie de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales ont vu venir l’épidémie dès 2004 ».
L’épidémie aggrave encore les injustices dans une région où le taux de chômage approche 40 %. Comme l’exprime Yoga Thirapathi, médecin hospitalier et militant de Maron [1] : « On note d’une façon flagrante l’inégalité devant l’accès aux soins, entre ceux qui ont la climatisation, et qui peuvent fermer leur fenêtre, et ceux qui ne peuvent pas se payer des répulsifs. Ne pas distribuer à la population des moyens de se défendre, ce n’est pas une erreur, c’est un crime. Les deux pics de la maladie concernent, comme par hasard, les régions les plus défavorisées. »
Les commentateurs officiels sont unanimes pour déplorer les effets du chikungunya sur les profits du tourisme et l’image de l’île. Ce sont en réalité les classes populaires qui font les frais de l’épidémie. D’autant que, malgré le statut départemental, les Réunionnais ne disposent pas de certains droits sociaux reconnus aux « vrais » Français. Les travailleurs atteints peuvent perdre plus de 20 % de leur salaire !
De passage à la Réunion, dimanche 26 février, Dominique de Villepin, tout à son rôle de patriote d’opérette, assurait les Réunionnais de la « solidarité de toute la communauté nationale, et de l’engagement sans réserve du gouvernement », après s’être avec cyniquement félicité de la gestion - ou l’absence de gestion - de la crise par son gouvernement. Après s’être adressé aux « plus démunis », il n’a laissé aucun doute quant aux bénéficiaires de la « solidarité nationale » : sur l’ensemble des 91 millions d’euros alloués au plan de lutte contre l’épidémie, 60 millions iront aux entreprises ! Nul doute que les patrons métropolitains et leurs alliés réunionnais, grands chasseurs de subventions, sauront en faire bon usage.
Note
1. Mouvement pour une alternative réunionnaise à l’ordre néolibéral. Organisation de la gauche anticapitaliste dans laquelle militent les sympathisants de la LCR.