Pour la première fois depuis le début de l’année, une intersyndicale devait se tenir, lundi 8 février, à la CGT. En l’absence de FO - qui boude ce « G8 » syndical depuis l’été 2009 - et la CFTC étant là en observateur, la CGT, la CFDT, la CFE-CGC, l’UNSA, la FSU et Solidaires vont préparer le sommet convoqué par Nicolas Sarkozy, le 15 février, avec les seules confédérations, sur l’agenda social 2010. Elles vont aussi fixer un calendrier de réunions pour rechercher une expression commune sur les retraites. Mais, à défaut de contre-propositions unitaires sur un sujet qui les divise, la CGT, qui lance une semaine de « sensibilisation » du 15 au 19 février, espère un accord minimal de « méthode ».
Nonobstant l’avertissement de Michel Rocard, qui assurait, en publiant son Livre blanc sur les retraites en avril 1991, qu’il y avait de quoi « faire sauter trois ou quatre gouvernements », M. Sarkozy va relever le défi « immense » de la réforme des retraites. Le 15 janvier, lors de ses voeux aux partenaires sociaux, le président de la République a eu recours à une curieuse formule pour marteler sa volonté. Après avoir noté que « cela fait cinquante ans que nous gagnons un trimestre d’espérance de vie par an », il a ajouté : « Cinquante ans après, peut-être est-il temps de prendre des décisions. » François Fillon, l’artisan, avec la loi du 21 août 2003, d’une réforme - dont l’article premier proclamait que « la nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations » -, a dû apprécier.
Si les gouvernements ne « sautent » pas, chaque équipe doit, tel Sisyphe, rouvrir le chantier des retraites. Edouard Balladur, en 1993, et Jean-Pierre Raffarin, en 2003, s’y sont attelés avec succès. Alain Juppé s’y est cassé les dents en 1995. Lionel Jospin a juste créé un Fonds de réserve, guère alimenté. La réforme de 2003, qui a porté la durée de cotisations à 41 ans en 2012 pour une retraite à taux plein, a souffert d’un double vice. Son financement devait être assuré par un retour au plein-emploi - avec un taux de chômage de 5 % - qui est très loin d’être au rendez-vous. Et la négociation sur la prise en compte de la pénibilité n’a jamais abouti. Sueurs et larmes plantent le décor de la réforme de 2010 et rendent le consensus introuvable.
Avec des accents churchilliens, M. Fillon a fixé le cap. Le besoin de financement des retraites dépasse aujourd’hui 25 milliards d’euros. « Il nous manquera 100 milliards d’euros par an pour financer nos retraites à l’horizon de 2 050 », a averti le premier ministre dans Le Figaro du 30 janvier. Ainsi, avant toute concertation avec les partenaires sociaux, le gouvernement semble avoir arrêté ses choix. Il s’oriente vers un nouvel allongement de la durée de cotisations - 41,5 années en 2020, 43 à 44 ans d’ici à 2050 - et, surtout, une remontée de l’âge légal de la retraite.
Depuis le 1er avril 1983, suite à une ordonnance de Pierre Mauroy en date du 26 mars 1982, l’âge légal est fixé à 60 ans. Mais l’âge moyen effectif est de 61,6 ans. « Sans aucun doute, il faudra toucher à ce curseur-là », a lâché Xavier Darcos, le ministre du travail. Avec une arrivée plus tardive sur le marché du travail, les salariés commencent à cotiser à 22 ans, ce qui pourrait conduire à relever l’âge légal à 63 ans. Cerise sur le gâteau, M. Fillon envisage de calculer la retraite des fonctionnaires non plus sur les six derniers mois de salaire mais sur les vingt-cinq meilleures années, comme pour le secteur privé.
Les syndicats voient dans ces projets des chiffons rouges. Ils s’arc-boutent, à l’exception de la CFE-CGC, sur la retraite à 60 ans. Opposés à l’allongement de la durée de cotisations, ils réclament une prise en compte de la pénibilité qui permette aux salariés concernés de partir plus tôt. Et ils relèvent la contradiction entre le recul de l’âge de la retraite, réclamé par le Medef, et un marché du travail qui employait, en 2008, seulement 38 % des 55-64 ans, loin de l’objectif des 50 % en... 2010. Mais sur les solutions, ils divergent même s’ils recherchent de nouvelles ressources, d’un élargissement de l’assiette de cotisations à une taxation des stock-options.
Martine Aubry se dit prête à discuter d’une réforme avec M. Sarkozy. Après avoir esquissé, le 17 janvier, une ouverture sur l’âge de la retraite - « on doit aller, on va aller très certainement, vers 61 ou 62 ans » -, la première secrétaire du Parti socialiste a fait marche arrière, en réitérant le dogme de la retraite à 60 ans. Mais le PS, qui ne détesterait pas que la question soit tranchée avant 2012, n’a pas fermé la porte. Il ne réclame plus l’abrogation de la loi de 2003. Et Laurent Fabius s’est déclaré « favorable à ce qu’il y ait plus de souplesse dans l’effectivité » du droit à la retraite.
En ouvrant le chantier au lendemain des régionales, M. Sarkozy sait qu’il se heurtera à une absence de consensus. Il semble décidé à aller vite, à boucler la réforme d’ici juin - avant le congrès de la CFDT et le renouvellement (éventuel) du mandat de Laurence Parisot au Medef - et à la faire voter en juillet. Il choisirait ainsi le passage en force. Convaincu d’avoir le soutien de l’opinion, il se ferait fort de résister à la fronde syndicale - quitte à « dealer » avec la CGT sur le niveau des pensions, comme sur les régimes spéciaux en 2007 - et d’être le président qui aura réussi la réforme des retraites. Le pari manque de prudence, mais pas d’audace.
Michel Noblecourt