Du fait de la colonisation, à la suite de la période esclavagiste, l’histoire de France a rapproché des individus issus de tous les continents. Un processus qui se prolonge dans les immigrations anciennes et récentes. Ceux qui ont vécu ce passé sont nos grands-parents et nos arrière-grands-parents ; ils ont traversé ensemble les tragédies des XVIIe et XVIIIe siècles, les bouleversements et conquêtes du XIXe siècle, les conflits et espoirs du XXe siècle, ils ont partagé la boue des tranchées puis le combat contre la barbarie nazie et les conflits pour les indépendances.
Cinquante ans après les décolonisations (1960), la politique de non-mémoire se fissure aujourd’hui, et la génération postcoloniale est en quête d’un autre récit historique. Une page est tournée, la « fracture coloniale » dans la société française est avérée. Nous devons entrer dans le temps des « ruptures postcoloniales ». Les « mémoires coloniales » et les « mémoires de l’esclavage » ont été irriguées par le travail des historiens, les commémorations engagées depuis 1998, les demandes sociales d’une histoire apaisée mais aussi, paradoxalement, par les « dérapages » de la loi de février 2005 vantant le « rôle positif de la colonisation ». Tout cela montre que notre présent cherche à « digérer » ces passés.
Pour autant, les élites politiques (de droite comme de gauche) ne se saisissent pas de cet enjeu et se gardent d’intervenir dans un débat sur un passé qui a conduit notre relation au monde pendant près de quatre siècles.
ASSUMER LA RÉPUBLIQUE MULTICULTURELLE
Dans la France du XXIe siècle, les « minorités visibles » restent ignorées du paysage audiovisuel, boycottées à l’Assemblée nationale, absentes du CAC 40, peu nombreuses dans la haute administration ou la diplomatie... Des élites recroquevillées sur elles-mêmes, dans une sorte de République incestueuse. Un Etat monochrome, comme le sont les médias, pour une nation multicolore. Quel paradoxe !
Et lorsque l’on pose la question des identités, certains opposent immédiatement à cette démarche le refus du « communautarisme » ou du « repli identitaire ». Or, ce ne sont pas les interrogations identitaires qui créent le repli communautaire, c’est le fait de ne s’interroger qu’avec ceux de son groupe. Ce qui arrive fatalement si l’on ne peut y réfléchir ensemble, dans la République. Il est alors aisé de qualifier de « communautariste » la solidarité affichée par ceux qui souffrent de discriminations... Le serpent se mord la queue et on revient toujours à la case départ. Il est temps d’en sortir, définitivement.
De l’autre côté de l’Atlantique, les minorités ethniques ont trouvé, il y a bon nombre d’années, une terminologie pour se nommer. La question tranchée, elles sont passées à l’action. En France, nous cherchons toujours le bon mot. Si l’Amérique n’est pas la panacée, si la France doit trouver ses propres schémas, elle a l’obligation de sortir du spectre de « l’identité nationale » et de miser sur l’avenir. Il faut parler de la « question raciale » sans la diluer dans la « question sociale », sans chercher à faire primer l’une sur l’autre, sans vouloir les hiérarchiser au sein de la République.
Notre conviction est que la pluralité, partout, doit être encouragée par une action positive à la française. Dans la culture, les entreprises, la haute administration, les partis politiques, le soutien à la création entrepreneuriale, le logement, l’éducation. Partout, assumons une politique multiculturelle, fraternelle, paritaire, qui sera aux couleurs de la France ! Un projet d’avenir, une projection possible pour tous, ensemble !
En considérant la pluralité non comme un obstacle, mais comme la condition de notre unité, nous retrouverons le ciment de notre cohésion sociale. Etre français, ce n’est pas une permanence, ce n’est pas un concept figé, c’est le désir de vivre ensemble, dans nos identités mêlées, dans nos campagnes, dans nos quartiers, dans nos outre-mers, dans nos villes, sans devoir renier une partie de nous-mêmes. C’est ce que nous proclamons à travers notre Appel pour une République multiculturelle et postraciale, suivi de propositions concrètes formulées par plus de cent contributeurs et diffusé depuis le 20 janvier 2010.
Signataires : Pascal Blanchard, Marc Cheb Sun, Rokhaya Diallo, François Durpaire, Lilian Thuram