I – Le 15 octobre 2008, au moment le plus critique de la crise se sont développées une série de réunions, dans le cadre du Forum des Peuples Asie-Europe (FPAE) à Beijing, animées par le Transnational Institute et Focus on the Global South. Ces réunions se sont conclues sur la « Déclaration de Beijing » (un document contenant des mesures pour le secteur financier, des mesures fiscales, pour les dépenses publiques et les investissements, le commerce international et les finances, l’environnement, l’agriculture et l’industrie), dont l’objectif était d’avancer sur des « propositions pour le débat, l’élaboration et l’action ». [1]
L’idée de départ était que la crise ouvrait une opportunité sans pareil pour attirer du monde au moyen de l’action concrète, vers les idées auxquelles on travaillait depuis des années et dont l’objectif s’inscrivait dans ceux de la Charte de principes du FSM : « l’articulation d’actions efficaces de la part des entités et des mouvements de la société civile s’opposant au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital ou toute forme d’impérialisme ».
Après un an et de grandes mobilisations en France, en Italie, en Grèce…, les différentes initiatives mises sur pied – parmi lesquelles est à noter le « Cross Network Space on the Global Crises » et ses successives déclarations – ont mis en évidence leur incapacité dans cette crise pour articuler des mobilisations contre les politiques patronales et gouvernementales et la faiblesse politique et stratégique du mouvement.
II – Une faiblesse dont l’origine est le fait de cibler comme objectif central la récupération du « bon fonctionnement » du système et non pas la formulation des alternatives. Le raisonnement le plus achevé de cette position se trouve dans le texte de Peter Whal (l’une des personnes référentielles pour le « Cross Network Space on the Global Crises ») With realistic radicalism : Which approach to the upcoming era of reforms [Avec un radicalisme réaliste : quelle approche à l’ère de réformes qui s’annonce ?]. [2]
D’après Peter Whal, ce qui est arrivé n’est pas la fin du capitalisme en tant que tel, mais d’un certain type de capitalisme » et conclut disant que l’axe central des mouvements dans cette période doit être de « profiter de l’opportunité pour influer sur l’orientation de base du processus de réformes en vue d’un New Deal ». Voilà le point de départ et d’arrivée d’un « radicalisme réaliste ». Deux termes difficiles à associer et qui au final dérivent en politiques qui ne sont ni réalistes ni radicales.
Et ceci, parce que, d’abord, les politiques néolibérales ne sont pas remises en cause véritablement par les élites et on ne chemine pas vers un New Deal ( les marges du système sont étroites et ce qui est déterminant c’est le rapport de forces et non pas la crise) et deuxièmement parce que les propositions « radicales » se limitent à une régulation des finances ; cependant, les finances ne sont que le miroir où la crise du système se reflète.
Ainsi, la radicalité de ce type de propositions ne s’approche même pas, d’une des conclusions élémentaires que F. Houtart a formulé dans la Commission pour la réforme du système monétaire et financier de l’Assemblée générale des Nations unies : orienter la production vers les valeurs d’usage et non pas vers les valeurs d’échange. [3]
Et, comme elles s’inscrivent dans le système capitaliste, elles s’arrêtent aux portes de la propriété privée (la sacro-sainte et intouchable propriété privée) et du contrôle social de la production et des finances. Le « radicalisme réaliste » se synthétise donc, par les mesures « d’assainissement » depuis le système et pour le système.
Un “radicalisme” éloigné de la radicalité du mouvement alter mondialiste fondé sur la rupture avec la logique du marché, de l’appropriation du privé et de l’encouragement à la mobilisation pour la transformation sociale. Un radicalisme qui ne répond pas à ces trois questions de base face à la crise :
• quelles sont les décisions à prendre (en ce qui concerne la crise, la production, la distribution, la consommation, la crise sociale, énergétique, environnemental…) ;
• qui prend les décisions (quel pouvoir pour la citoyenneté, pour les travailleurs et les travailleuses, les paysans et les paysannes, les communautés indigènes… ?) et
• Où les décisions sont prises (dans des institutions sans aucun contrôle démocratique, tel que l’OMC, le FMI, le G-20… ou au moyen de mécanismes de démocratie participative et directe ?)
III – A côté de cette réalité, il y a aussi celle des mobilisations que nous avons vécu tout le long de ces mois : les premières grèves générales en Grèce, France, Italie… Et les luttes contre les fermetures d’entreprises et les licenciements : des luttes difficiles, radicales (occupation d’entreprises, séquestration de patrons…) et d’autres, longues, qui pourtant finissaient par mourir d’elles-mêmes, isolées, désorganisées, à cause des stratégies syndicales orientées plutôt vers des politiques de consensus, de dialogue social avec le patronat et le gouvernement, évitant de faire face à la crise.
Avec la foi des convertis à la compétitivité de l’économie comme condition pour sortir de la crise, s’intégrant ainsi au chœur du patronat et des gouvernements successifs , le mouvement syndical (CSI, CES) continue à insister sur une voie qui, dans les dernières trente années, n’a fait qu’affaiblir le rapport de forces du mouvement ouvrier et syndical face au capital : le dialogue social.
Une politique avec des résultats presque nuls qui, pendant cette crise, a démontré son incapacité à articuler des réponses coordonnées face aux processus de reconversion patronale (avec des fermetures d’entreprises et/ou licenciements) au sein des multinationales (de l’automobile, de la sidérurgie, etc.) ou à encourager les mobilisations face à la croissance vertigineuse du chômage et à la démolition sociale organisée par les politiques gouvernementales.
La Via Campesina est un des mouvements qui se démarque dans sa reflexion et sa stratégie de confrontation à la crise ; elle a bien analysé les racines systémiques de la crise – pas seulement dans l’économique, mais dans l’environnemental et l’alimentaire – et elle travaille à la construction d’alliances partout dans le monde, un parcours qu’elle est trop souvent obligée de faire en solitaire.
IV – La crise, au-delà de la récupération des marchés financiers ou de l’augmentation du PIB, va durer et ses effets sociaux deviendront chaque fois plus aigus au fur et à mesure que le temps passe. Et un an après son surgissement le rapport de forces face au patronat et aux gouvernements ne s’est pas amélioré.
Dans ce contexte, les Forums sociaux – qui devraient être utiles à la coordination de réponses et à l’articulation des mouvements,- comme ils l’ont été face à la guerre d’Irak – se montrent paralysés : l’énergie déployée pour arriver à de larges consensus se fait souvent au détriment de la construction de mobilisations significatives ; cela entraîne des engagements précaires, qui ne sont utiles pour renforcer la mobilisation. La faible mobilisation du 28 mars 2009, malgré la radicalité qui s’est exprimé au FSM de Belém, en est la preuve.
Et ce qui est le plus préoccupant c’est la faible participation aux grands rendez-vous de mobilisation, comme celle du 12 décembre à Copenhague, de nombreux collectifs qui pourtant participent aux Forums sociaux,. Tout ceci soulève deux questions :
• la première, sur l’utilité de larges consensus et d’engagements précaires face à la mobilisation, quand celle-ci acquiert une importance vitale pour répondre à la crise, et
• le besoin de redynamiser dans l’espace des Forums – mais pas seulement là – l’Assemblée des mouvements sociaux dont le but soit « d’articuler des actions efficaces » contre la crise.
V – Des mobilisations comme celle du 12 décembre à Copenhague démontrent les capacités de mobilisation. Et il existe aussi, la persistance des luttes contre les agressions patronales et gouvernementales. Le problème est que ces luttes ne s’accordent presque pas avec les politiques des Confédérations syndicales ou des ONGs, hégémoniques dans les Forums et se trouvent aussi assez éloignées d’initiatives comme celle du « Cross Network Space on the Global Crises ».
Il ne s’agit pas ici d’abandonner ces espaces de rencontres, de dialogue et de confrontation politique. Mais pour arriver à « un autre monde » cela signifie certes un débat approfondi entre ceux qui considèrent que l’alternative est celle « d’influer » sur la configuration du « nouveau capitalisme » et ceux qui s’inscrivent dans une rupture du capitalisme , mais surtout être conscients que pour faire face à la crise on ne peut se limiter aux débats, au dialogue et à la confrontation politique et idéologique.
Nous avons besoin, tout particulièrement, des espaces pour articuler des actions, des luttes :
• Des mobilisations, qui de fait mettront en cause la logique du capitalisme : est-il en effet possible de sauver les emplois en respectant la propriété privée ? Et de préserver les conquêtes sociales en sauvant les bénéfices des banques , des actionnaires et des multinatioanles ? Et d’empêcher la destruction des économies agricoles et donc le développement de la faim pour1/5 de la population mondiale en préservant les bénéfices de l’agro-industrie ?...
• Des mobilisations, non seulement à l’occasion des contre sommets comme celui de Copenhague, mais surtout en solidarité avec les luttes actuelles contre les attaques patronales et gouvernementales. Des initiatives pour rompre l’isolement des luttes dans des entreprises et dans le secteur public et pour favoriser leur convergence.
Comment le faire ? Voilà le débat urgent à l’heure actuelle.
Josu Egireun
29-12-09