Le pape devait poursuivre, mardi 16 février, les entretiens qu’il a engagés, lundi, avec chacun des vingt-quatre évêques irlandais convoqués à Rome après la révélation, ces derniers mois, d’abus sexuels commis par des prêtres sur des centaines de mineurs et couverts par la hiérarchie catholique durant des décennies.
Au-delà des faits, désormais connus grâce à deux volumineux rapports de la justice irlandaise publiés en mai et en novembre 2009, les prélats devaient réfléchir aux moyens de rétablir la confiance entre la population, majoritairement catholique, et l’institution. A l’issue de ces deux journées, le pape pourrait rendre publique la lettre qu’il doit adresser en ce sens aux fidèles irlandais, une procédure inédite.
Recevant des responsables religieux irlandais en décembre, Benoît XVI a déjà qualifié les actes de pédophilie « de crimes abominables ». Lundi, le numéro deux du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone, a estimé que l’Eglise d’Irlande traversait « une grave épreuve, qui voit certains hommes d’Eglise impliqués dans des actes particulièrement exécrables » ; face à ces scandales, il a mis en avant le risque pour les fidèles « de perdre la foi en Dieu ».
Le primat d’Irlande, Sean Brady, qui a jugé lundi le pape « très préoccupé » par ces scandales, espère que cette convocation à Rome lancera « un processus de repentance, de réconciliation et de renouveau ». L’archevêque de Dublin, Diarmuid Martin, a déclaré qu’il en attendait « une réorganisation très significative de l’Eglise d’Irlande », dont le poids reste fort dans le pays.
Mgr Martin a soutenu l’enquête que la justice irlandaise a menée sur les 320 plaintes déposées contre des prêtres dans son diocèse. Sa coopération a suscité des dissensions au sein de l’épiscopat. Suite à l’ampleur des révélations, quatre évêques ont présenté leur démission, dont un ancien secrétaire particulier de Paul VI et de Jean Paul II. Une seule démission a pour l’heure été acceptée par Benoît XVI. Les associations de victimes réclament des sanctions à l’encontre d’autres responsables.
Cette rencontre entre les évêques irlandais et le pape marque un pas supplémentaire dans la politique amorcée depuis le début des années 2000 par le Vatican dans la gestion des scandales de pédophilie qui secouent régulièrement l’Eglise catholique à travers le monde, et qui fragilisent à la fois sa crédibilité et ses finances.
En 2002, suite à la révélation d’abus sexuels commis par des milliers de prêtres aux Etats-Unis, le pape Jean Paul II avait pour la première fois convoqué les cardinaux américains. Cette convocation historique rompait avec la culture du secret entretenue sur la question dans l’Eglise ; elle était censée avoir valeur d’exemple pour les autres épiscopats.
Face à l’ampleur du scandale, l’Eglise catholique américaine a rédigé une Charte pour la protection des enfants et des jeunes, qui prévoit un plan de « tolérance zéro », avec notamment la suspension de la charge d’un prêtre dès la première accusation à son encontre, la saisine systématique de la justice civile et un accompagnement psychologique des séminaristes.
Ces engagements se sont accompagnés du règlement de dédommagements financiers versés aux victimes. Aux Etats-Unis, ces indemnités sont évaluées à près de 2 milliards de dollars (1,4 milliard d’euros). Suite à ces paiements, sept diocèses se sont déclarés en faillite.
L’Eglise d’Irlande devrait, elle aussi, voir monter les demandes de dédommagements. Reconnues coupables de mauvais traitements sur les enfants de milieux défavorisés dont elles avaient la charge, des institutions religieuses ont déjà commencé à indemniser leurs victimes.
Ailleurs, la prise de conscience de la gravité des actes de pédophilie a aussi eu lieu au début des années 2000. La France a mis en place un groupe de travail multidisciplinaire sur la question. Cette réflexion a débouché, en 2002, sur la publication d’un livret de 52 pages, Lutter contre la pédophilie, repères pour les éducateurs. En 2002, l’Eglise des Philippines, elle aussi touchée, a « présenté ses excuses » et entériné la démission de plusieurs centaines de prêtres.
Changement d’époque et de personnalité, le pape Benoît XVI se montre plus enclin que son prédécesseur à aborder ces questions. De manière spectaculaire, il avait rencontré des victimes d’abus sexuels lors de son voyage aux Etats-Unis en avril 2008 et exprimé « sa honte » face à de tels agissements. Quelques semaines plus tard, en Australie, un pays qui n’a pas été épargné par ces affaires, il s’était déclaré « profondément désolé pour les souffrances endurées par les victimes ».
Mais la répétition de ces déclarations de compassion pourrait paraître insuffisante si d’autres scandales sont révélés, comme c’est le cas aujourd’hui en Allemagne, secouée par des scandales d’abus sexuels dans des établissements scolaires tenus par des jésuites. Le pape pourrait alors devoir multiplier les rencontres avec les épiscopats. Mais, surtout, demander à l’institution de se montrer plus intransigeante, et de mieux veiller à l’accompagnement psychologique et affectif de son clergé.
Stéphanie Le Bars
En France, « une dizaine » de prêtres mis en examen
En France, « une dizaine » de prêtres et religieux sont mis en examen dans des affaires de pédophilie, selon la Conférence des évêques de France. Sur ce sujet tabou, une déclaration des évêques datant de novembre 2 000 marque le début d’une réflexion collective. Confrontée à plusieurs affaires, et notamment au procès de l’abbé René Bissey, condamné en 2000 à dix-huit ans de prison pour viol, et à celui de l’évêque de Bayeux et Lisieux, Mgr Pierre Pican, poursuivi pour non-dénonciation, la conférence épiscopale affirme : « L’évêque ne peut ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux. » Mgr Pican sera condamné en septembre 2001 à trois mois de prison avec sursis mais conservera son poste. Atteignant l’âge de la retraite, 75 ans, le 27 février, il devrait quitter ses fonctions prochainement. Depuis 2000, le signalement des actes de pédophilie à la justice est officiellement la règle. Mais un prêtre ou un évêque qui reçoit les aveux de l’un des siens en confession est tenu au secret et ne peut que l’inciter à se dénoncer.