Vienne Correspondante
Le féminisme est pour elle « une voie erronée » qui conduit à une humanité désexualisée. Mais le nazisme ? Barbara Rosenkranz, mère prolifique et candidate de choc de l’extrême droite autrichienne à l’élection présidentielle du 25 avril, a du mal à prendre clairement ses distances avec l’idéologie nazie et les révisionnistes qui nient l’Holocauste.
Il lui a fallu plusieurs jours, et un tollé dans les médias comme parmi les politiques, avant qu’elle se décide à admettre l’existence des chambres à gaz. Ses premières déclarations à ce sujet après l’annonce, le 1er mars, de sa candidature pour le Parti autrichien de la liberté, le FPÖ, étaient tellement sibyllines qu’elles sont apparues comme un message codé adressé à l’aile la plus radicale du courant ultranationaliste.
Non, a-t-elle dû préciser, elle ne milite pas pour l’abolition de la loi qui, en Autriche, réprime les activités néonazies ou les opinions négationnistes. Mais, même après avoir fait amende honorable (par une déclaration sous serment qui devait être publiée le lundi 8 mars), Mme Rosenkranz pense que « certaines parties » de cette loi contredisent la liberté d’opinion.
A 51 ans, cette forte femme vêtue de tailleurs stricts ou de Trachten, les tenues traditionnelles toujours appréciées dans les provinces autrichiennes, peut se prévaloir d’avoir mis au monde dix enfants, tous gratifiés de prénoms germaniques. Le chien de la famille, est un berger allemand.
Chaque année au mois de juin, elle organise dans son jardin une « fête du solstice » à connotation païenne où des orateurs encouragent à « préserver notre peuple grâce à des familles saines, fortes et nombreuses ». Un ancien dirigeant du FPÖ, Ewald Stadler, y a fait jadis scandale en critiquant « l’idéologie officielle » selon laquelle les Autrichiens ont été, en 1945, « soi-disant libérés du fascisme et de la tyrannie ».
Le mari de Mme Rosenkranz, Horst, est connu pour ses liens avec la mouvance néonazie. Veillant sur le foyer depuis que son épouse, après quinze années de pause maternelle, s’est lancée à plein temps dans la politique, il édite la revue Fakten, toujours prête à dénoncer « les Turcs, les Tchétchènes, les Asiatiques, les Tziganes et les nègres » ou « les poncifs éculés des prétendus crimes de la Wehrmacht et des horreurs des camps ».
Avec cette aura sulfureuse, Barbara Rosenkranz pourra-t-elle mordre au-delà des 20 % à 22 % que le FPÖ recueille régulièrement dans les sondages ? Sa candidature a fait débat au sein de son propre parti, le chef du FPÖ, Heinz Christian Strache, doutant de son impact sur les franges jeunes de l’électorat. Mais elle a été imposée par un leader d’opinion influent entre tous : Hans Dichand. Le tout-puissant patron du tabloïd Kronen Zeitung, lu par près de la moitié de la population, a fait l’éloge de la « courageuse mère » de famille nombreuse. N’est-elle pas la seule députée fédérale à avoir refusé le traité européen de Lisbonne, contre lequel le Kronen Zeitung avait mené, en 2008, une campagne acharnée ?
A ce jour, elle est aussi l’unique adversaire du chef de l’Etat sortant, le social-démocrate Heinz Fischer, les démocrates-chrétiens du Parti du peuple (ÖVP, droite) et les Verts ayant renoncé à présenter des candidats : elle aura beau jeu de disqualifier M. Fischer, assuré d’une confortable victoire, comme l’homme du système établi.
Sa critique du féminisme et de la théorie du « genre », qu’elle a résumée dans un pamphlet sous-titré « Vers des êtres humains asexués », trouve un écho dans les milieux conservateurs, tout comme son refus de faire passer les droits des femmes « avant le bien-être des enfants ».
L’archevêque de Vienne, le cardinal Christoph Schönborn, a beau affirmer que Mme Rosenkranz « n’est pas éligible » pour les chrétiens, à cause de ses ambiguïtés sur le nazisme, et l’ÖVP révéler qu’aucun de ses dix enfants n’a été baptisé, la « courageuse mère » s’apprête à sillonner le pays, armée de sa bannière xénophobe et antieuropéenne.
Joëlle Stolz