Le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Versailles a estimé, dans un jugement rendu mardi 9 mars, que le suicide d’un ancien technicien de Renault était imputable à ses conditions de travail. La décision était loin d’être acquise, car cet homme avait mis fin à ses jours à son domicile. Elle met en exergue la responsabilité de la hiérarchie, qui n’a « pas pris la mesure » des difficultés rencontrées par le salarié, aux yeux du TASS.
Le 16 février 2007, Raymond D. est retrouvé pendu, chez lui. A ses proches, il a laissé quelques mots : « Je ne peux plus rien assumer, ce boulot c’est trop pour moi, ils vont me licencier et je suis fini (...). » Embauché en 1992 par Renault, il était employé au Technocentre du constructeur automobile, situé à Guyancourt (Yvelines). Ses compétences étaient unanimement appréciées.
En juin 2006, il avait été promu à d’autres fonctions - qu’il n’avait pas demandées car cela impliquait un plus grand « investissement en temps », écrit le TASS dans son jugement. A compter de cette date, Raymond D. avait commencé à se plaindre d’une surcharge de travail. Du fait de ses nouvelles attributions, il devait se rendre, deux à trois jours par semaine, dans un autre site de Renault, à Sandouville (Seine-Maritime), « ce qui allongeait son temps de travail ».
Une dizaine de jours avant son suicide, il avait dit à un collègue ne plus pouvoir faire face à ses objectifs dans le cadre du projet qu’il pilotait, le « Top Série de la Laguna III ». Fatigué, amaigri, il déclarait être en dépression. A l’un de ses chefs, il avait confié, dans la première quinzaine de février 2007 : « Je ne m’en sors pas, je ne suis pas à la hauteur. »
Quelque temps après le drame, l’épouse de Raymond D. avait demandé à la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) de reconnaître « une origine professionnelle » à la mort de son mari. Sa requête ayant été rejetée, elle avait saisi le TASS de Versailles.
Le tribunal lui a donné gain de cause. Dans sa décision, le juge constate qu’une grande partie de l’existence de Raymond D. était consacrée au travail. Normalement assujetti aux 35 heures, il faisait en réalité bien plus : ses horaires n’étaient ni « respectés » ni « contrôlés », et aucune heure supplémentaire n’a été déclarée, souligne le TASS.
Le salarié a donc été soumis à un « surcroît de travail (...) devenu trop lourd à supporter physiquement », ce qui a engendré chez lui « un stress déstabilisant ». Il a exprimé sa détresse, mais elle n’a pas été entendue par ses supérieurs, poursuit le TASS. Ceux-ci lui ont donné « un objectif à atteindre sans s’interroger sur (sa) capacité psychique et physique à supporter cette charge accrue ». Le suicide est donc « intervenu par le fait du travail », conclut le tribunal.
Responsabilité
Cette décision est « intéressante », car elle s’appuie sur l’idée que l’employeur doit vérifier la capacité du salarié à remplir une tâche donnée, commente Me Emmanuelle Boussard-Verrecchia, l’avocate de la veuve. Un chef d’entreprise ne peut pas s’exonérer de cette responsabilité, au prétexte qu’il aurait obtenu le consentement de son collaborateur, ajoute-t-elle.
Prenant acte du jugement du TASS, Renault indique, par la voix d’un porte-parole, qu’il n’a pas encore décidé s’il ferait appel ou non.
Si elle n’est pas invalidée par un éventuel recours du constructeur automobile ou de la CPAM, la décision du tribunal permettra à la femme de Raymond D. de toucher une rente. Une fois que le jugement sera définitif, un nouveau recours sera engagé devant le TASS pour que la « faute inexcusable » de Renault soit reconnue, explique Me Boussard-Verrecchia.
Outre Raymond D., deux autres personnes employées au Technocentre s’étaient donné la mort fin 2006 et début 2007. L’épouse de l’un d’eux a récemment obtenu la reconnaissance de la « faute inexcusable » de l’industriel (Le Monde du 19 décembre 2009). La famille de l’autre salarié défunt a également engagé une démarche dans ce sens. Sa requête sera examinée le 8 avril par le TASS de Versailles.
Bertrand Bissuel
DEMANDE D’ENQUÊTE CHEZ DISNEYLAND PARIS
Des élus de la CFTC et de la CFDT du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de Disneyland Paris ont réclamé, mardi 9 mars, une enquête après le suicide, le 21 février, d’un salarié employé dans un restaurant du parc d’attractions. Elle devra identifier « d’éventuels facteurs de stress ou de harcèlement », a précisé la direction. L’homme s’était jeté sous un train, à Esbly (Seine-et-Marne). La veille, un autre salarié de 22 ans avait menacé de se suicider dans le parc d’attractions. - (AFP.)