C’est un précédent important : des suicides de fonctionnaires de France Télécom pourraient être reconnus comme des « accidents de service », l’équivalent pour les agents publics des accidents de travail pour les salariés de droit privé.
Un rapport, remis le 3 mars à la direction de l’opérateur de télécommunications par l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales, ayant des missions interministérielles de contrôle du travail et de la santé), recommande que quatre des sept cas de suicides ou tentatives de suicide qui lui ont été soumis soient requalifiés en accidents de service. Il s’agit plus précisément de 3 suicides et d’une tentative. Les syndicats n’ont reçu le rapport de l’IGAS que mardi 9 mars et les identités des fonctionnaires concernés ne leur ont pas été communiquées.
Ces 7 cas sont intervenus entre début 2008 et fin 2009. La direction de France Télécom, qui a finalement accepté en septembre 2009 de reconnaître l’existence d’un profond malaise chez ses 100 000 salariés français (dont deux tiers de fonctionnaires), a reconnu 32 suicides entre début 2008 et le 1er décembre 2009, toutes catégories de personnel confondues. Elle reconnaît aussi huit suicides de plus depuis début 2010. Les syndicats en compte neuf.
Contactée, la direction assure qu’« elle suivra les recommandations » de l’IGAS. Dans un courriel transmis aux organisations syndicales, elle précise : « Cette note servira de guide pour les autres suicides ou tentatives de suicide n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision de la part de l’entreprise. »
La direction de France Télécom doit maintenant convoquer une « commission de réforme », une instance consultative paritaire composée de médecins, de représentants de l’administration et du personnel, qui donnera son avis sur l’imputabilité au service des suicides. « Cela ne devrait pas être un obstacle », espère Christian Pigeon, du syndicat SUD.
Ce serait en tout cas une première chez France Télécom. De mémoire de syndicalistes, la direction n’a jamais reconnu sa responsabilité dans ce type de drames pour des fonctionnaires. En 2009, elle l’avait fait pour une salariée de droit privé qui s’était donné la mort sur son lieu de travail à Paris.
Globalement positif
Les membres de l’Observatoire du stress, mis en place en 2007 par les syndicats SUD et CFE-CGC-UNSA de France Télécom, jugent le rapport de l’IGAS globalement positif. « La reconnaissance en accident de service est fondamentale. Elle permet aux familles d’élaborer un deuil. Elle les allège aussi d’un énorme souci financier. Même si c’est affreux de parler de sous dans ces cas-là, il faut savoir qu’aucun contrat d’assurance n’assure contre un suicide. Par contre, l’assurance rembourse le prêt d’une maison, par exemple, quand le suicide est requalifié », explique la psychiatre Brigitte Font Le Bret. « Cela va enfin permettre aux comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT) de réfléchir concrètement aux moyens de prévenir le stress », pour Anne-Marie Minella, du syndicat CFE-CGC-UNSA.
Mme Font Le Bret a toutefois des regrets. « La direction de France Télécom a perdu beaucoup de temps. Elle aurait dû mettre immédiatement en place une commission de réforme au lieu d’attendre l’IGAS. Par ailleurs, elle n’aurait pas dû, il y a trois ans, prendre la décision de centraliser à Paris toutes ces commissions. Avant, elles avaient lieu au niveau départemental, et c’était beaucoup plus efficace. »
Cécile Ducourtieux