Peshawar (Nord-Ouest) Envoyé spécial
Il ne reste plus qu’un socle plat et rond comme un disque, au ciment lézardé. Au centre, la tombe du saint, drapée de linge pourpre et couvert d’un simple bâche. La sépulture de Rehman Baba, fameux poète pachtoune du XVIIIe siècle, est désormais privée de protection, livrée aux éléments, battue par le vent gorgé de poussière qui souffle de la frontière afghane, si proche.
Dressé dans un faubourg de Peshawar, la principale ville du nord-ouest du Pakistan, le mausolée coiffé d’un dôme, qui attirait des foules de pèlerins lors de fervents rituels, n’a pas résisté à l’attentat de mars 2009. L’édifice a été rasé.
Rehman Baba, icône de cet islam soufi dont le mysticisme est tenu pour hérétique par les fondamentalistes, était un symbole à frapper. Le forfait n’a pas été revendiqué. Mais à Peshawar, tous les regards se sont alors tournés vers le Lashkar-e-Islam (Armée de l’islam), un groupe extrémiste évoluant dans la mouvance idéologique des talibans.
CHANT À PLEINS POUMONS
Basé dans la zone tribale voisine de Khyber, le Lashkar-e-Islam, rattaché à l’école deobandie proche du wahhabisme saoudien, n’a cessé ces dernières années de s’attaquer aux sanctuaires soufis. Avant le mausolée de Rehman Baba, il avait détruit à l’explosif dans les environs de Peshawar les tombes d’Abou Saïd Baba et d’Abdul Shakour Malang Baba, tous des saints vénérés de la population locale.
Khan Sardar est le gardien du site. Calot blanc vissé sur la tête, moustache sombre, il a le regard voilé d’émotion quand il évoque l’attentat contre la tombe de Rehman Baba. « Nous étions si choqués, souffle-t-il. Nous ne pouvions imaginer qu’un tel acte pût être commis. »
Il se souvient que des tracts avaient été nuitamment distribués dans les semaines précédentes. « Ils avertissaient que l’endroit allait être attaqué. Ces gens ne croient pas aux saints. » La mise en garde n’a pas été prise assez au sérieux. Les assaillants ont pu aisément se glisser sur le site et déposer leurs explosifs au pied des piliers de l’édifice. Depuis, Khan Sardar a mis en place une équipe de vigiles qui veille sur l’endroit. Mais il est un peu tard.
Si le mausolée a été soufflé, le sanctuaire continue de vivre, de palpiter de ferveur. Les croyants viennent toujours à la mosquée - intacte - ou se livrer à des joutes poétiques sous un auvent de poutres fumées. Assis en tailleur sur un tapis en osier, un vieux, un brin édenté, chante à pleins poumons. La foule s’est rassemblée autour de lui. De sa voix chevrotante, l’aïeul déclame des poèmes de Rehman Baba.
A intervalles réguliers, il clôt les yeux et lève la paume, sourire de béatitude accroché à sa barbe blanche. A ses côtés, ses compagnons rythment ses strophes en dressant, eux aussi, leur main vers le toit de chaume où gazouillent les moineaux. Et le vieux chante : « Personne ne pourra cicatriser mes blessures car chaque point de suture ouvrira une nouvelle plaie », « Tu peux rire et dormir car ton cœur est épargné par le chagrin mais moi, je ne le puis pas ».
A l’extérieur du sanctuaire, le trafic est intense. Mêlés aux charrettes à ânes, des camions à la carrosserie maculée de dessins naïfs - tigres sur fond de pics enneigés - retournent à la frontière afghane après avoir vidé leur cargaison. Ils filent vers le port de Karachi pour se réapprovisionner. Et indifférent à tout ce concert de métal qui monte de la voie, le vieux récitant, ivre du verbe du poète, n’en finit pas de clamer : « Personne ne pourra cicatriser mes blessures. »
Frédéric Bobin
Les Etats-Unis visés par un attentat à Peshawar
Le Pakistan a été ensanglanté, lundi 5 avril, par deux attaques-suicides. Des assaillants lourdement armés ont tenté de prendre d’assaut le consulat des Etats-Unis, fortement gardé, à Peshawar, principale ville du nord-ouest du pays.
Selon le ministre de l’information de la province, onze personnes sont mortes lors de l’attaque, dont cinq membres des forces de sécurité et six assaillants. L’attentat a été revendiqué par les talibans pakistanais. Par ailleurs, un attentat perpétré lors d’un meeting politique aurait fait 41 victimes à Timargarah, dans le district du Lower Dir. Un kamikaze a fait exploser sa bombe devant la tribune d’une réunion du Parti national Awami (ANP), mouvement laïc majoritaire à l’Assemblée de la Province de la frontière du nord-ouest (NWFP), et qui dirige l’exécutif à Peshawar. - (AFP.)