Vaille que vaille, la CGT et la CFDT tentent de maintenir, face à un gouvernement qui aimerait boucler la réforme des retraites avant la fin juin, un front syndical uni. Mais les deux principales confédérations se heurtent à des vents contraires. En dépit d’un rejet commun de la méthode « à marche forcée » de Nicolas Sarkozy et de quelques convergences, les syndicats affichent des désaccords de fond. Et dans les entreprises, les nouvelles règles de représentativité syndicale, validées par la Cour de cassation le 14 avril, qui affaiblissent les faibles et renforcent les forts, aiguisent les guerres de tranchées entre organisations. Difficile d’être unitaire en haut, au sommet, quand on lutte parfois pour sa survie en bas.
A l’automne 2008, au moment où déferlait la crise économique mondiale, huit syndicats - CGT, CFDT, FO, UNSA, CFTC, CFE-CGC, FSU et Solidaires - avaient réitéré l’exploit de 2006 quand ils avaient obtenu, grâce à leur action commune, le retrait du contrat première embauche (CPE). Ils avaient réussi à constituer une intersyndicale - le « G8 » - qui a mené, jusqu’à l’été 2009, plusieurs manifestations d’ampleur, obligeant le gouvernement, non pas à changer de politique économique, mais à lâcher un peu de lest. Depuis l’automne 2009, le « G8 » se délite lentement. « Le G8, confie un haut responsable de la CFDT, je ne sais plus ce que c’est. On est plutôt dans un G5 virgule quelque chose... »
L’intersyndicale fonctionne à géométrie variable. Hostile aux « manifestations à répétition » et à « l’unité de façade », Force ouvrière l’a désertée. La CFTC et la CFE-CGC, qui hésite entre son syndicalisme catégoriel et un syndicalisme généraliste, y vont au coup par coup. Le « G5 » - CGT, CFDT, UNSA, FSU et Solidaires - s’est mis d’accord pour organiser un 1er-Mai unitaire, en espérant que l’ouverture de la concertation sur les retraites et la perspective d’un nouveau sommet social avec M. Sarkozy - à la mi-mai ? - lui donneront de l’ampleur. Le 20 avril, le « G5 » va diffuser, à l’occasion d’une journée d’actions décentralisées, une « interpellation » à l’intention du gouvernement, sans revendications communes, qui portera tant sur l’emploi et le pouvoir d’achat que sur les retraites. La veille, le 19 avril, les responsables du dossier retraites de l’intersyndicale tenteront de dégager des propositions communes autour de nouveaux prélèvements pour financer les retraites.
C’est dans ce contexte intersyndical chahuté que FO, qui a boudé la journée d’actions du 23 mars, a tenté de porter l’estocade à ce qu’il reste du « G8 ». Dans une lettre à ses homologues syndicaux, en date du 7 avril, Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, a proposé, conformément à une résolution votée à l’unanimité par son « parlement », « un appel commun à 24 heures de grève interprofessionnelle, aumoment opportun ». Cette initiative, a-t-il plaidé, « placerait le gouvernement dans une situation délicate : ne pas répondre aux attentes alors que le pays aurait été »bloqué« pendant 24 heures serait, pour lui, prendre un risque important ».
La CFDT et l’UNSA ont choisi de ne pas répondre à M. Mailly. Annick Coupé, au nom de Solidaires, a rappelé qu’elle voulait « construire un mouvement de grève interprofessionnellereconductible » - ce qui serait une grande première dans l’histoire syndicale... - tout en notant que « boycotter les intersyndicales permet difficilement d’aboutir à des décisions unitaires partagées ». Bernard Thibault a manié l’ironie, en égrenant les absences de FO. Le secrétaire général de la CGT a suggéré à M. Mailly de se faire mandater pour « assurer la participation de FO à la prochaine intersyndicale (le 26 avril), au cours de laquelle toutes les suggestions susceptibles d’améliorer le rapport de forces dont nous avons besoin seront examinées ». Une fin de non-recevoir mordante.
Le « G8 » se délite mais la grande nouveauté par rapport à la précédente réforme des retraites en 2003 - où, à la CFDT, François Chérèque avait payé chèrement la caution qu’il avait apportée -, c’est que l’axe CGT-CFDT tient bon. Sans l’alliance Thibault-Chérèque, consolidée par une réforme de la représentativité syndicale qu’ils ont initiée ensemble, il n’y aurait même plus de « G5 virgule quelque chose ». Les deux dirigeants ont le même souci d’agir avec responsabilité pour reconquérir les déserts salariaux où le syndicalisme est absent. L’un et l’autre sont conscients que, malgré le mécontentement qui affleure, le climat social est loin d’être propice à de fortes mobilisations.
« On est assis sur une pétaudière sociale, note un syndicaliste. La mèche peut prendre plus facilement dans les fonctions publiques où le ras-le-bol est plus grand que dans le privé, mais on n’a aucune visibilité. » Après le 1er-Mai, la CFDT sera centrée sur son congrès, du 7 au 11 juin à Tours. Même s’il y a des journées d’actions, la proximité de l’été, et de la Coupe du monde de football, ne favorisera pas la mobilisation. La CGT n’exclut pas un match retour en septembre, quand la réforme des retraites viendra au Parlement, en espérant rejouer le scénario de 2006 sur le CPE. Tout dépendra de l’ampleur de la réforme, de la méthode de M. Sarkozy, de l’humeur plus ou moins combative des salariés. D’ici là, le « G8 » se sera peut-être complètement délité. Mais il y a fort à parier que la CGT et la CFDT feront le maximum pour agir de concert.
Michel Noblecourt, Editorialiste