New Delhi Correspondant en Asie du Sud
L’assassinat de l’ex-premier ministre pakistanais Benazir Bhutto, le 27 décembre 2007 à Rawalpindi, aurait pu « être évité » si les autorités lui avaient fourni une « protection effective ». Telle est la conclusion du rapport de la commission d’enquête des Nations unies sur l’assassinat de Mme Bhutto, publié jeudi 15 mars.
Le gouvernement pakistanais, dirigé par le Parti du peuple pakistanais (PPP) - le mouvement du clan Bhutto - s’est dit satisfait du contenu du rapport qui pointe les coupables négligences de l’appareil d’Etat alors contrôlé par l’ex-président, le général Pervez Musharraf. Fruit de dix mois de recherches, ce rapport commandité par l’actuel gouvernement n’identifie aucun responsable de l’assassinat - telle n’était pas sa mission -, mais brosse des circonstances troublantes qui vont relancer des spéculations dans un pays adepte de la théorie du complot.
En octobre 2007, Benazir Bhutto rentre au Pakistan après neuf ans d’exil partagé entre Dubaï et Londres. Premier ministre à deux reprises (1988-1990, 1993-1996), Mme Bhutto entend profiter de la vague de contestation populaire contre le général Musharraf pour tenter la reconquête du pouvoir. Un premier attentat-suicide la manque dès son retour à Karachi le 18 octobre. Le 27 décembre, le complot réussit. Mme Bhutto est tuée par l’explosion d’un kamikaze près de son véhicule alors qu’elle sortait d’un meeting électoral à Rawalpindi, à proximité d’Islamabad.
Au fil de leur investigation, les enquêteurs de l’ONU ont découvert avec étonnement la légèreté du dispositif de protection de l’ex-premier ministre en dépit de menaces de mort explicites. Détestée par les islamistes radicaux et certains noyaux de l’armée et des services secrets, Mme Bhutto courrait un danger permanent à chaque déplacement de sa campagne pour les législatives.
« AUCUNE INSTRUCTION »
« Le gouvernement pakistanais (de l’époque) a échoué dans sa responsabilité de (la) protéger », dénonce la commission d’enquête. Le rapport souligne qu’il n’existait « aucun plan global au niveau fédéral » visant à la placer en sécurité. A ceux qui objectent que la police est du ressort des provinces dans le système fédéral pakistanais, le rapport répond que « la police provinciale du Pendjab n’a reçu aucune instruction de la part du ministère de l’intérieur ».
Le jour du drame, la police de Rawalpindi a déployé autour de Mme Bhutto un dispositif « inefficace, insuffisant et passif ». Pour ne rien arranger, le service de sécurité de son propre parti, le PPP, s’est illustré par son « manque de professionnalisme ». Le rapport estime notamment « incroyable » qu’une des voitures du cortège, une Mercedez-Benz où avait été placé son conseiller pour la sécurité, Rehman Malik - aujourd’hui ministre de l’intérieur -, ne se soit pas arrêtée après l’attentat.
Surtout, aucune enquête sérieuse n’a été conduite. Le corps de Mme Bhutto n’a pas été autopsié. Le site de l’attentat a été aussitôt lavé à grandes eaux, infligeant un « dommage irréparable » à la collecte d’indices. L’enquête policière initiale a été un « échec délibéré », imputable, selon les auteurs, à la « crainte » d’une « implication des services secrets » dans l’attentat.
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 18.04.10. | 17.04.10 | 15h13 • Mis à jour le 17.04.10 | 15h13.
Le Pakistan mis en cause dans la mort de Benazir Bhutto
LEMONDE.FR avec AFP et AP | 16.04.10 | 06h25 • Mis à jour le 16.04.10 | 11h31
Un rapport de l’ONU affirme que la police pakistanaise a sciemment fait échouer l’enquête sur l’assassinat en 2007 de l’ancienne première ministre Benazir Bhutto et que le drame aurait pu être évité si des mesures de sécurité adaptées aux menaces avaient été prises.
Le rapport rendu public jeudi affirme que « des responsables, craignant notamment l’implication des services de renseignement, ne savaient pas vraiment jusqu’où ils pouvaient aller dans l’enquête, même s’ils savaient pertinemment, en tant que professionnels, que certaines mesures auraient dû être prises ».
« L’assassinat de Mme Bhutto aurait pu être évité si des mesures de sécurité adéquates avaient été prises », poursuit le document rédigé par des experts emmenés par l’ambassadeur du Chili à l’ONU.
« TRAITEMENT DISCRIMINATOIRE »
Le rapport (PDF) de soixante-cinq pages souligne que la responsabilité de la sécurité de Benazir Bhutto reposait sur « le gouvernement fédéral, le gouvernement du Pendjab et sur la police de Rawalpindi ». « Aucune de ces entités n’a pris les mesures pour répondre aux risques urgents, extraordinaires et récents qui menaçaient » Mme Bhutto. Il est ainsi noté que le gouvernement pakistanais n’est pas parvenu à fournir à Mme Bhutto un service de sécurité aussi rigoureux que celui qui avait été mis en place en octobre 2007 pour deux autres anciens premiers ministres qui appartenaient au parti politique soutenant le président Pervez Musharraf.
« Ce traitement discriminatoire est profondément troublant vu les tentatives d’assassinat auxquelles elle a été confrontée trois jours avant et les menaces spécifiques qui pesaient sur elle et qui avaient été identifiées » indique le rapport. Le document ajoute que l’enquête pakistanaise « a manqué d’instructions, était inefficace et manquait d’implication pour identifier les criminels et les traduire en justice ».
« TISSU DE MENSONGES »
L’ambassadeur du Pakistan à l’ONU, Abdullah Hussain Haroon, qui devait rencontrer la presse après avoir reçu une copie du rapport, a finalement annulé le rendez-vous. L’ONU avait annoncé le 30 mars que la remise du rapport, initialement prévue le 31 mars, serait reportée au 15 avril à la demande d’Islamabad.
« Nous lisons le rapport et une réaction détaillée sera rendue publique après », a déclaré vendredi 16 avril à l’AFP Farhatullah Babar, porte-parole de la présidence pakistanaise, rappelant que le gouvernement, issu en 2008 du parti de Mme Bhutto, mène sa propre enquête.
Mme Bhutto, première ministre à deux reprises dans les années 1990, a été assassinée le 27 décembre 2007, à l’issue d’un meeting électoral à Rawalpindi, dans la banlieue d’Islamabad.
Un collaborateur de Pervez Musharraf, ancien président du Pakistan, a d’ores et déjà qualifé ce rapport de « tissu de mensonges » et nié la responsabilité de ce dernier dans l’assassinat de Mme Bhutto.