La nouvelle réforme des retraites engagée par le gouvernement pour 2010 s’inscrit dans la ligne
des précédentes menées depuis 1993. L’augmentation de l’espérance de vie obligerait à travailler
plus longtemps, et pour sauver la retraite par répartition, pour les jeunes nous dit-on, il n’y aurait
pas d’autre solution que repousser l’âge légal de départ de 60 ans et allonger encore la durée de
cotisation. Ce sont des mensonges qui jouent sur de fausses évidences et qui sont largement
démontés par ailleurs (voir notamment le livre Retraites, l’heure de vérité [1]).
Le gouvernement invoque à nouveau l’équité pour justifier sa réforme : équité envers les jeunes
générations, souci des faibles retraites, intention affichée de ne pas baisser les pensions. On peut
remarquer que l’équité envers les femmes est oubliée de cet affichage. Alors qu’elles ont été
beaucoup plus frappées que les hommes par les réformes passées et que les inégalités de retraite
entre les hommes et les femmes sont très importantes, elles continuent à être occultées du
discours politique.
Par ailleurs, les réformes passées ont été menées au nom même de ce discours sur l’équité. Leur
bilan est une baisse générale du niveau des pensions d’environ 20%, baisse qui continue car les
mesures n’ont pas encore porté tous leurs effets ! A l’opposé de l’équité affichée, le projet
annoncé ne ferait qu’aggraver encore cette baisse, et menacerait plus particulièrement la retraite
des jeunes générations et celle des femmes.
Pourtant, d’autres solutions existent qui se fondent sur une meilleure répartition des richesses et
sur le partage de l’emploi. Outre pour les premiers concernés que sont les salarié-es, précaires et
chômeurs, la question de l’emploi est majeure par sa responsabilité directe sur le montant des
cotisations, base du financement des retraites. Le volume des cotisations est diminué du fait de
salaires trop faibles, du chômage (plus élevé chez les jeunes et les femmes), du sous-emploi
(temps partiel subi) et de l’inactivité non choisie (la plupart des femmes au foyer). Mais l’emploi
est également majeur par la nature de ce qu’il produit dans le contexte de crise écologique, par
l’interrogation sur l’utilité sociale de la production et par sa nécessaire inscription dans un
objectif de soutenabilité.
Ce texte présente une voie qui permet à la fois d’améliorer de manière déterminante le
financement des retraites, de corriger durablement les inégalités entre les hommes et les femmes
et de créer des emplois répondant aux besoins sociaux, loin de tout productivisme et nuisance
environnementale. C’est une voie qui est absente des réflexions du Conseil d’orientation des
retraites (COR) et du gouvernement. A l’heure où près d’un actif sur deux est une femme et où le
niveau des inégalités envers les femmes est largement reconnu… mais aussi délaissé, la question
des retraites des femmes ne peut pas être reléguée à une rubrique spécifique de la question des
retraites. A plus forte raison quand elle fait partie des solutions.
Ce qui suit se concentre sur l’enjeu de l’égalité entre les sexes pour financer les retraites, et on
rappelle simplement et brièvement en annexe un panorama de ces inégalités, et l’impact des
réformes passées.
La démographie n’est pas une fatalité mais sera le résultat des politiques menées
Pour justifier la nécessité de nouvelles mesures, c’est l’argument démographique de la
dégradation du ratio « cotisants sur retraités » qui est systématiquement invoqué. Le
gouvernement communique à grands coups (et coûts) de pages de publicité. On passerait de 1,8
cotisant par retraité en 2010 à 1,3 en 2030 et 1,2 en 2050. Ces projections sont celles du 8e
rapport du COR d’avril 2010, tirées du scénario établi par l’Insee en 2006. Mais il faut bien voir
deux choses.
• D’abord, les effectifs des futurs cotisants et retraités sont issus de projections qui reposent sur
des hypothèses très incertaines - surtout à un horizon lointain de 40 ans - qui nécessitent de fixer
l’évolution de plusieurs paramètres, comme le taux de fécondité, le solde migratoire, l’espérance
de vie, le taux de chômage, les taux d’emploi [2] par sexe et pour chaque catégorie d’âge. Les
résultats des projections sont très sensibles aux hypothèses faites, et doivent être régulièrement
réajustés en fonction de l’évolution réelle. Ainsi, en 2006, l’Insee a fortement revu son exercice
de 2001, dans le sens d’une atténuation du vieillissement de la population. l’évolution des
paramètres dépend en effet beaucoup des politiques menées : par exemple le solde migratoire, le
taux de fécondité (voir encadré), mais aussi le chômage et les taux d’emploi par catégorie.
Derrière les chiffres mis en avant par le discours gouvernemental (notamment les ratios
cotisants/retraités pour 2020 et après), est donc fixée l’évolution des paramètres cités, ce qui
revient à déterminer en partie les politiques à venir : sont ainsi éliminées des marges de
manœuvre importantes, qui devraient pourtant relever d’un choix politique.
Une relation triangulaire : fécondité, emploi des femmes et disponibilité de crèches
Dans tous les pays, ce sont les femmes qui sont très majoritairement en charge des enfants. Lorsqu’il n’y a pas, ou
pas suffisamment, de structures d’accueil pour eux, les femmes sont obligées de choisir entre avoir un emploi et
avoir des enfants (ou elles « choisissent » le travail à temps partiel, faute d’autre solution).
L’exemple type est celui de l’Allemagne où les structures pour la petite enfance manquent cruellement. Les femmes
font le choix de travailler, ce qui se traduit par un taux de fécondité de 1,4, l’un des plus faibles d’Europe. Le taux
d’emploi des femmes y est supérieur à celui des françaises.
En France, le taux de fécondité, qui a dépassé 2 en 2008, reste le plus fort d’Europe. La raison est très liée à la
disponibilité de modes de garde pour les enfants, qui est supérieure à celle de la plupart des pays voisins, même si
elle se révèle très insuffisante pour répondre aux besoins sociaux en ne couvrant que 30% de ces besoins [3]. Un
système de garde efficace et abordable est une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, pour éviter
d’avoir à choisir entre enfants et emploi (ou temps partiel, facteur d’inégalité dans la carrière et la retraite). Il reste
encore beaucoup à faire dans ce domaine en France : la moitié des enfants âgés de 4,5 mois à 2,5 ans sont gardés par
l’un des parents qui ne travaille pas, le plus souvent la mère [4].
Il est donc utile de noter les relations qui existent entre le taux de fécondité, la disponibilité de modes de garde pour
les enfants et le taux d’emploi des femmes car elles ont une forte incidence sur le financement des retraites : une
politique développant des modes de garde aura un impact à la fois sur le taux d’emploi des femmes et donc le
nombre de cotisantes, et probablement sur le taux de fécondité. La seule politique acceptable en matière de fécondité
restant, bien entendu, celle qui ne fixe aucun objectif mais permet aux femmes de choisir…
• Ensuite, concernant l’évolution du paramètre du taux d’activité [5] des femmes, paramètre
influant sur les effectifs de cotisants, le COR retient le scénario établi par l’Insee dans son
exercice de 2006, qui se caractérise par des projections conservatrices et même régressives. En
effet, il ne projette aucune amélioration de ce taux entre 2005 et 2050, excepté ponctuellement
dans la tranche des plus âgées. Le scénario pérennise ainsi une différence de plus de 10 points
(voir courbes [non reproduites ici]) entre le taux d’activité des hommes et celui des femmes, différence qui est
inacceptable.
L’emploi des femmes résulte de choix politiques
Alors que la proportion de femmes dans la population active a continuellement augmenté depuis
les années 1960 pour atteindre 46,7% aujourd’hui, ce qui a permis une réduction des inégalités
entre les hommes et les femmes, l’Insee projette sa régression en la faisant décroître à partir de
2015 ! Il observe que « chez les 25-54 ans, l’activité des femmes a continué à se développer au
fil des générations, mais ce mouvement s’est ralenti au cours de la dernière décennie chez les
plus jeunes d’entre elles ».
Rappelons une cause principale du ralentissement : en 1994, l’allocation parentale d’éducation
qui existait pour les parents de trois enfants a été étendue aux parents de deux enfants. Cette
mesure a incité les femmes à se retirer de l’emploi pour s’occuper de leurs enfants. En quatre ans,
le taux d’activité des mères de deux enfants au moins a chuté de 18 points en quatre ans ! Ce sont
ces faibles niveaux d’activité qui sont repris et prolongés par le scénario de l’Insee. Plus
généralement, rien ne justifie de retenir l’hypothèse d’un taux d’emploi des femmes inférieur de
15 points à celui des hommes dans la tranche des 25-45 ans, comme le fait le scénario. Avoir un
emploi (de qualité) est la condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, pour
l’autonomie des femmes et donc pour l’égalité. C’est en outre conforme à leur souhait,
puisqu’une femme au foyer sur 10 déclare souhaiter travailler.
Le COR retient une hypothèse concernant l’activité des femmes qui signifie d’entrée de jeu qu’il
renonce à toute mesure politique pour remédier aux inégalités existantes, qu’il entérine donc
l’actuel partage très inégal des tâches entre les sexes, ce qui prive par ailleurs les caisses de
retraite d’un fort potentiel de cotisantes. On sait pourtant que des politiques adaptées permettent
facilement de lever les obstacles à l’emploi des femmes. S’il est un domaine où jouent à fond les
effets incitatifs, ou au contraire dissuasifs, des politiques, c’est bien celui de l’activité des
femmes. Contrairement aux idées reçues, une plus grande activité des femmes n’est pas cause de
chômage mais, à l’opposé, est créatrice d’activités nouvelles. En créant des services de gardes
d’enfants, d’aide aux personnes dépendantes, qui ont vocation à être des services publics, on lève
les obstacles qui empêchent souvent les femmes de travailler et on crée des emplois - pour les
hommes comme pour les femmes – bénéfiques à toute la société en satisfaisant les besoins
sociaux. Les qualifications de ces emplois doivent être reconnues, et leur qualité améliorée.
L’activité des femmes agit comme un cercle vertueux autour de la création d’emplois à forte
utilité sociale, de l’amélioration du volume de cotisations, et de l’égalité entre les sexes.
Les performances très moyennes de la France dans l’Union européenne
La comparaison des taux d’emploi des femmes dans les 27 pays de l’Union européenne est
instructive. La France vient au 15e rang seulement, avec un taux d’emploi inférieur de plus de
13 points à celui des pays comme le Danemark ou la Suède (pays qui ne sont pas pour autant un
idéal indépassable en matière d’égalité entre les sexes) et inférieur également à celui de pays
comme la Lettonie, Slovénie ou Chypre, qui ne sont pas particulièrement égalitaires. Cela
témoigne des marges de progrès possibles pour améliorer le taux d’emploi. Cette amélioration
doit porter sur un emploi de qualité, à temps complet, à l’opposé des formes atypiques et
précaires qui caractérisent aujourd’hui de très nombreux emplois, particulièrement ceux des
femmes.
[Graphe réalisé à partir de données Eurostat, 2006 – non reproduit ici]
En résumé, les chiffres alarmistes sur la baisse du rapport cotisants sur retraités émanent d’un
scénario très incertain, et en outre, politiquement inacceptable par rapport à l’exigence d’égalité
entre les hommes et les femmes. Il n’y a aucune fatalité liée à la démographie, l’essentiel de son
évolution dépend de choix politiques.
Volontarisme sur l’emploi des seniors, inertie sur l’emploi des jeunes et des femmes
Dans son rapport de 2001, le COR insistait sur le fait que « Les taux d’activité et d’emploi ont
une influence forte sur l’équilibre des régimes de retraite ». Il notait l’influence des « taux
d’activité de catégories particulières de la population, dont les évolutions ne sont pas simples à
appréhender et qui pourraient être notables : les jeunes, les femmes et les salariés âgés » et
pointait qu’il y avait là des marges de manœuvre. Depuis, il focalise sur le seul taux d’emploi des
seniors, suivant en cela les préconisations de la stratégie européenne de l’emploi et de l’OCDE…
et collant au discours ambiant qui veut nous persuader que puisqu’on vit plus vieux, on devra
travailler plus longtemps. Une pénalité de 1% de la masse salariale a même été instaurée pour les
entreprises qui n’auraient pas adopté de plan pour l’emploi des seniors ! Rien de tel pour
l’emploi des jeunes ou des femmes…
L’allongement de l’activité des seniors, outre qu’il n’est souhaité ni par les concernés, souvent
usés par les conditions de travail, ni par les entreprises qui s’en débarrassent, ne favorise pas la
place faite aux jeunes. Les jeunes et les femmes souhaitent avoir un emploi [6]. La plupart des
seniors, non, et les entreprises ne veulent pas d’eux non plus. Au lieu de s’obstiner à vouloir faire
travailler les seniors, l’avenir n’est-il pas de permettre le travail des jeunes et des femmes ?
La résistible ascension du ratio retraités/cotisants
Il y a donc de larges marges de manœuvre pour améliorer le nombre de cotisants, en l’occurrence
ici de cotisantes. En retenant l’hypothèse que le taux d’emploi des femmes rejoint celui des
hommes à partir de 2030 (ce qui laisse un laps de temps de 20 ans suffisant pour faire aboutir
une politique pour l’égalité), c’est entre 1,2 et 2 millions de femmes supplémentaires qui seront
employées sur le marché du travail selon les différentes hypothèses, notamment de chômage,
envisagées par le COR, donc autant de cotisantes. Le ratio cotisants sur retraités serait en 2030
compris entre 1,36 et 1,4 au lieu de 1,3, une baisse donc beaucoup plus modérée.
Mais si ce ratio est celui qui intéresse les caisses de retraite, il n’est pas celui qui mesure la
« charge » réelle qui pèse sur les actifs. Pour en rendre compte, il faut avoir une vision plus
sociétale, et considérer l’ensemble de la population « prise en charge », autrement dit
« économiquement dépendante » des personnes en emploi. C’est à dire toutes celles qui
partagent les richesses produites par les actifs : les jeunes en formation, les femmes au foyer, les
chômeurs, les invalides, les retraités. Le bon ratio est alors le ratio de dépendance économique,
défini par le nombre total de personnes sans emploi rapporté à celui des personnes en emploi.
Calculé avec les hypothèses retenues par le COR, ce ratio passerait de 1,37 en 2010 à 1,55 en
2050, soit une modeste augmentation de 13%. De plus, lorsqu’on fait le calcul avec l’hypothèse
d’alignement du taux d’emploi des femmes sur celui des hommes, on obtient un ratio de
dépendance économique de 1,31 en 2030 (en baisse donc), et de 1,38 en 2050 : on rejoindrait
alors la valeur de 2010 (1,37). Ce qui signifie qu’il n’y aurait dans les années futures aucune
détérioration de la « charge pesant sur les actifs » par rapport à la situation de 2010.
Le type de communication gouvernementale et patronale, qui consiste à travers les media, à
marteler un discours simpliste et alarmiste et qui occulte l’analyse objective de la situation, pour
amener l’opinion à accepter des mesures régressives, est défini par le terme de propagande.
L’enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes pour financer les retraites
Les femmes sont à la fois moins souvent en emploi que les hommes, prépondérantes dans le
temps partiel, mais aussi plus souvent au chômage, dans les emplois peu qualifiés et les bas
salaires. L’égalité entre hommes et femmes au niveau du marché du travail englobe donc tous
ces paramètres, et chacun d’eux a une influence directe sur les ressources en cotisation, soit par
le nombre de cotisantes, soit par le niveau des cotisations lié au niveau des salaires.
Mentionnons quelques éléments d’une politique indispensable pour s’attaquer aux causes
structurelles des inégalités sur le marché du travail et, en aval, dans les retraites. L’objectif est,
en levant les obstacles à l’emploi des femmes, de permettre une augmentation de leur taux
d’emploi et une diminution du temps partiel imposé ou « choisi faute de mieux ». Cette politique
n’agira pas instantanément, et il est indispensable de prendre en parallèle des mesures
immédiates – non abordées ici - pour réduite les inégalités (rappelées en Annexe).
• Développement d’un service public de la petite enfance, et service d’aide à la dépendance.
Il y a de nombreux besoins dans ces secteurs, qui vont croissant, et l’enjeu de la question des
retraites inclut en bonne place la disponibilité de services pour les personnes dépendantes. On
constate dans l’Union européenne que plus les pays bénéficient de services publics étendus, plus
la proportion de femmes en emploi est importante. Mais il existe un fort risque de voir ces
services couverts par des petits boulots précaires, à temps partiel, voire très partiel. Il s’agit donc
d’instaurer un modèle de qualité pour ces emplois. Cela suppose la reconnaissance des
qualifications des métiers (dits) féminins et la revalorisation des salaires (notamment par révision
des conventions collectives qui couvrent les secteurs). Cela suppose aussi la construction de
parcours professionnel par la constitution de carrières prévoyant le passage progressif à des
emplois mieux rémunérés dans la filière ou plus largement dans le secteur public, et une
formation professionnelle qualifiante pour assurer le déroulement de ce parcours. Ces emplois
ont vocation à s’adresser aux hommes comme aux femmes, ce qui suppose de lutter contre les
stéréotypes sexistes qui attribuent aux femmes les métiers des secteurs de la santé, du social et de
l’assistance et inciter les hommes à s’y investir.
Le développement de ces services entre dans le cadre de la réorientation de la production
socialement utile - satisfaction prioritaire des besoins sociaux – ; il s’inscrit entièrement dans un
objectif de soutenabilité. Il pourrait être financé par une réforme fiscale améliorant la
progressivité de l’impôt, taxant plus fortement les revenus financiers ou autre solution de
meilleure répartition des richesses produites.
• Rattrapage des salaires des femmes , à titre de réparation des inégalités accumulées.
Concernant les salaires, les inégalités qui pénalisent ceux des femmes entraînent autant de
manque à gagner pour les ressources en cotisations. Certaines entreprises ont déjà procédé à des
mesures de rattrapage salarial pour les femmes, en application d’accords d’égalité
professionnelle, sur la base de la reconnaissance par le Medef du fait que dans l’écart de salaire
moyen entre hommes et femmes (20% pour les seuls salariés à temps complet), 5 points au
moins sont imputables à de la discrimination. Après la succession de lois sur l’égalité
professionnelle depuis 1972, sans réel résultat, il est urgent de mettre concrètement en œuvre
l’égalité salariale, avec obligation de résultats. Il est légitime de prévoir une pénalisation des
entreprises qui ne tiennent pas cet objectif par une amende annuelle de 1% de la masse salariale,
sur le modèle de la pénalisation qui a été instaurée pour les entreprises qui ne mettraient pas en
œuvre un plan pour l’emploi des seniors. A titre indicatif, on peut remarquer que les inégalités de
salaire entre les hommes et les femmes représentent a minima 10% de la masse salariale [7], c’est à
dire, même si cela ne correspond pas tout à fait, un déficit d’environ 10% du montant des
cotisations… soit l’équivalent d’un manque de 25 milliards d’euros de cotisations en 2008.
• Majoration du taux de cotisation des employeurs qui imposent le temps partiel , par exemple
cotisation sur une base de temps plein. Le travail à temps partiel est très défavorable aux salariées
(salaire, carrière professionnelle, retraite) et très favorable aux employeurs (la productivité
horaire d’un emploi à temps partiel est supérieure à celle du temps complet). Là encore, il est
légitime de majorer le taux de cotisation pour ces emplois, pour valider ces périodes comme des
temps pleins pour les salarié-es.
Plus largement, il existe une aspiration générale à plus de temps libre (modérée par la crainte que
cela ne se traduise par une baisse de salaires). Or le financement des retraites n’est pas
subordonné à un niveau minimal de croissance, mais à une meilleure répartition des richesses et
du travail. Cela offre précisément la perspective d’une baisse de la durée du travail
(hebdomadaire, annuelle), à l’opposé donc du discours ambiant. Cette option n’est pas
développée ici [8], mais elle est un outil à la fois pour la transition vers un modèle de
développement soutenable et pour l’égalité entre les sexes - par le remplacement du temps partiel
par un temps complet mais réduit, pour tous, favorisant le partage des tâches entre les sexes.
Les retraites, choix de société
En résumé, les solutions pour améliorer l’égalité entre les hommes et les femmes sont en même
temps des solutions qui améliorent à moyen terme le financement des retraites et qui développent
une production tournée vers l’utilité sociale. Dans un rapport de décembre 2009, « L’égalité
entre les hommes et les femmes -2010 », la Commission européenne rappelle, une nouvelle fois,
les fortes inégalités entre hommes et femmes en Europe. Elle insiste sur l’enjeu stratégique de
l’égalité en notant : « L’égalité des sexes n’est pas seulement une question d’équité sociale. Les
investissements dans les politiques égalitaires sont payants, car ils débouchent sur une hausse
du taux d’emploi des femmes, de leur contribution au PIB et des recettes fiscales. » Elle
mentionne une étude récente d’experts qui « montre que l’élimination des disparités entre les
femmes et les hommes dans le domaine de l’emploi pourrait entraîner une croissance du PIB de
l’ordre de 15 à 45 % » selon les pays. Pour la France, cette croissance est évaluée à 20%. En
supposant que l’égalité serait réalisée en 2030, la part des cotisations de retraites dans le PIB
étant de 13% (probablement plus en 2030), une croissance de 20 % du PIB représenterait en
2030 un apport de cotisation minimal de 78 milliards d’euros par an [9]. Cet apport serait pérenne si
la dynamique de l’égalité ne se dément pas. Ce montant est à comparer au besoin de financement
des retraites évalué (COR, avril 2010) entre 56,3 et 79,9 milliards à l’horizon 2030… Loin de
tout productivisme consumériste, cette croissance là répond à des besoins sociaux fondamentaux.
L’ampleur de ces résultats témoigne de la dynamique que peut créer l’égalité. Considérer
l’avenir des retraites oblige à prendre en compte de multiples dimensions, parmi lesquelles
figurent en bonne place celle des rapports entre les hommes et les femmes, et celle de l’emploi.
Au travers du modèle de retraite et de son financement, il s’agit de choix fondamentaux de
société, qui mettent en jeu la conception de la solidarité, des rapports de genre celle du partage
des richesses et de la nature de ces richesses.
Christiane Marty, avril 2010
ANNEXE
Les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes [10]
• En 2004, les femmes retraitées de 60 ans et plus percevaient une retraite moyenne (droits propres,
dispositifs familiaux et minimum vieillesse) de 1 020 € par mois, soit 62 % de celle des hommes (1 636
€). La retraite amplifie donc les inégalités de salaire, puisque le salaire moyen de femmes est de 73% de
celui des hommes.
• Si on considère les seules pensions de droit direct (sans pensions de réversion et sans dispositifs
familiaux), l’écart est plus fort : les femmes perçoivent 746€, soit 48% seulement de celle des hommes
(1550€).
• La fonction publique est moins inégalitaire : la pension moyenne des femmes représente 77% de celle
des hommes.
• La moitié des femmes retraitées (et 20 % des hommes) avait en 2004 une retraite inférieure à 900 €.
• Du fait de l’insuffisance des droits acquis, les femmes liquident leur retraite en moyenne plus tard que
les hommes (1,4 an pour la génération 1938).
• Les femmes sont majoritaires parmi les prestataires du minimum contributif et du minimum vieillesse.
• Les bonifications pour avoir élevé 3 enfants ou plus rapportent deux fois plus aux hommes qu’aux
femmes, alors que ce sont les femmes qui sont en grande majorité pénalisées par l’éducation des enfants,
ce qui vient du fait que ces bonifications sont calculées en proportion du salaire (10%) et que le salaire
des hommes est en moyenne plus fort.
• Le risque de pauvreté est aggravé chez les femmes seules, et cela est vrai dans toute l’Union
européenne : un quart des femmes retraitées isolées vivent sous le seuil de pauvreté (défini à 60% du
revenu médian national).
L’impact des « réformes » passées et l’injustice de ce qui se prépare
Les lois de 1993 et de 2003 ont pénalisé particulièrement les carrières courtes et à temps partiel, c’est à
dire les femmes. Le passage des 10 aux 25 meilleures années et la décote ont fortement pénalisé leur
pension. Les femmes ont très peu bénéficié du seul dispositif progressiste de la loi 2003, celui relatif aux
longues carrières. Elles ont plus subi la décote que les hommes et moins bénéficié de la surcote.
En 2004, seulement 41% des femmes avaient validé une carrière complète, contre 86% des hommes. Les
salariées parties en retraite en 2004 avaient en moyenne cotisé 34,25 ans contre 39,25 pour les hommes.
Toute augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour une pension à taux plein frappe donc
les femmes de manière disproportionnée puisqu’elles sont beaucoup plus loin que les hommes du
seuil exigé. Une telle mesure est discriminatoire envers les femmes.
• Trois femmes sur dix doivent attendre l’âge de 65 ans, pour ne pas voir s’appliquer la décote qui abaisse
la pension en cas d’annuités manquantes. A noter que cette borne reculerait si l’âge de départ recule après
60 ans, ce qui pénaliserait là encore largement les femmes.
• Fin 2007, 70% des retraités du régime général dont la pension, trop faible, est rehaussée au minimum
contributif sont des femmes. Le pourcentage des retraités portés au minimum contributif augmente au fil
des générations, du fait de la baisse des pensions entrainée par les réformes.
• Les dispositifs familiaux de majorations de durée d’assurance pour les enfants dont bénéficient les
mères ont été conçus pour compenser les inégalités entre hommes et femmes, et ils restent insuffisants
pour les réduire vraiment. Ils ont été remis en cause, et ils continuent de l’être, au nom de l’égalité entre
hommes et femmes ! Dans la fonction publique, la loi de 2003 a réduit la bonification d’un an par enfant :
le nombre moyen de trimestres validés par les femmes à ce titre est passé de 8,7 en 2003 à 7,9 en 2006.
Depuis, pour compenser cette réduction, l’âge moyen de départ en retraite des femmes a reculé nettement
plus que celui des hommes. La même restriction menace les femmes du privé, ce qui est un enjeu d’autant
plus important que cette compensation pour enfants représente 20% de la pension des femmes…