Comme pour bien d’autres avancées scientifiques, c’est par hasard que des chercheurs (du laboratoire Roussel Uclaf) découvraient en 1980 une anti-hormone aux propriétés abortives, qu’ils ont appelée RU 486 (initiales du laboratoire). Les premières études cliniques ont été conduites en Suisse en 1982 et en France en 1983 par des professionnels militant dans des centres autonomes d’Interruption volontaire de grossesse. En 1988, cette molécule, désormais appelée mifépristone, obtient l’autorisation de mise sur le marché, mais Roussel Uclaf annonce très vite son retrait face à la menace d’un boycott international de ses produits orchestré par les mouvements anti-avortement. Les mouvements féministes se sont mobilisés contre ce recul et, comme la loi l’y autorisait, Claude Evin1, alors ministre de la Santé, a contraint le laboratoire à revenir sur sa décision2. Cet épisode montre – s’il en était besoin – qu’un gouvernement peut soumettre les intérêts du patronat aux besoins sociaux… quand il en a la volonté politique !
Il a encore fallu plusieurs années de luttes des femmes pour que la loi de 2001 autorise l’avortement médicamenteux en ville, c’est-à-dire hors de l’hôpital, puis pour que les décrets paraissent en 2004 et que cette pratique soit autorisée en centre de planning familial. Toutefois à ce jour aucune prise en charge financière n’est prévue pour les IVG médicamenteuses en ville des femmes non assurées sociales : femmes étrangères n’ayant pas encore rempli les conditions de séjour nécessaires (trois mois) pour avoir l’Aide médicale de l’État, majeures ayants droit de leurs parents ou de leur conjoint vis-à-vis de qui elles souhaitent garder le secret sur leur avortement.
Pour un vrai droit de choisir !
Il y a deux méthodes pour pratiquer un avortement : la méthode par aspiration (méthode Karman), qui peut être réalisée sous anesthésie locale (anesthésie du col de l’utérus) ou générale, et la méthode médicamenteuse, qui peut être réalisée à l’hôpital ou à domicile. Ces méthodes sont équivalentes du point de vue de la sécurité : l’avortement est un des actes médicaux les plus sûrs dans les pays où il est légal. Elles diffèrent par certaines caractéristiques :
– L’avortement médicamenteux est possible jusqu’à cinq semaines de grossesse (sept semaines d’aménorrhée). Il est alors efficace à 97/98 % (contre pratiquement 100 % pour l’avortement par aspiration). Au-delà, cette méthode est nettement moins efficace et plus douloureuse que l’avortement par aspiration ;
– Le risque d’hémorragie, très variable d’une étude à l’autre (mais inférieur à 2 %), est un peu plus important qu’avec l’avortement par aspiration ;
– Chez un médecin libéral, le tiers-payant est impossible et les femmes doivent donc débourser près de 200 euros pour un avortement médicamenteux.
Cette méthode a donc ses avantages et ses inconvénients. La meilleure méthode reste celle que la femme choisit (sauf en cas de – très rares – problèmes de santé qui rendent l’une ou l’autre méthode préférable), et non celle que les contraintes d’un système de santé dégradé lui imposent. Par exemple, faute de professionnels formés et motivés pour pratiquer les avortements par aspiration jusqu’à douze semaines de grossesse comme le prévoit la loi, certains hôpitaux pratiquent des avortements médicamenteux, ce qui est très douloureux et nécessite parfois des hospitalisations de trois jours. D’autre part, les scandaleux délais d’attente pour avorter à l’hôpital (deux à trois semaines) conduisent les femmes à opter pour l’avortement médicamenteux à domicile alors qu’elles auraient préféré avorter à l’hôpital.
Pour que le choix de la méthode de l’avortement reste un véritable choix, il faut que pour les femmes non assurées sociales, il bénéficie de la même procédure de prise en charge financière intégrale à domicile qu’à l’hôpital et que le tiers-payant soit possible en médecine ambulatoire.
Nous devons lutter aujourd’hui pour le maintien à l’hôpital public de tous les centres d’IVG qui existent avec locaux, budget et personnels dédiés, leur création dans les hôpitaux où ils n’existent pas, pour l’allègement du nombre de consultations prévues par la loi (cinq !) et pour un avortement médicamenteux.
Maud Gelly