Le sort de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Villvorde, à l’origine de la crise politique, est à des années-lumière des préoccupations des travailleurs. Pourtant, la démission du gouvernement et les élections législatives anticipées qui devraient suivre risquent de faire le lit de ceux qui veulent détricoter les solidarités sociales au profit des fausses solidarités identitaires et nationalistes.Le patronat flamand a un ambitieux projet de développement pour la Flandre, devenue une des régions les plus prospères d’Europe. Son atout est le port d’Anvers, le troisième du monde, autour duquel joue le dynamisme des entreprises flamandes. Ce projet implique une offensive contre le mouvement pour améliorer la flexibilité du travail et la mobilité de la main-d’œuvre et surtout remettre en cause le système national de sécurité sociale, créé en 1944.
Après la crise des années 1970, les restructurations ont laissé un champ de ruines industrielles en Wallonie, déjà frappée par la crise charbonnière. En Flandre, la crise dégagea le terrain pour l’expansion d’un capitalisme
régional basé sur des PME dynamiques, les banques et l’investissement des multinationales. Aujourd’hui, alors que le vieux sillon industriel wallon reste gangrené par un chômage massif, l’économie flamande craint la pénurie de main-d’œuvre. La superstructure institutionnelle n’est plus en adéquation avec la réalité du capital et la classe dominante est incapable de se hisser au niveau de la gestion de l’État dans son ensemble. La réforme de l’État des années 1980-90 s’est accompagnée d’aberrations dans la répartition des compétences.
La situation de Bruxelles
Capitale, seule région bilingue, est particulièrement intenable : insuffisance de ressources, morcellement en dix-neuf communes, territoire étriqué.
Pendant des décennies, la Flandre a été pour la Belgique une réserve de main-d’œuvre à bon marché. Elle a connu le sous-développement, l’émigration, le mépris de la langue et des gens. Aujourd’hui, la situation économique s’est inversée et, si les Flamands ne sont plus opprimés, on ne peut nier les pesanteurs historiques.
Même si le patronat flamand n’a pas choisi de jouer la carte de l’extrême droite, le danger que représente le parti fascisant Vlaams Belang (25 % des voix en Flandre) ne peut être sous-estimé. La social-démocratie flamande, déboussolée par le passage de son électorat populaire au Vlaams Belang, ne voit d’autre perspective que d’accompagner le projet néolibéral pour la Flandre.
La gauche paie la faute historique de la social-démocratie belge qui a refusé d’embrasser la cause légitime du peuple flamand. Faute d’alternative à gauche, celui-ci a été récupéré par la droite dont le revanchisme est à la mesure des humiliations subies. Dans la classe ouvrière, la non-prise en charge des revendications démocratiques flamandes a laissé le champ libre à la hiérarchie catholique qui a mis sur pied un syndicat chrétien, la CSC, pour faire contre-poids au syndicat socialiste FGTB. Depuis lors, la CSC domine la classe ouvrière en Flandre, tandis que la FGTB reste plus puissante en Wallonie. Au sein du monde du travail, une ligne de partage organisationnelle s’est ainsi ajoutée à la ligne de partage linguistique.
La crise belge se situe dans la politique néolibérale du tout au marché et ses sous-produits idéologiques : arrogance de l’argent, glorification de l’inégalité sociale, banalisation de la xénophobie, rupture des solidarités sociales.
La solution du mal belge passe par une politique sociale et économique permettant de résorber l’inégalité de développement entre le nord et le sud du pays. Une telle politique passe par une redistribution des richesses et une relance de l’investissement public, donc par une rupture avec la logique du marché. Le mouvement ouvrier affaibli est également confronté au défi de sauver le système de sécurité sociale. Cette bataille ne peut être gagnée que dans l’unité des travailleurs, wallons et flamands, FGTB et CSC.
Jacques Radcliff