Ça s’est passé près de chez vous
On entend parfois dire que la « crispation contre le voile » qui toucherait aujourd’hui une partie du NPA – comme autrefois de la LCR – serait une espèce d’anomalie française, incompréhensible pour la gauche radicale et/ou révolutionnaire des autres pays européens, et nourrie par les ambiguïtés du mouvement ouvrier - extrême gauche incluse – vis-à-vis de « l’idéologie républicaine » et de ses « prétentions universalistes ».
En fait, le NPA n’est pas la première organisation radicale d’Europe occidentale à avoir présenté une candidate portant le voile et/ou à avoir cru que pour s’implanter dans les quartiers populaires il fallait s’adresser à ses habitants en tant que membres d’une communauté, voire d’une communauté religieuse. Il y a eu des précédents en Grande-Bretagne et au Danemark. Les mêmes causes y ont débouché sur les mêmes résultats : désastreux.
En Grande-Bretagne, c’est une organisation de la gauche révolutionnaire – le Socialist Workers Party (SWP) – qui a impulsé d’une manière incroyablement efficace – plus d’un million de manifestants à Londres en 2003… – la mobilisation contre la guerre en Irak, à travers une large coalition unitaire (Stop the War) regroupant des militants d’extrême gauche, des syndicalistes, des personnalités et des militants travaillistes opposés à la guerre et à Blair, des associations musulmanes, etc. La volonté de donner un prolongement à la coalition sur le terrain de la lutte politique et sociale et d’une alternative de gauche à Blair a donné naissance, en 2004, à RESPECT, une coalition électorale regroupant le SWP (et d’autres formations d’extrême gauche de moindre importance), G. Galloway – un député en rupture avec le Labour Party – et ses partisans ainsi que l’Association des musulmans de Grande-Bretagne. RESPECT a connu alors quelques succès électoraux et militants. Outre G. Galloway (opposant intransigeant à la guerre impérialiste, mais aussi… à l’IVG), l’autre figure de proue, intervenante systématique dans tous les meetings de RESPECT, était alors Selma Yaqoob, militante musulmane portant le hidjab, présentée comme la preuve éclatante de l’alliance possible entre la gauche révolutionnaire - pour peu qu’elle « renonce à ses préjugés » - et la « communauté musulmane ».
Trois ans plus tard, la coalition a éclaté. En 2007, le SWP a dénoncé – un peu tardivement ! – le caractère incontrôlable de G. Galloway et de Selma Yaqoob (dont il avait largement assuré la « promotion ») ainsi qu’une dérive électoraliste et communautariste de la coalition, notamment dans le choix des candidats aux élections locales ainsi que dans la mise en veilleuse de la lutte contre l’oppression des femmes et contre l’homophobie. Cet éclatement a évidemment brisé – temporairement, espérons-le – toute dynamique pour la gauche radicale britannique dans son ensemble et mis en difficulté le SWP, autrefois la plus importante organisation révolutionnaire en Europe, qui a connu depuis départs et soubresauts multiples.
Au Danemark, l’Alliance Rouge Verte est née en 1989 comme une alliance électorale – puis un parti politique – regroupant l’essentiel des organisations à gauche de la social-démocratie : divers courants d’extrême gauche (notamment d’origines maoïstes et trotskistes), de la gauche radicale en rupture et des courants écologistes les plus radicaux.
De 1989 à 2007, l’Alliance a connu un développement constant, accru son influence militante dans les mouvements sociaux et son poids électoral. Le système électoral – proportionnelle avec une barre à 2% – aidant, elle a acquis une représentation (plusieurs députés) au Parlement danois.
En 2007, la conférence annuelle de l’Alliance Rouge Verte a désigné comme candidate en position éligible (en cas de bon score, ce qui était espéré) Asmaa Abdol-Hamid, militante musulmane portant le hidjab. L’Alliance a immédiatement commencé à s’effondrer dans les sondages. Ses candidats n’ont plus été interrogés que sur cette question et sont devenus inaudibles sur leurs propositions programmatiques. Au final, l’Alliance a perdu environ 40% de son électorat et, avec seulement 2.17% des suffrages, elle a failli perdre toute représentation parlementaire. Naturellement, le débat sur le bilan et le sentiment de gâchis, de dynamique brisée, a profondément divisé l’Alliance.
Pas question, évidemment, de prétendre que la « question des candidates voilées » ou, plus globalement, du type de rapports à entretenir avec « les musulmans » – concept par ailleurs discutable… – constituent l’explication unique des revers de la gauche anticapitaliste danoise ou de la gauche révolutionnaire britannique ! Mais difficile, quand même, de penser que cela n’a pas pesé…
Il est cependant équitable de noter une différence importante entre ces « expériences » et celle que vient de connaître le NPA, différence qui n’est pas exactement à l’avantage du NPA. En Grande-Bretagne et au Danemark, les décisions de présenter des candidates voilées étaient le résultat de débats sérieux et de décisions démocratiques…
François Coustal (CPN)
* Publié dans le Bulletin de discussion « Religion, émancipation, laïcité, féminisme, anti-racisme », Fascicule n° 1, préparatoire à la réunion CPN du NPA des 27 et 28 mars 2010.
Tu te trompes, François
A debate has opened up in the Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) in France about both its disappointing election results and its decision to stand a Muslim candidate, Ilham Moussaïd, who chooses to wear a head scarf.
When you offer an opinion on what’s happened in another country it’s good sense to make sure that you have a firm grip on the facts. Writing in the NPA’s discussion bulletin François Coustal offers the following judgement.
This is my translation of a section from pages 8 and 9 :
“…the NPA is not the first radical organisation in Europe to stand a candidate in elections who wears a hijab (voile) and / or believed that to put down roots in working class areas it had to address itself to members of a religious community. There were precedents in Britain and Denmark . The same causes gave the same disastrous results.”
Anyone who can assert that Salma Yaqoob’s high profile for Respect has been “disastrous” is simply wrong. Salma has a much greater public presence in the national press than Respect’s size warrants. Inside and outside the organisation she is considered an impressive and credible figurehead for the party, regularly expressing views that put her squarely on the left side of the debate in British politics.
Coustal gets some major facts right and several crucial ones wrong.
He is correct to say that the Socialist Workers Party (SWP) helped convert the anti-war demonstrations into the Stop The War Coalition and very effectively contributed to building the anti-war movement.
He’s also right when he says that Respect was born out of the desire to give a political expression to the social and political struggle against Blair, the personification of New Labour’s sharp move to the right and that it included the SWP and George Galloway who had broken with Labour because of the war. He moves onto less firm ground when referring to Salma Yaqoob. He argues that she was presented as proof that an alliance was possible between the revolutionary left and the “Muslim community” (his phrase and his quotation marks) even though it had not “abandoned its prejudices” (« renonce à ses préjugés »).
Describing the 2007 split his narrative becomes seriously tendentious. He gives the reader the strong impression that the split took place because the SWP had started to find Salma Yaqoob and George Galloway uncontrollable. It’s true that a structural weakness in Respect was and is its lack of collective control over prominent figures. The Labour Party has a similar problem. However the reason for the split had more to do with George Galloway’s perception that the organisation was not being built at a time when an election was thought to be imminent. The MP’s views on abortion or Salma’s religious beliefs were just not part of the debate. When Coustal argues that attitudes to women’s oppression or homophobia were involved he is simply wrong. The debate was around political priorities and organisational conceptions.
The other major error of fact, or perhaps interpretation, is his assertion that the decision to stand candidates who cover their heads was the result of serious debates and democratic decisions. It simply was not an issue which caused any concern. Neither was there any discussion or anxiety about standing candidates who were practising Catholics or members of the Church of England . It was taken for granted that a religious believer who would defend party policy in public was entitled to be a candidate. Purists could even find quotes from Lenin to comfort them.
The concept of laïcité which is provides the backdrop to this debate was once correct and revolutionary. It’s in danger of changing into its opposite as French society changes and militant secularism is used by the right as a transparent cover for Islamophobia. Getting the facts right about the British experience is essential for an informed discussion.
Liam Mac Uaid
29 mars 2010
* http://liammacuaid.wordpress.com/2010/03/29/tu-te-trompes-franois/
Eléments de réponse à Liam
La contribution - « Ca s’est passé près de chez vous » - que j’ai écrite pour le bulletin de discussion « religion, émancipation, féminisme, laïcité » a suscité quelques réactions au-delà même des frontières. Un camarade britannique l’a critiquée sur son blog [voir ci-dessous]. Plus impressionnant encore, elle a suscité une réaction du Bureau Politique du SAP (section danoise de la IV° Internationale)….
Ayant eu l’incroyable idée d’évoquer ce qui avait pu se passer en dehors de l’Hexagone, il est normal que cela ait provoqué des réactions. Ce qui, par contre, est « étonnant », c’est la grande difficulté des camarades – quelles que soient l’analyse et l’interprétation politique qu’ils font et dont je conçois parfaitement qu’elles puissent être très différentes des miennes – à simplement reconnaître l’évidence : les expériences évoquées ont été des expériences malheureuses ; les résultats ont été mauvais…. A l’inverse, j’espère que le NPA, après ses mauvais résultats aux élections régionales, sera suffisamment courageux pour reconnaître son échec et suffisamment lucide pour aller au bout de la discussion sur les causes – qui sont effectivement diverses – de cet échec.
Comme je ne doute pas que tout cela circule ou va circuler, voici quelques éléments de réponse à Liam. A suivre, quelques remarques à propos du texte du SAP…
Tout d’abord, une remarque préliminaire plus particulièrement destinée aux camarades britanniques (ou danois) : ma contribution était, sans ambiguïté aucune, une contribution au débat ouvert dans le NPA à propos de la religion, du féminisme, du voile, etc. Il ne s’agissait nullement pour moi d’expliquer depuis Paris aux anticapitalistes britanniques (ou danois) ce qu’ils devraient faire – ou ce qu’ils auraient du faire – à Londres (ou à Copenhague). Même si, il y a quelques années, des responsables de la gauche révolutionnaire britannique ne se sont pas privés, à différentes occasions militantes, de dire tout le mal qu’ils pensaient des prises de positions de la direction de la LCR, à propos du voile islamique… ou des droits du peuple kosovar, par exemple.
Ma conception des rapports avec les organisations de la gauche anticapitaliste des autres pays est plutôt qu’il faut éviter de donner des leçons. Mais aussi que l’on peut apprendre des autres et de leurs expériences, de leurs expériences positives comme de leurs expériences négatives. Et, peut-être, essayer d’éviter de refaire les mêmes erreurs…
La critique de Liam contient des interprétations discutables, des malentendus et aussi… des divergences ! Revue de détail.
Interprétation discutable
Contrairement à ce que laisse entendre Liam, je n’ai jamais écrit (ni pensé) que Selma Yaqoob était… « désastreuse » ! D’ailleurs, en mai 2004, Rouge, l’hebdomadaire de la LCR, a publié une interview – que j’avais réalisée (avec Antoine Boulangé)… – de Selma Yaqoob. Cela n’aurait pas été fait (ni l’interview ni sa publication) si nous avions pensé que Selma était « désastreuse » ou même simplement inintéressante…
Tout ce que ma contribution voulait indiquer est qu’il existe non des personnalités désastreuses (!) mais une orientation politique particulière qui a donné des résultats… désastreux. En France comme au Danemark. Et comme en Grande-Bretagne. Cette orientation politique particulière que je critique est celle qui est fondée sur la croyance que pour s’implanter dans les quartiers populaires (ou dans les couches les plus exploitées et les plus discriminées) il faudrait s’adresser à ses habitants comme membres d’une communauté (et même, en fait, d’une communauté religieuse). Cette orientation ne se limite pas à la présentation de candidates voilées. Mais, la présentation de candidates voilées – qui n’a d’ailleurs pas les mêmes répercussions selon le contexte historique /politique/ idéologique propre à chaque pays, j’y reviendrais – est, à l’évidence, un des éléments de cette politique.
Pour être tout à fait clair : pour moi, ce ne sont ni Selma Yaqoob, ni Asmaa Abdol-Hamid ni Ilham Moussaïd qui sont des « problèmes ». Le problème, pour moi, c’est l’orientation politique, en France et en Europe, d’un certain nombre de camarades et/ou d’organisations de la gauche anticapitaliste et de la gauche révolutionnaire – par ailleurs, tout ce qu’il a de plus blancs, athées voire absolument matérialistes et 300 % marxistes – qui pensent que, « pour la bonne cause », on peut ruser, voire faire preuve de complaisance vis-à-vis de la religion et/ou d’autres formes d’oppression. Et, ainsi, choisir de s’adresser aux travailleurs (par ailleurs croyants) et aux travailleuses (par ailleurs croyantes) en tant que croyants et croyantes plutôt qu’en tant qu’exploité(e)s. C’est politiquement erroné. Et, en plus, ça ne marche pas…
Malentendu
Liam pense que je m’avance sur un terrain glissant en affirmant que « Selma Yaqoob, militante musulmane portant le hidjab » était « présentée comme la preuve éclatante de l’alliance possible entre la gauche révolutionnaire - pour peu qu’elle « renonce à ses préjugés » - et la « communauté musulmane ». » A l’évidence, il y a un malentendu : l’expression controversée - « pour peu qu’elle « renonce à ses préjugés » - s’appliquait à la gauche révolutionnaire… et non à Selma Yaqoob ! Mais, c’est vrai, cette remarque était peu explicite…
Concrètement : au cours de la dernière décennie (avant la fondation du NPA, donc), dans le cadre des efforts déployés par la LCR pour bâtir un réseau, un espace de débats et de convergences politiques avec les différentes organisations de la gauche anticapitaliste européenne, j’ai eu – comme d’autres responsables de la LCR, d’ailleurs – l’occasion de débattre avec les dirigeants du SWP, la principale organisation de la gauche révolutionnaire britannique. A plusieurs reprises et dans divers cadres, dont plusieurs conférences annuelles du SWP (l’équivalent de nos congrès). Je confirme donc absolument que tant la présence en tant que telle d’une association musulmane (MAB, Muslim Association of Britain) dans la fondation de Respect que la présence de Selma Yaqoob (avec son voile) à la direction de cette coalition m’ont été présentées comme autant de preuves de la pertinence d’une orientation politique fondée sur l’alliance de la gauche révolutionnaire et d’associations et de personnalités musulmanes. A l’inverse, sans excès polémiques mais avec une franchise parfois « rugueuse », en privé comme en public, les dirigeants du SWP regrettaient que ceci ne se produise pas en France. Et ne puisse pas s’y produire parce que la LCR avait une position « rigide » sur le voile et demeurait attachée à la laïcité, une notion jugée par eux peu révolutionnaire et peu prolétarienne. C’est cela – notamment l’utilisation de Selma Yaqoob comme argument en faveur d’une orientation politique – que j’avais voulu souligner.
Débat démocratique ?
Sur ce point – l’existence ou non de débat démocratique préalable à la présentation de candidates voilées - Liam a raison et j’ai eu tort d’écrire un peu vite que la présentation de candidates voilées résultait « de débats sérieux et de décisions démocratiques », du moins pour la Grande-Bretagne.
Il n’y a pas eu de débat sans doute parce que cette question ne faisait pas débat, ni au sein du SWP, ni au sein des différentes organisations de la gauche radicale. Notamment parce que, vraisemblablement, cette question fait beaucoup moins débat, aussi bien dans les milieux politiques que plus généralement dans la société, que cela n’est le cas en France. Présenter des candidates voilées ne constituait pas en soi une « rupture » : non seulement le Parti travailliste mais encore les conservateurs et les libéraux-démocrates le font aussi occasionnellement.
Par contre, en ce qui concerne le Danemark, je suis en mesure de confirmer que la candidature de Asmaa a été démocratiquement, longuement et… passionnément débattue par l’Alliance Rouge Verte, notamment lors de sa conférence nationale annuelle qui précédait les élections. Je suis en mesure de le confirmer, ayant assisté en tant qu’invité (au titre de la direction de la LCR) à cette conférence nationale…
Des citations de Lénine à la rescousse ?
A propos de la possibilité pour des croyants (défendant la politique du parti) d’être candidats, Liam écrit que « des puristes pourraient même trouver des citations de Lénine » (en faveur de cette thèse). C’est habile. D’un côté, c’est l’arme (idéologique) de destruction massive : Lénine ! De l’autre, Liam soupçonne vaguement que se lancer dans un concours de citations pourrait lui valoir le reproche de dogmatisme ; donc, il désamorce en utilisant l’humour : le terme « puristes »…
Quelques précisions, malgré tout.
D’abord : Lénine n’est pas forcément une référence incontestable sur tous les sujets, surtout dans un parti comme le NPA. Pour être tout à fait honnête, moi-même, je n’en suis pas un inconditionnel sur certains sujets…
Ensuite, si on leur enlève la dimension « argument d’autorité » – qui revient toujours à dire : si Marx et/ou Lénine l’ont dit, donc c’est forcément vrai…. ce qui n’est pas le must de la pensée critique…. – l’usage de citations me laisse extrêmement dubitatif. Sauf, éventuellement, à les resituer scrupuleusement dans leur contexte. Or les (rares) écrits de Lénine traitant de la religion ne sont nullement des textes théoriques à vocation universelle, mais des textes polémiques et conjoncturels totalement marqués par un contexte très spécifique : la place de la religion orthodoxe dans la Russie tsariste du début du XX° siècle. Je doute qu’ils puissent nous aider beaucoup à répondre aux problèmes soulevés dans les métropoles d’une puissance impérialiste surdéveloppée du début du XXI° siècle…
Maintenant, si l’on insiste et pour détendre l’atmosphère, voilà un best of de Lénine sur la religion :
« La religion est un des aspects de l’oppression spirituelle qui accable toujours et partout les masses populaires (…) »
« La religion est une espèce d’alcool spirituel dans lequel les esclaves du capital noient leur image humaine et leur revendication d’une existence tant soit peu digne de l’homme. »
« L’ouvrier conscient d’aujourd’hui, formé par la grande industrie, éduqué par la ville, écarte avec mépris les préjugés religieux (…) »
« Le prolétariat moderne se range du côté du socialisme qui fait appel à la science pour combattre les fumées de la religion (…) »
Encore ? Pas de problème !
« (…) l’inconscience, l’ignorance ou l’obscurantisme revêtant la forme de croyances religieuses (…) »
« combattre le brouillard de la religion »
« combattre tout abêtissement religieux des ouvriers »
« Notre propagande comprend nécessairement celle de l’athéisme ». Tiens donc !
« (…) traduire et répandre parmi les masses la littérature française du XVIII° siècle athée et démystifiante (…) » Ainsi, Lénine, lui, ne méprisait pas complètement les Lumières, la Révolution française, « l’exception française » ???
Une dernière pour la route ?
« L’abêtissement religieux de l’humanité »
Bien entendu, des camarades pourront aussi trouver d’autres citations témoignant de la part de Lénine d’une approche un peu plus « tactique » de la religion et des croyants. Mais c’était juste pour le plaisir : les citations, celles-là comme d’autres, ne prouvent rien. Et surtout pas que Lénine aurait soutenu avec ferveur l’idée de candidates voilées ! Mais, personnellement, je trouve qu’il exagère sans doute (un peu). Et je crois que, au sein du NPA, il serait raisonnable de parler de la religion et surtout des croyants en termes plus mesurés. Le mieux étant d’ailleurs sans doute, dès que possible, de ne pas en parler…
Retour à Respect : erreurs… ou divergences d’analyse ?
Dans ma contribution, je ne prétendais à aucun moment que « le voile de Selma Yaqoob » avait, à lui seul, provoqué la scission de Respect ! Ce serait ridicule, surtout quand on connaît les points de vue assez proches du SWP et des autres protagonistes de la discussion à ce sujet.
A l’inverse, je maintiens qu’attribuer toute la responsabilité de la scission à l’attitude du SWP qui, elle-même, ne serait fondée que sur la volonté de garder un contrôle strict sur la coalition et aurait provoqué ainsi le sentiment de Galloway « que l’organisation ne se construisait pas, alors même que l’on pensait que les élections étaient imminentes » (comme l’écrit Liam) me paraît un peu… court.
Le processus qui a conduit à la scission de Respect ne se réduit pas à une lutte de pouvoir. Il y avait aussi… de la politique ! Dans les échanges qui ont précédé la scission, des problèmes politiques précis ont d’ailleurs été soulevés. Le fonctionnement et la construction de Respect, comme l’évoque Liam. Tout à fait, mais pas seulement ! Le hidjab ? Certes, non ! Mais le communautarisme, oui ! Notamment dans le choix des candidats aux élections locales. Dans le soutien et le financement parfois un peu… « interclassistes » de ces campagnes. Et puis, aussi, l’absence de toute possibilité de contrôle démocratique sur les personnalités connues de Respect. Certaines de ces critiques avaient d’ailleurs été formulées antérieurement… notamment par des membres de Socialist Resistance ! Elles avaient été combattues (et marginalisées) par… le SWP, alors attaché à « protéger » G. Galloway et S. Yaqoob de toute critique.
On peut donc penser que lorsque le SWP, au moment de la scission, a repris ces critiques, il le faisait tardivement. On peut penser qu’il était moyennement sincère. On peut penser qu’il s’agissait de prétextes. On peut penser ce que l’on veut ! Mais la question demeure : indépendamment de qui formule ces critiques, indépendamment du moment où elles sont formulées, ces critiques sont-elles… fondées ?
Pour mémoire et sans que cela n’ait d’autre valeur qu’informative : à l’époque de la scission de Respect, la direction de la LCR s’était bien gardée d’un soutien tonitruant aux camarades restés avec G. Galloway et S. Yaqoob, alors même que certains d’entre eux étaient membres de la même organisation internationale (la IV° Internationale) que la LCR... Nous avions sobrement donné la parole, dans Rouge, aux deux parties, à égalité de traitement.
La laïcité, une menace ?
A la fin de son texte, Liam s’inquiète du fait que la laïcité, concept autrefois révolutionnaire, est en train de se changer en son contraire au fur et à mesure que « la France change » et que « le militantisme laïque est utilisé par la droite comme une couverture transparente de l’islamophobie ».
Pur contresens ! La défense de la laïcité n’est évidemment pas – et d’aucune manière – la politique défendue et menée par la droite française, c’est-à-dire principalement Sarkozy, le gouvernement et l’UMP. Ils font parfois référence à « la République » et aux « valeurs républicaines ». Mais, en ce qui concerne la laïcité, les déclarations désormais célèbres de N. Sarkozy sur le prêtre et l’instituteur – « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » – ne laissent aucun doute sur la dimension violemment anti-laïque du gouvernement. Surtout si l’on prend en compte le rapport immédiat et historique en France entre laïcité et école ! Avoir choisi de mettre en avant « le prêtre » au détriment de « l’instituteur » est particulièrement lourd de sens et constitue précisément une rupture avec les prédécesseurs de Sarkozy, y compris ses prédécesseurs de droite, qui se sentaient obligés de se référer à la laïcité ou, en tout cas, de la ménager.
A rebours de la laïcité, la politique de Sarkozy est profondément communautariste : tout à la fois le maintien voire l’extension des privilèges de la religion dominante (catholique) et la tentative d’utiliser les religions – toutes les principales religions, islam compris – comme un facteur de pacification sociale et de maintien de l’ordre. C’est notamment ce à quoi correspondaient les efforts de Sarkozy, à l’époque où il n’était encore que Ministre de l’Intérieur, pour mettre en place et en scène le Comité Français du Culte Musulman.
Expliquer qu’aujourd’hui en France le problème viendrait du militantisme laïque couverture de l’islamophobie ne correspond tout simplement pas à la réalité de la société française et de ses débats politiques. Je pourrais donc facilement renvoyer Liam à son propre conseil : « quand vous donnez votre opinion sur ce qui se passe dans un autre pays, il est de bon sens de s’assurer que vous maîtrisez bien les faits » ! Mais il me paraît plus respectueux de considérer qu’il s’agit non de méconnaissance des faits… mais de désaccords politiques ! Liam et moi sommes, à l’évidence, en désaccord sur d’éventuels rapports entre laïcité et ce qu’il appelle « islamophobie », pour ce qui est de la France. De la même manière que Liam et moi sommes, à l’évidence, en désaccord sur certains aspects de l’expérience politique qu’a constitué Respect, pour ce qui est de la Grande-Bretagne.
Et puis, surtout, pour comprendre réellement le débat qui traverse aujourd’hui le NPA, Liam – -ou d’autres camarades de la gauche anticapitaliste et/ou révolutionnaire d’autres pays – devrait prendre en compte l’élément suivant : l’émotion qu’a suscitée et que suscite toujours la présentation d’une candidate voilée chez nombre de militants et de militantes du NPA – ainsi d’ailleurs qu’au sein des cercles militants que nous côtoyons – est sans doute due, pour partie, à la « laïcité », avec ce que cela implique de « spécificité française ». Mais elle est surtout due à un attachement à quelques valeurs émancipatrices et universelles… Pour éviter tout malentendu : ces « valeurs » ne sont pas celles de la « République » (française). Mais plutôt celles qui ont été forgées par plus de deux siècles de luttes du mouvement ouvrier révolutionnaire et du mouvement de libération des femmes !
François Coustal
18 mai 2010
Un échange avec le SAP (Danemark)
Lettre du SAP à F. Coustal
Nous avons appris que dans vos discussions concernant une candidate portant le hidjab certaines contributions ont fait référence à l’expérience de l’Alliance Rouge et Verte (Enhedslisten) au sujet d’Asmaa Abdol-Hamid et les discussions que l’Alliance a menées avec elle.
Ayant lu une contribution par François Coustal, nous tenons à apporter les précisions et compléments d’informations sur le Danemark qui suivent.
1) Le recul subi par l’Alliance Rouge et Verte lors des élections ne s’explique pas seulement par la candidature d’Asmaa. Parmi les facteurs principales il faut citer aussi la forte augmentation du score du parti réformiste de gauche, SF (Parti socialiste populaire), attirant des voix à droite et à gauche de lui, et le fait que la députée Pernille Rosenkrantz-Theil, jeune et très populaire, ne s’était pas représentée.
2) Les critiques exprimées par des militants de l’Alliance Rouge et Verte à l’encontre d’Asmaa ne proviennent pas seulement du fait qu’elle porte le hijab mais autant le flou de ses propos sur les droits démocratiques, les droits LGBT et la peine de mort.
3) Asmaa n’a pas enthousiasmé les militants du SAP non plus. Ce n’était pas à cause de son hijab ou du fait qu’elle est musulmane, mais parce qu’elle n’était pas clair sur les droits démocratiques et l’égalité des sexes et que son discours politique était réformiste plutôt qu’anticapitaliste.
4) Le mécontentement vis-à-vis l’Alliance Rouge et Verte provenait aussi des milieux qui soutenaient Asmaa et qui se sont retournés contre l’Alliance Rouge et Verte parce que des militants de l’Alliance l’avaient critiquée.
5) La conclusion qu’en tire le SAP n’est pas que l’Alliance Rouge et Verte ne doit pas présenter des candidates musulmanes portant le hijab. Notre conclusion est que les musulmanes portant le hijab doivent être aussi anticapitalistes et aussi douées en politique que tout(e) autre candidat(e), et qu’il faut les préparer pour la tempête médiatique qu’elles devront affronter.
Salutations fraternelles,
Bureau politique du SAP
7 avril 2010
Réponse de F. Coustal au SAP
Ayant pris connaissance des « précisions et compléments d’informations sur le Danemark » que le Bureau Politique du SAP (section danoise de la Quatrième Internationale) a souhaité apporter à ma contribution (« Ca s’est passé près de chez vous ») au débat du NPA sur « religion, émancipation, etc… », voici trois brefs éléments de réponse.
Dans leur premier point, les camarades du SAP écrivent : « Le recul subi par l’Alliance Rouge et Verte lors des élections ne s’explique pas seulement par la candidature d’Asmaa. »
Absolument ! Il me semble que c’est à peu près la même chose que ce que j’avais écrit.
A savoir : « Pas question, évidemment, de prétendre que la « question des candidates voilées » ou, plus globalement, du type de rapports à entretenir avec « les musulmans » – concept par ailleurs discutable… - constituent l’explication unique des revers de la gauche anticapitaliste danoise ou de la gauche révolutionnaire britannique ! »
Il est vrai que j’ajoutais : « Mais difficile, quand même, de penser que cela n’a pas pesé… »
Les « précisions et compléments d’informations » des camarades du SAP n’invalident en rien mon constat.
Dans leurs points 2 et 3, les camarades du SAP affirment que la raison des réticences vis-à-vis de la candidature d’Asmaa (aussi bien au sein de l’Alliance Rouge Verte qu’au sein du SAP) n’est pas le port du hidjab… mais « le flou de ses propos » sur des sujets tels que « les droits démocratiques, les droits LGBT et la peine de mort » ou encore « les droits démocratiques et l’égalité des sexes ». D’accord.
Mais peut-on encore, sans être immédiatement la cible d’un procès d’intention, penser qu’ il y a peut-être un rapport entre les deux ? Pas entre des propos ambigus et le fait d’être croyante (musulmane). Mais entre une interprétation particulière de la religion qui conduit à arborer le hidjab dans une campagne électorale – c’est-à-dire à militer activement pour son port – et quelques « insuffisances » dans la défense des « droits LGBT » ou de « l’égalité des sexes »…
Enfin, je prends note de la conclusion des camarades du SAP quant à la présentation par l’Alliance Rouge Verte de candidates portant le hidjab. Si je comprends bien, ils y sont favorables à condition de « les préparer pour la tempête médiatique qu’elles devront affronter ». En ce qui concerne le Danemark, c’est évidemment de leur entière responsabilité. En ce qui concerne la France, c’est un peu l’objet du débat aujourd’hui ouvert dans le NPA. En ce qui me concerne, on l’aura compris, je ne considère pas qu’il s’agisse principalement d’un problème de « communication » auquel on pourrait aisément remédier en « préparant » les candidates. C’est donc une divergence politique.
François Coustal