Une idée en vogue
On a pu voir transparaître cette idée de possible coopération entre mouvements sociaux et religieux quand le comité d’initiative du Forum social européen de Saint-Denis, en novembre 2003, a invité le théologien Tarik Ramadan. Une erreur a sans doute été commise, car cette invitation créditait l’idée qu’une intervention religieuse en tant que telle était possible dans le mouvement social. Et ce même si Tarik Ramadan n’est pas islamiste : c’est un théologien, il n’a rien à dire sur les luttes sociales.
En France, un pavé a été jeté dans la mare quand, le 9 mars, la section de Saint-Quentin-en-Yvelines d’Agir contre la guerre (ACG) a publiquement démissionné, jugeant que la direction d’ACG suivait « les mêmes orientations pro-islamistes que le SWP anglais ». Selon ces militant(e)s, qui ont depuis rejoint Solidarité-Irak [2], « ACG se lie maintenant directement avec des organisations islamiques étrangères au mouvement antiguerre (Collectif des musulmans de France) pour appeler à des manifestations (ex : concert “antiguerre” du 14 mars pour lequel la « direction » d’ACG a tenté, sans succès, d’imposer exclusivement de la nourriture hallal et l’absence d’alcool au bar de l’Elysée-Montmartre !). […] Tout débat sur les questions fondamentales, notamment le rôle de l’islamisme radical dans l’Irak occupé, mais aussi celle des alliances dans le mouvement antiguerre est devenu impossible. Tout militant qui conteste l’orientation islamophile monomaniaque de la « direction » (non élue) est systématiquement insulté, traité d’« islamophobe », de raciste, voire menacé. […] Les résistances aux forces occupantes s’appuyant sur le mouvement ouvrier irakien et les mouvements de femmes sont systématiquement ignorées. […] Qui plus est, la « direction » d’ACG s’est prononcée contre le droit à la parole de Houzan Mahmoud, représentante du mouvement OWFI (Organisation pour la libération des femmes irakiennes) dans le cadre du meeting du 20 mars contre la guerre à Paris. Cette interdiction aberrante s’explique par le refus de laisser s’exprimer quelque témoignage que ce soit sur la barbarie des groupes islamistes. Ces derniers, tentent actuellement de terroriser les femmes et le mouvement ouvrier irakien en phase de construction (menaces de mort, attentats, meurtres, fatwas, rapts). » ACG n’a pas, pour le moment, publiquement réagi à cette sévère accusation.
Guillaume Davranche
On nous écrit : Droit de réponse : mouvement antiguerre et la laïcité
Nous avons reçu un courrier de Denis Godard d’Agir contre la guerre (ACG) en réponse à un encart intitulé « Une idée en vogue » qui s’insérait dans un autre article : « Extrême gauche : “Unité d’action” avec les islamistes ? » (Alternative libertaire n° 129, mai 2004).
« Je souhaite réagir à l’article paru dans votre revue le mois dernier, critiquant ACG. […] »
« Il me semble plus important de débattre sur le fond, c’est-à-dire la stratégie défendue par ACG pour la construction du mouvement antiguerre, que sur les attaques contre ACG relayées par l’auteur de l’article. Pour cela vous pourrez consulter le site d’ACG [3] où, vu la diffusion systématique de ces attaques sur les listes militantes, il s’avère aujourd’hui nécessaire de répondre. [4] »
« D’autant plus quand, à l’image de votre article, ce communiqué est utilisé ici ou là sans rechercher la moindre confrontation avec la version des animateurs d’ACG. […] ACG n’est pas une organisation politique porteuse d’un projet global de société. Parmi tous ceux et celles qui sont opposés à la guerre de nombreuses analyses et perspectives divergentes, voire même contradictoires sur certains points, existent, qu’elles se cristallisent ou pas dans l’appartenance à des organisations différentes. […] En ce qui concerne les organisations musulmanes, ACG considère que toutes les organisations et associations ayant une référence confessionnelle, forment - quand elles prennent position contre la guerre - une des composantes du mouvement antiguerre. Cela n’a, apparemment, jamais posé de problème lorsqu’il s’agissait d’associations ou organisations chrétiennes (participation de la JOC, du CCFD ou de la Cimade par exemple). Étant donné le contexte d’attaques particulières contre la communauté musulmane, ACG considère comme légitime et même souhaitable pour le succès du mouvement, la participation d’organisations musulmanes désireuses de participer aux cadres communs de mobilisation. […] »
« Guillaume Davranche ne pense pas que le fait d’être musulman(e) empêche d’être opprimé(e) et exploité(e). Il ne contestera pas non plus le fait que pour ceux et celles qui sont exploité(e)s et musulman(e)s, leur croyance religieuse influence au moins partiellement leur vision du monde. Il ne pourra alors pas contester non plus le fait que des musulman(e)s cherchent à exprimer leur résistance à travers les canaux de leur croyance et donc, concrètement, pour certain(e)s à travers des organisations qui s’en réclament. »
Denis Godard
Une réponse de Guillaume Davranche
L’évocation du CCFD ou de la Cimade ici est sans rapport. Il s’agit seulement d’organisations humanitaires à référence religieuse. L’article « Unité d’action avec les islamistes ? » contestait la stratégie d’alliance avec des organisations religieuses proprement dites, dont l’objectif essentiel est le prosélytisme spirituel. Faire participer des croyant(e)s à des luttes sociales et politiques est vital, mais dans un cadre laïc. C’est de cette façon que le mouvement ouvrier, dans tous les pays (chrétiens comme musulmans), a toujours fait reculer l’obscurantisme au profit de la raison. Cette critique n’enlève rien à l’irremplaçable travail de mobilisation que fait le réseau ACG contre le colonialisme occidental au Moyen-Orient.
* Publié le 1er juin 2004 par Secrétariat aux relations extérieures.