Il y a un an, le 21 janvier 2000, les indigènes d’Equateur qui représentent, selon les sources, 20 à 50 % de l’ensemble de la population, se soulevaient et occupaient la capitale Quito. Leur révolte contre l’appauvrissement exacerbé issu des plans d’ajustement structurel obligeait le président Mahuad et son gouvernement à démissionner. L’action des indigènes et des secteurs sociaux a débouché sur une consultation populaire qui permet de mesurer le niveau de conscience de la population et la vigueur de ses revendications.
Un million cinq cent mille signatures ont été récoltées dans le pays rejetant notamment la privatisation des secteurs stratégiques, la dollarisation et la non convertibilité de la monnaie locale, le paiement de la dette extérieure, la présence des troupes américaines en Equateur. La consultation exigeait un contrôle des changes, une réorganisation intégrale des cours de justice, l’affectation immédiate des fonds gelés dans les banques privées... Les indigènes, rassemblés et organisés au sein de la CONAIE (Confédération des Nationalités Indigènes d’Equateur), avaient promis de surveiller l’évolution de la situation et de réagir à nouveau si les nouvelles instances politiques continuaient à appauvrir le peuple.
Surveillance plus que nécessaire puisque, malgré l’ampleur de ces revendications populaires, le nouveau président Noboa, mis au pouvoir avec l’aide des Etats-Unis, s’empressait à son tour d’obéir aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale pour assurer le remboursement de la dette et fin de l’année 2000, il décidait la hausse des prix des produits de base, du combustible, des transports, etc.
C’est donc au moment où des milliers de délégué(e)s de mouvements sociaux se réunissaient à Porto Alegre (Brésil) pour une mondialisation solidaire que les Indiens reprenaient en cette fin de janvier 2001 les chemins de l’action. Marche indigène sur Quito avec l’appui des organisations sociales, paralysie des routes de 12 provinces du pays, non approvisionnement des marchés... 50 personnes ont entamé une grève de la faim à l’Université Polytechnique Salésienne, en présence de 350 enfants, symboles d’une vie nouvelle. Divers secteurs de la société participent au soulèvement avec différentes initiatives comme les occupations pacifiques et momentanées d’institutions publiques.
Ces actions n’ont pas pour objectif de faire tomber le gouvernement (« Nous ne voulons pas la chute du gouvernement de Noboa parce que quand l’un sort et que l’autre entre, c’est du pareil au même » dit Ulcuango, vice-président de la CONAIE) mais qu’il abandonne les mesures néo-libérales et que la gestion du pays obéisse au mandat du peuple qui, en l’occurence, est clair. En effet, la constitution équatorienne proclame par exemple que « l’éducation est un droit inaliénable des personnes, un devoir de l’Etat » et garantit que « l’Etat ne peut assigner moins de 30% des recettes courantes totales du gouvernement central pour l’éducation ». Or, les dépenses du gouvernement pour l’éducation sont maintenant inférieures à 10%. Même chose pour la santé.
Le peuple en dénonçant la dernière lettre d’intention du gouvernement équatorien au FMI, exige en fait le respect de la Constitution. Il se réfère aussi à la Charte des Droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies pour réclamer que les magistrats donnent leur avis sur l’attitude du gouvernement.
L’imposition de vingt années d’ajustement est le principal facteur de déstabilisation sociale, économique et politique de l’Equateur dont les résultats sont visibles à l’œil nu : la régression de cent ans entre 1999 et 2000 en matière sociale et économique, 1.500 enfants pauvres de plus chaque jour, la corruption, un taux d’inégalité sociale et la concentration de la richesse en peu de mains... En 1996, 60% des femmes enceintes étaient anémiées ; 70% des enfants de 6 à 11 mois également (or, le problème de l’anémie peut être facilement solutionné avec une meilleure alimentation). Cependant, un organisme public de recherche du gouvernement estime que « 80% des décès peuvent être évitées en appliquant des mesures de prévention (de santé) primaire et secondaire. Si l’on considère seulement la mortalité des enfants de moins d’un an, on estime que » les deux tiers des décès trouvent leur origine dans les maladies diarrhéiques, des infections, la malnutrition et d’autres causes facilement prévisibles ". Cela signifie que 9.270 morts d’enfants sont facilement évitables avec un peu plus de ressources dans le secteur de la santé. Deux millions d’Equatoriens ont dû émigrer vers d’autres pays pour assurer la survie de leurs familles.
La réponse actuelle des autorités est uniquement répressive : l’état d’urgence a été déclaré et fin janvier - début février 2001, on comptait déjà 10 blessés par balles, 40 blessés par éclats de bombes, plus de 300 prisonniers... Le président de la CONAIE, Antonio Vargas et d’autres dirigeants du mouvement indigène ont été emprisonnés puis libérés sur un verdict de détention illégale et anticonstitutionnelle. Des secteurs de l’armée reconnaissent les revendications populaires : certains chefs militaires retirent leurs troupes des routes pour éviter la confrontation avec le peuple « Nous ne réprimerons pas les Indiens » a dit le chef militaire de Chimborazo. Il s’est même constitué un groupe de « militaires du 21 janvier » (référence au premier soulèvement de janvier 2000, NDLR) qui veut démontrer que l’armée équatorienne est du côté du peuple. Il faut aussi signaler la décision d’un juge qui déclare sans effet l’augmentation du prix des combustibles et du gaz d’usage domestique. La CONAIE s’appuie sur cette décision pour que les autorités de police contrôlent les prix ainsi que la spéculation qui causent tant de préjudices à ceux qui subissent les graves effets de la crise économique.
Début février, les mouvements indigènes et sociaux avaient élaboré un agenda de dialogue avec une série de conditions initiales (e.a. libération des détenus du soulèvement), de demande immédiates (e.a. rejet des mesures économiques, diminution de la TVA à 10%, révision de la négociation avec le Club de Paris du paiement de la dette), à moyen terme (e.a. récupération de la souveraineté monétaire et de la monnaie nationale) et de demandes au Congrès et autres institutions (refus de lois antisociales). Le président Noboa a refusé de recevoir les négociateurs mais devant le renforcement des actions dans les provinces, il a finalement concédé une série de points.
Le 7 février 2001, les organisations indigènes s’accordaient pour signaler que les résultats suivants avaient été atteints : diminution du prix du gaz, gel du prix des combustibles pour un an, diminution de moitié du prix des transports publics pour les étudiants, les enfants et les personnes âgées, restructuration du système de crédit et indemnisation des victimes de la faillite du système bancaire, augmentation du budget des institutions qui ont en charge l’attention aux communautés indigènes pour la santé et l’éducation, solution de différents conflits concernant la terre et l’eau les communautés indigènes paysannes, refus de la participation du pays au plan Colombie, indemnisation des familles des victimes de la répression, etc.
Ce sont des avancées peut-être fragiles, qui seront peut-être remises en cause dès demain par le pouvoir équatorien appuyé par les institutions du consensus de Washington. En tous les cas, ce sont des avancées dues au rapport de force populaire.
Denise Comanne