Le catalogue des idées dominantes est riche en nouveaux termes, bien qu’ils soient ineptes dans leurs contenus.
Le terme « employabilité » [notion diffusée officiellement par l’OCDE et largement reprise], par exemple, qui est utilisé pour exprimer l’incapacité réelle du système à effectivement employer ; l’employabilité devient donc synonyme de transfert vers les travailleurs de la responsabilité du fait qu’ils sont sans emploi. Dans cette nouvelle alchimie, c’est la victime qui devient le coupable.
La « responsabilité sociale » est un autre mot qu’on trouve utilisé aujourd’hui dans presque toutes les entreprises, peu importe que celles-ci vivent en licenciant, suivant la maxime de la lyophilisation productive [la lean production]. C’est-à-dire : comme la compétition fait fortement pression, il est nécessaire de couper dans les coûts et c’est donc sur le corps des travailleurs que la taille se fait, la « responsabilité sociale » se confondant ici avec l’irresponsabilité sociétale.
Mais il y a aussi les « collaborateurs ». Il n’y a pratiquement plus une seule entreprise dans cet admirable monde globalisé qui n’ait pas converti ses anciens travailleurs en « nouveaux collaborateurs ». Mais c’est curieux : plus ceux-ci deviennent « collaborateurs » et plus ils voient leurs droits effectifs diminuer. Peu à peu, on leur retire ce qu’ils ont conquis de haute lutte. On peut à juste titre penser que les termes à la mode ne servent qu’à désigner leur exact opposé, vu que lorsque les entreprises vivent leur première crise, réelle ou fictive, c’est toujours sur le dos des travailleurs que commence la tonte.
Mais peut-être qu’aucun de ces euphémismes produits par l’idéologie dominante ne rencontre autant de sympathie que celui de « soutenabilité » [durabilité]. Dans une société toujours plus insoutenable, ce terme devient un mot magique. En pleine dévastation environnementale dans le Golfe du Mexique – la plus grave de l’histoire des Etats-Unis ; à l’ère du réchauffement global qui fait suffoquer le monde dans presque toutes ses parties, à l’apogée de la société du jetable et du superflu, plus on agresse la nature et avance dans la société du productivisme destructif, plus se propage l’idée de « soutenabilité ».
L’exemple de l’actuelle candidature de Marina Silva [ex-ministre de l’environnement du gouvernement Lula, candidate à la présidence du Parti Vert pour les élections à venir au Brésil] sera peut-être éclairant. D’entrée, il faut insister sur le fait qu’il s’agit d’une femme combative, qui a cherché à rompre les chaînes qui emprisonnent ceux « d’en bas », celle des seringeiros [les ouvriers chargés en Amazonie de la collecte du latex] en l’occurrence. Mais le fait que l’actuelle candidate à la présidence vienne de présenter comme étant un atout le nom du candidat à la vice-présidence, Guilherme Leal, de la firme Natura, est emblématique [G. Leal est le dirigeant de l’entreprise Natura Cosmeticos ; il a joué, dès le début des années 1980, la carte des ingrédients « naturels » de l’Amazonie dans les cosmétiques pour le marketing des produits de Natura ; la vente s’effectue par un réseau d’employée « indépendantes » vivant de commissions sur le montant des ventes ; Leal est classé parmi les milliardaires brésiliens par la revue américaine Forbes].
Marina Silva, comme nous le savons, a très vite accepté, à l’intérieur du gouvernement Lula, la libéralisation des transgéniques, alors que l’on sait que dans son passé elle fut toujours opposée à cette mesure. Elle s’est affiliée récemment au Partido Verde où elle semble cohabiter sans problème avec Zequinha [le fils de l’ancien président Sarney], en plus de flirter, quand c’est nécessaire, avec le PSDB [le parti de la social-démocratie brésilienne, fort à droite]. Et maintenant elle choisit comme candidat à la vice-présidente un nom lié à une entreprise qui vénère la « soutenabilité », une entreprise considérée « exemplaire » dans la pratique « verte ».
Soyons clairs : la question environnementale est certainement vitale, au sens propre du terme. Dans un passé récent encore, nous disions que, dans un futur proche, la planète serait menacée. Cela ne fait plus sens aujourd’hui. Le présent est déjà gravement compromis par la destruction environnementale, le réchauffement climatiquel, le problème de l’énergie fossile et l’éthanol que Lula aime tellement, malgré l’utilisation constante du « travail esclave » dans les champs de canne à sucre. En somme, la logique de la production destructive du capital est devenue la principale responsable de la tragédie environnementale.
L’alternative fait peur : si les emplois se réduisent encore, en conséquence de l’avancée de la crise actuelle qui atteint durement le cœur du système [au sens des pays dudit centre], alors on aura des taux plus élevés de chômage. Si, d’un autre côté, les capitaux globaux récupèrent leurs niveaux de croissance, ou encore, à titre d’exemple, que nous continuons à produire sans cesse des voitures, le monde s’acheminera alors plus rapidement vers un réchauffement plus grave encore. En portugais de tous les jours : si on court, la bête nous attrapera ; si on reste sur place, la bête nous mangera.
Donc, il ne coûte rien de s’informer : les entreprises autoproclamées « vertes » de la « soutenabilité » cohabiteront-elles en paix avec la réalité du travail « gris », « noir » ? Ou bien leurs conditions de travail seront-elle « vertes » elles aussi ? Leurs travailleuses et leurs vendeuses [système de vente de Natura : vente directe] qui se comptent par millions, bénéficieront-elles de leurs droits sur leurs places de travail ? Nous parlons de véritables vacances, de repos hebdomadaire, de treizième salaire, etc.
Ou bien ces personnes ont-elles été métamorphosées en vendeuses-travailleuses « autonomes » et « informalisées » privées des droits de base du code du travail ? Marina Silva pourra nous aider à répondre à cette question.
Ricardo Antunes