New Delhi Correspondance
Plus d’un quart de siècle après l’explosion d’une usine de pesticides qui avait fait des milliers de morts à Bhopal, dans le centre de l’Inde, un tribunal indien a condamné, lundi 7 juin, sept anciens cadres de la filiale indienne de la firme chimique américaine Union Carbide à deux ans de prison et 1800 euros d’amende. L’enquête avait conclu à des défauts de maintenance, connus de la direction mais ignorés pour des raisons commerciales.
Le président d’Union Carbide au moment de l’accident, Warren Anderson, n’a pas été jugé par contumace. Il s’est enfui aux Etats-Unis après la catastrophe et n’est jamais retourné en Inde malgré un premier mandat d’arrêt délivré contre lui en 1992. La filiale, qui n’existe plus, a été condamnée à payer 9000 euros d’amende.
Peu avant minuit, le 2 décembre 1984, un nuage de 40 tonnes de gaz toxique s’était libéré, provoquant la mort de centaines d’habitants en quelques heures. Les cadavres avaient dû être ramassés sur les quais de gare, les bords des routes et dans les maisons des environs. Selon le gouvernement, 14000 personnes ont péri dans ce qui reste la pire catastrophe industrielle de l’histoire. Le bilan réel serait plus du double, selon les ONG. « Si ce n’est pas une parodie de justice, je ne sais pas ce que c’est. C’est un verdict qui ignore la gravité de la catastrophe », estime Rachna Dhingra, de la campagne internationale pour la justice à Bhopal.
MALFORMATIONS
Des groupes de rescapés et de proches de victimes ont manifesté lundi pour dénoncer la légèreté de la peine, et la durée du procès. En 1996, le tribunal avait décidé de ne retenir que les charges de « négligence entraînant la mort » et non de « culpabilité d’homicide ». « Ils ont été jugés comme s’ils avaient été responsables d’un accident de la circulation. Ce n’est pas un verdict qui va inciter à la prudence des industries dangereuses », s’indigne Mme Dhingra. Les associations de victimes vont faire appel.
Union Carbide, rachetée en 2001 par Dow Chemical, avait versé au gouvernement indien 470 millions de dollars en 1989, et s’estime dégagée de toute responsabilité. Mais selon les associations de victimes, les compensations reposaient sur un décompte de 3500 morts et n’avaient pas pris en compte les dommages causés à l’environnement, avant et après la catastrophe. L’Etat du Madhya Pradesh n’a pas décontaminé le site de l’usine dont il est désormais propriétaire. La pollution continue de faire des victimes.
D’après une étude alarmante du Centre pour la science et l’environnement, publiée le 1er décembre 2009, les nappes phréatiques dans un rayon de trois kilomètres contiennent des taux de pesticides jusqu’à 40 fois plus élevés que la normale. Il y a encore quelques années, des pompes souterraines alimentaient en eau les quartiers des alentours.
Dans les bidonvilles qui longent les murs de l’usine, les enfants continuent de naître malformés, et les habitants meurent du cancer. A Bhopal, ils seraient encore plus de 100000 à souffrir de troubles respiratoires et neurologiques, ou de cécité. Vingt-six ans après l’explosion de l’usine, la catastrophe de Bhopal dure toujours.
Julien Bouissou