Oulianov : Pourquoi quitter le PCF maintenant après un combat en interne de plus de 20 ans ?
Patrick Braouezec : Parce que je pense qu’on est arrivé au bout de ce combat, qu’il a peut-être même duré trop longtemps. Aujourd’hui, nous sommes plusieurs à faire le constat qu’il est impossible de transformer de l’intérieur le Parti communiste français
Guillaume : Pourquoi et comment êtes-vous entré au PCF ?
A la suite d’un voyage en Allemagne de l’Est en 1972, la grande période du programme commun. J’y étais allé dans le cadre d’un symposium d’enseignants, et ce que j’avais observé à l’époque, dans les rencontres que j’avais eues avec des enseignants est-allemands, m’avait enlevé les dernières réserves par rapport à mon adhésion au PCF. C’était de plus dans une période où la dynamique unitaire était très forte et où je voulais peser dans le rapport de force avec le Parti socialiste.
Relique : Qu’escomptez-vous avec ce départ ?
Ouvrir un nouvel espace politique, non pas pour en rajouter à l’émiettement à la gauche de gauche, mais pour tâcher d’être une charnière ou une passerelle entre les différents mouvements, partis, associations, courants, forces inorganisées qui souhaitent une alternative et qui désespèrent de l’émiettement qui non seulement s’est structuré durant la dernière période, mais dont on ne voit pas ce qui pourrait aujourd’hui l’enrayer.
J’ai comme souci principal de faire en sorte que les couches populaires, celles qui se sont massivement abstenues lors des deux derniers scrutins, puissent trouver un espace politique qui les réconcilie, justement, avec la politique.
Stéphane Fouéré : Bonjour Patrick, que réponds-tu à des communistes refondateurs comme moi qui décident malgré tout de rester à l’intérieur du PCF ?
Je respecte cette position, d’abord parce que d’autres auraient pu me faire le même reproche il y a dix ans, cinq ans ou deux ans, puisque j’y étais moi-même resté. Néanmoins, je pense, Stéphane, que d’ici peu tu feras sans doute le même constat, à savoir qu’aujourd’hui, le PCF, mais aussi le NPA, le Parti de gauche, sont plutôt des obstacles au rassemblement de la gauche de gauche dont nous avons besoin, plutôt qu’un atout.
Jozie : Pourquoi quitter le PCF alors qu’il est actuellement engagé dans la dynamique du Front de Gauche qui est un début de réponse à vos espoirs d’unité à gauche ?
Parce que je considère qu’il n’y a pas de dynamique de Front de gauche, il existe un cartel d’organisations - le PCF, le Parti de gauche - qui a sauvé les apparences lors des deux derniers scrutins, mais n’a pas créé la dynamique souhaitée. Sauf dans des régions où la dynamique des militants de base a prévalu sur les logiques d’appareil. Je pense notamment au Limousin, à la Corse, avec les résultats que l’on connaît.
Là où la dynamique des militants de base a prévalu sur les calculs d’appareil, on peut considérer que le Front de gauche élargi a effectivement été dynamique.
Salah : Soutiendriez vous une candidature Mélenchon ?
La question est à mes yeux mal posée, car avant de savoir si je soutiendrais, moi et d’autres, telle ou telle candidature, il faut d’abord élaborer un projet politique qui soit peut-être un programme incluant les élections présidentielle et législatives, projet qui doit être en rupture avec la politique menée par ce gouvernement et qui permette le moment venu de choisir le ou la candidat-e qui saura le mieux incarner ce projet.
Relique : Sur quelles valeurs voulez-vous vous appuyer pour faire cette « charnière » entre les partis, associations etc ... ?
Je suis assez proche des propos tenus deux fois dans ce même journal, Le Monde, la première au mois de janvier et la deuxième il y a quelques jours, par Edgar Morin. Je suis comme lui convaincu qu’on est dans une période de métamorphose profonde et qu’il faut faire l’éloge de cette métamorphose.
Et d’autre part, convaincu qu’un projet de gauche de gauche devra faire l’articulation entre le socialisme, le communisme, l’écologie et le mouvement libertaire. C’est autour des valeurs portées par ces quatre grandes familles de la gauche que l’on pourra construire une alternative politique de rupture.
Marcot : Votre nouveau mouvement s’ouvrira t il à des nouvelles catégories de Français comme les entrepreneurs, les cadres, les classes moyennes, les salariés qui ne se retrouvent pas toujours dans le discours actuel du PCF ?
C’est difficile de répondre directement à cette question à cause de l’idée de départ sur le mouvement que l’on ferait. Ce qui est certain, c’est que notre vocation c’est de réunir aujourd’hui toutes les forces, toutes les personnes, collectivement organisées ou isolées mais actives dans le mouvement social, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur catégorie professionnelle, et qui ont objectivement intérêt à un changement de société.
Je considère aujourd’hui qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts entre un artisan et un travailleur sans papiers. Il y en a plus entre un artisan et un trader.
Florent Ballanfat : N’avez-vous pas le sentiment de laisser tomber ceux qui vous ont élu au conseil national du PCF ?
Je ne pense pas les laisser tomber, d’abord parce que j’abandonne pas le communisme, j’abandonne le parti, et que ceux qui m’ont élu au Conseil national du PCF l’ont fait en toute connaissance de cause, en sachant que notre volonté était de transformer en profondeur ce parti, et que je pense qu’ils feront comme moi le même constat, qu’il n’a pas été possible de le faire.
J’espère d’ailleurs que ces militants communistes qui lors du dernier congrès ont voté pour notre liste nous rejoindront dans les luttes d’abord, et ensuite au sein de l’association des communistes unitaires.
Jean-Pierre Charbonnot : En quelque sorte, il s’agit de créer ou soutenir un mouvement du même type qu’Europe Ecologie qui devra tirer ses boulets que seront le PCF ou le Parti de Gauche comme Europe Ecologie a le boulet des Verts ? Qu’en penses-tu ?
Jean-Pierre - si c’est bien toi -, il y a dans la forme quelque chose de très intéressant dans la construction d’Europe Ecologie. Je n’en partage pas le contenu, ni certains objectifs, mais Europe Ecologie a su prendre en compte les mutations de cette société et les mutations d’organisation et d’appropriation individuelle de la politique.
Je suis dans un état d’esprit qui n’est pas celui d’un revanchard ou d’un amer par rapport au PCF. Comme je suis convaincu que la seule solution est dans le rassemblement de toutes les forces de gauche qui veulent un changement radical, je ne considère personne a priori comme un boulet.
Par contre, je reste convaincu que si d’autres formes d’organisation ne voient pas le jour, les partis dans leur structuration actuelle sont incapables de créer ce rassemblement.
Marcot : Envisagez vous une candidature en 2012 ?
Je crois y avoir répondu : la seule candidature que j’envisage en 2012 est celle qui sera de nature, sur la base d’un projet politique travaillé et élaboré par toute cette gauche de gauche, à peser au sein de l’ensemble de la famille de gauche. Autrement dit, si on reproduit 2007 avec un émiettement des candidatures qui feront dans le meilleur cas entre 1 et 2 %, cela n’a aucun intérêt.
Si on est capable d’avoir une candidature qui tourne autour de 10 %, on voit bien que là, il y a un tout autre intérêt, y compris cette candidature peut imposer au Parti socialiste de ne pas tomber dans les bras d’un centre qui les lui ouvre.
Fred : Quels sont les objectifs et le contenu du programme d’Europe Écologie qui ne vous plaisent pas ?
Pour être très clair et très direct, ce sont ses appels du pied au MoDem, au centre, à tout ce qui aujourd’hui n’est pas dans une démarche de rupture avec le libéralisme. Il y a dans certains propos de Daniel Cohn-Bendit, pour n’en citer qu’un, des contenus qui sont très proches des contenus d’un libéral de droite.
Le dernier week-end a d’ailleurs montré, au-delà des problèmes de personne, qu’il y aura des éclaircissements de contenus à faire au sein d’Europe Ecologie dans le cadre d’une candidature à l’élection présidentielle.
Flob : Que répondez-vous à la demande de Pierre Laurent, numéro deux du PCF, qui souhaite que vous et vos camarades reveniez sur votre décision de quitter le parti communiste français ?
Il est trop tard, Pierre ! On est partis. Donc la question est maintenant de savoir comment on peut continuer à travailler ensemble. Je n’ai aucun doute sur ce qui fait encore convergence de vues entre nous. Je peux l’observer hebdomadairement à l’Assemblée nationale dans les débats que je peux avoir au sein du groupe avec d’autres élus communistes et qui restent au parti. Le débat que nous aurons sans doute à poursuivre, c’est la place du parti au sein d’un rassemblement large.
Je serais tenté de poser une question à Pierre Laurent : est-il prêt à envisager que le parti ne joue pas un rôle central dans un rassemblement de ce type et qu’il joue à égalité avec d’autres forces politiques, y compris avec des mouvements sociaux ?
Fred : De quelles personnes vous sentez-vous proche à gauche ?
Je me sens proche d’abord de tous mes amis qui, comme moi, sont partis aujourd’hui. Je pense àPierre Zarka, Patrick Jarry, Jacqueline Fraysse, à des militants moins connus comme Gilles Alfonsi, à Roger Martelli et à Lucien Sève. Au-delà de cette petite famille, j’ai beaucoup d’idées partagées comme Clémentine Autain, je l’ai dit, avec Edgar Morin.
Et puis, dans le monde de la recherche, dans le monde universitaire dont on ne se nourrit pas suffisamment à mes yeux des travaux, je pense à Stéphane Beaud, à Bernard Stiegler, et encore à d’autres, comme Alain Badiou...
Jeff : Les gens qui ont quitté le PCF ont mis en avant que le parti était une forme d’organisation politique archaïque. Je trouve cet argument un peu court. En quoi la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE) que vous pourriez rejoindre peut-elle être une meilleure organisation politique que le parti ?
Vous avez raison, il faudra en faire la démonstration. Je ne suis pas certain que ce soit aujourd’hui une organisation plus performante. Je pense réellement que nous sommes en période de décomposition des organisations politiques traditionnelles, qui touche toutes les familles politiques, et que la question de la recomposition se pose à tout le monde.
Il est moins simple d’inventer de nouvelles formes d’organisation que de continuer dans des formes dépassées. Mais c’est pourtant le défi que je souhaite relever. Le fossé est tel entre les institutions politiques et les couches populaires et bien au-delà, que ne pas se poser cette question de l’adéquation des organisations politiques n’a, à mes yeux, aucun sens.
Il est bon de rappeler que, lors des deux derniers scrutins, dans les quartiers les plus populaires d’Ile-de-France ou de la région Rhône-Alpes, pas un électeur sur cinq ne s’est déplacé. Sans compter ceux qui ont voté blanc ou nul ou ceux qui ont définitivement décidé de ne pas s’inscrire sur les listes électorales.
C’est la démocratie représentative qui est en jeu. C’est aussi le danger de l’extrême droite qui peut de nouveau se profiler. Il suffit de regarder ce qui vient de se passer aux Pays-Bas.
Marcot : Si DSK était le candidat de la gauche, le soutiendriez vous ?
La réponse est la même que pour Mélenchon. Il n’est pas question pour moi aujourd’hui, et je regrette que vous posiez cette question, que les médias posent souvent seulement, de me prononcer pour telle ou telle candidature.
Travaillons sur un projet de gauche de gauche, dans un premier temps, travaillons avec le Parti socialiste pour qu’au deuxième tour nous puissions partager un programme qui pourrait faire échec à Sarkozy.
Et voyons, ensuite, qui peut incarner le projet de gauche de gauche et le projet socialiste qui pourra être à même de faire converger au deuxième tour ces deux projets.
Chosta : Si vous aviez été désigné tête de liste aux élections régionales en Ile-de-France, auriez-vous quitté le PCF ? Sincèrement...
Sincèrement, je ne sais pas. Tout aurait dépendu de la façon dont on m’aurait laissé mener une campagne originale et innovante. Si cela avait été possible, si le résultat avait été à la hauteur de l’attente, je pense que cela aurait de toute manière eu une influence à l’intérieur du Parti communiste et aurait été de nature à le faire bouger par rapport au rôle qu’il doit jouer dans un rassemblement.
Mais si d’aventure je n’aurais été que l’otage d’une campagne menée de manière très traditionnelle, comme cela a été le cas et autour des deux seuls partis qui incarnaient le Front de gauche, je pense que j’en aurais tiré les mêmes conclusions et que j’en serais parti.