Le site WikiLeaks vient de rendre publics quelque 92 000 documents confidentiels de l’armée américaine sur les opérations de l’Otan en Afghanistan, de 2004 à fin 2009. Ces notes et rapports soulignent le double jeu qu’a pu jouer le Pakistan, témoignent des efforts pour dissimuler le nombre de victimes civiles, et mentionnent des incidents mettant en cause des soldats français.
Ce lundi matin, trois journaux étrangers publient en même temps leur analyse des 92 201 rapports d’opération de l’armée américaine que leur a fournis WikiLeaks : le New York Times [1], le Guardian [2] et le Spiegel (aussi en anglais) [3]l.
Ces rapports sont riches d’enseignements sur les opérations militaires, mais aussi sur le rôle du Pakistan, principal allié américain dans la région, les relations des troupes de l’Otan avec les différentes composantes de la société afghanes, et l’action de l’armée française sur place.
Pour Gérard Chaliand, géopolitologue expert en guérillas, ces rapports confirment
« les analyses des gens sérieux qui, jusqu’à maintenant, étaient classés comme pessimistes. C’est un énoncé des faits, reconnaissant la situation telle qu’elle se présente : complexe, sans perspective de victoire ».
L’historien Justin Vaïsse se dit « impressionné » par « l’ampleur des documents » : même s’ils ne recellent aucune grosse suprise sur le fond, ils viennent confirmer quelques « secrets de Polichinelle » connus des spécialistes de ce conflit.
Les serveurs de WikiLeaks pris d’assaut
Les serveurs de WikiLeaks.org [4] étant pris d’assaut ce lundi, le site Owni.fr publie la base de données complète. Le Guardian propose une carte de 300 incidents clés recensés dans ces rapports.
Bavures en nombre, « état de choc »
Parmi les révélations des rapports se trouvent un certain nombre de bavures, mais aussi de tirs entre alliés.
L’un des rapports présente le bombardement de Kunduz (nord), le 3 septembre 2009. A la recherche de camions d’essence volés par des talibans, les forces de l’Isaf (la force multinationale en Afghanistan) les repèrent la nuit même, sur le bord d’une rivière, bloqués dans la boue.
Le rapport assure que les camions sont « entourés par 70 insurgés », qu’il n’y a « aucun civil » et « qu’une attaque aérienne est autorisée ». Le lendemain matin, le rapport cite la presse locale, qui dénombre 60 civils tués, ils venaient se servir en essence, dans les camions abandonnés par les talibans. L’après-midi, l’armée en compte 56, aucun d’eux n’est un « insurgé ».
Les documents regorgent de bavures comme l’histoire de cet Afghan sourd et muet, blessé à la cheville par un tir, parce qu’il ne pouvait entendre les sommations.
Le Guardian révèle aussi les maladresses internes aux forces alliées. Le rapport recenserait 20 cas de tirs « bleu sur bleu ». Les confusions sont aussi importantes envers l’armée et la police afghanes. En mai 2006, un rapport décrit une attaque britannique blessant douze soldats de l’armée nationale afghane et tuant l’un d’entre eux.
La « Task Force 373 » : captures, assassinats, bavures
Autre élément gênant, l’obscure unité opérationnelle 373. Commando des forces spéciales américaines Delta Force, l’équipe aurait pour mission de capturer ou d’assassiner les chefs talibans regroupés sur la liste JPEL, aussi appelée « Tuer ou capturer ».
Gérard Chaliand nous explique l’utilité pour l’Otan d’une telle unité :
« La chose la plus difficile à remplacer dans un mouvement révolutionnaire, ce sont les cadres. Si vous les liquidez, vous gagnez du temps.
Ils reconnaissent aussi des échecs, avec des victimes civiles. Cela ne vous rend pas populaire, tout comme les bombardements de civils considérés comme des “dommages collatéraux”. »
C’est bien le problème : l’unité a manqué sa cible à plusieurs reprises, provoquant la colère des Afghans.
Le 11 juin 2006, l’unité 373 organise une opération de nuit visant à capturer ou assassiner un commandant taliban. Alors que le commando s’approche, une torche est pointée vers eux, ce qui provoque un échange de tirs. L’ennemi est touché et la mission avortée. Le rapport final montre ensuite que les ennemis nocturnes n’étaient autres que des policiers afghans. Sept d’entre eux sont tués et quatre sont blessés.
Six jours plus tard, une nouvelle opération est montée à l’encontre d’un autre chef d’Al Qaeda. Cinq roquettes sont tirées sur un bâtiment censé contenir l’homme à abattre. A l’intérieur, le commando trouve finalement huit enfants. Un seul a survécu mais il est sérieusement blessé. Dans le rapport, l’armée affirme qu’un « état de choc » a parcouru la région, forçant le gouverneur à rencontrer les villageois pour leur expliquer les raisons de l’attaque.
Selon Chaliand, les forces spéciales françaises ne participent pas au programme « Kill and Capture » :
« Les Américains préfèrent travailler en circuit fermé. »
Expert des questions de renseignement, le journaliste et écrivain Roger Faligot nous signale que les rapports mentionnent aussi la TF 500, une unité équivalente des forces spéciales britanniques, dans le sud du pays.
« Ils ont une pratique différente des Américains : leur objectif est en général d’abattre des éléments décisionnels, les plus ultras dans un groupe, pour conforter ceux qui sont prêts à négocier.
Contrairement aux Américains (ou aux Espagnols dans leur lutte contre l’ETA) qui abattent les plus modérés, les Britanniques font l’inverse pour faire émerger un pôle de négociation, pour “faire monter en structure” une fraction prête à négocier…
Je crois que c’est l’enjeu à comprendre sur le conflit afghan, qu’il faudrait vérifier bien sûr. »
Précisons que l’armée britannique, comme les autres, a commis son lot de bavures.
Les pertes civiles sont-elles minimisées ?
La publication de ces documents devrait aussi confirmer les alertes lancées par des organismes de veille ou de défense des droits de l’homme.
Ainsi, la sous-estimation du nombre de victimes civiles en Afghanistan pourrait être confirmée dans ces documents. Rachel Reid, qui enquête pour Human Rights Watch sur le sujet, en fait part au Guardian :
« Ces documents mettent en lumière une tendance lourde des Etats-Unis et de l’Otan : la dissimulation des pertes civiles. Malgré de nombreuses directives tactiques ordonnant la transparence des enquêtes lors de la mort de civils, certains incidents sur lesquels j’ai enquêté ces derniers mois montrent que ça n’est toujours pas le cas.
La responsabilité n’est pas à endosser seulement lorsqu’on se fait pincer. Elle devrait faire partie de la manière dont les Etats-Unis et l’Otan se comportent en Afghanistan quand ils tuent ou blessent des civils. »
Pour l’historien Justin Vaïsse, « il serait étonnant que des bavures dont on n’a pas eu connaissance ne ressortent pas » après la publication des rapports par WikiLeaks.
La France pointée du doigt
Dans le Guardian, on apprend que plusieurs documents mettent en cause l’armée française. En particulier sur ce qui s’est passé le 2 octobre 2008 : « Des véhicules français ont ouvert le feu sur un bus qui s’approchait trop de leur convoi. » Bilan : huit enfants blessés.
Joint par Rue89, l’état-major des armées nous a envoyé sa version de cet incident. Elle est différente de celle qu’on lit dans le rapport de Wikileaks, puisque l’armée française ne comptabilise que quatre blessés, dont un seul enfant :
« Deux minibus afghans avaient tenté de s’insérer dans un convoi de véhicules militaires français en route pour le district de Surobi. Les militaires français […] ont effectué d’abord des gestes d’avertissement, ensuite deux tirs de sommation en l’air, et enfin deux tirs de sommation au sol devant le minibus de tête.
Les deux véhicules afghans se sont alors arrêtés sans manifester de difficulté particulière, le convoi a donc poursuivi sa route.
Peu de temps après, quatre civils afghans se sont présentés au camp de Warehouse pour être pris en charge médicalement, suite à des blessures légères occasionnées par les conséquences de ces tirs.
Un des civils afghans a quitté le centre médical français le jour même, deux le lendemain. Le quatrième blessé était un enfant. Il a d’abord été soigné par les équipes médicales françaises et gardé en observation et a pu recevoir la visite de sa mère. Il a été accompagné le surlendemain à l’hôpital Mère-Enfant de Kaboul pour des examens complémentaire en vue d’une éventuelle prise en charge ORL.
Il avait alors été demandé à la police afghane de rechercher d’éventuels autres blessés. Les investigations n’ont rien donné. »
Les ratés de la guerre technologique
L’Afghanistan a été présenté comme une guerre high-tech. Les drones, ces avions sans pilote, patrouilleraient le long de la frontière en assaillant des paysans armés d’AK-47, de leurs frappes chirurgicales imparables. Deux assertions contredites par des rapports sortis par Wikileaks, qui révèlent que les technologies ne sont pas si efficaces et les talibans pas si archaïques.
Le 13 septembre, 2009, un drone de type Reaper -un appareil armé, de 20 m d’envergure- patrouille dans le sud de l’Afghanistan. Soudain, il ne répond plus aux injonctions de la base, qui le télécommandait depuis les Etats-Unis. Alors qu’il se dirige vers la frontière tadjik, l’armée décide de le torpiller : les forces aériennes sur place envoient un avion F15 pour le descendre au-dessus d’une zone désertique.
Au même moment, la base américaine reprend le contrôle du drone. Trop tard, son moteur est touché et l’appareil à 13 millions de dollars s’écrase.
Il n’est pas rare que les drones américains tombent au sol. Le Los Angeles Times révélait ce mois-ci que 47 Predator et Reaper s’étaient crashés en Afghanistan et en Irak dont 9 pendant les entraînements sur le sol américain. L’armement des talibans a aussi surpris les forces de l’ISAF. Outre les bombes artisanales (IED), véritable fléau pour les forces de la coalition, les rebelles afghans seraient également armés de technologies avancées.
Pour finir, le Guardian révèle que l’Otan a émis des doutes sur la sécurité des appels passés au siège de l’organisation à Kaboul. Selon un rapport de 2007, les talibans pourraient intercepter les conversations téléphoniques. Un coup de plus dans le mythe du combat entre un Goliath high-tech et un David moyen-âgeux.
Des talibans armés de missiles américains
Des talibans armés d’un Stinger, le 30 décembre 1999, près de Kandahar (Muzammil Pasha/Reuters).
Les Américains sont combattus avec leurs propres armes… Entre 1979 et 1989, alors qu’ils aidaient les moudjahidine afghans à combattre l’envahisseur soviétique, les Etats-Unis leur ont distribué deux mille missiles sol-air Stinger.
Les experts militaires américains considèrent que ces missiles sont aujourd’hui hors service. Néanmoins, vingt ans après, des rapports de WikiLeaks font état d’attaques au missile Stinger. L’un d’eux met en lumière un évènement passé sous silence en 2007 : sept soldats et un reporter sont mort dans l’attaque au missile Stinger d’un hélicoptère Chinook dans le Helmand.
Selon un rapport datant de 2005, un agent des services de sécurité afghans aurait été autorisé à payer 5 000 dollars pour de vieux missiles SA-7 et 15 000 pour un Stinger. La Direction nationale de la sécurité afghane a en effet ordonné le rachat de ces armes inutilisées, afin qu’elles ne tombent pas entre les mains des rebelles.
Le double jeu du Pakistan
Le New York Times l’affirme : les documents montrent clairement que le Pakistan, officiellement allié des Etats-Unis qui lui versent plus d’un milliard de dollars par an, collabore avec les rebelles talibans :
« Ces documents […] laissent penser que le Pakistan, allié ostensible des Etats-Unis, autorise des représentants de ses services secrets à rencontrer en personne des talibans lors de réunions stratégiques secrètes destinées à organiser les réseaux rebelles en lutte contre les soldats américains en Afghanistan et même à fomenter des complots visant à assassiner des dirigeants afghans. »
Pour le géopolitologue Gérard Chaliand, ce double jeu du Pakistan « est une des clés majeures du conflit »
« Tant que vous avez une logistique et un sanctuaire garantis, avec des réserves inépuisables sur le plan démographique, vous pouvez tenir des années. Le temps travaille pour vous.
Le Pakistan n’a jamais cessé de jouer un double jeu, dans la mesure où ses intérêts et ceux des Etats-Unis sont divergents. L’Afghanistan est son arrière-cour stratégique. »
Une autre guerre : contre la drogue
Les forces de l’Otan tombent fréquemment sur des trafiquants de drogue, hacshich ou opium et ses dérivés (morphine ou héroïne). Pour les « seigneurs de la guerre » afghans comme pour les talibans, le trafic de drogue est une source de financement. Les Etats-Unis ont donc dépêché sur place des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA).
Sur WikiLeaks, la catégorie « Drug Operations » raconte plusieurs épisodes qui montrent l’importance de la drogue dans le conflit afghan, et la manière dont l’Otan et les forces locales se partagent le travail.
En février 2007, environ 200 fermiers se rebellent dans l’est du pays contre la brigade antinarcotique des forces de police afghanes. Des coups de feu sont tirés et trois agents sont blessés.
Curieux épisode en mars 2007 : la police afghane surprend des trafiquants en possession de deux containers des forces de coalition, dont il n’est pas précisé s’ils ont été volés ou perdus par ces dernières. La précision serait utile, car l’un d’entre eux est ouvert et contient l’équivalent de cinq millions de dollars en drogues ! Notamment en hacshich et en alcool. Le second ne sera pas ouvert, mais restitué aux forces de la coalition.
Un matin d’avril 2009, à 8h30, la DEA découvre lors d’une opération trois tonnes de morphine pouvant servir à produire 1 500 kilos d’héroïne. Alors qu’ils cherchent à la détruire depuis plus d’une heure avec des grenades thermite, ils réclament des renforts car un groupe de civils les encercle et menace de les prendre en embuscade. Un hélicoptère Apache intervient et la destruction se termine.
En septembre 2009, la brigade générale a confisqué, 20 puis 25 autres kilos d’opium chez un individu. Il a affirmé que c’était pour son usage personnel et il a été relâché après que ses données biométriques ont été récupérées. [5]
Les Etats-Unis
Dans un communiqué envoyé par mail aux journalistes américains, le conseiller de la Maison Blanche à la sécurité nationale, Jim Jones, a fustigé les fuites de WikiLeaks :
« Ces fuites irresponsables n’auront aucun effet sur notre engagement actuel à approfondir nos partenariats en Afghanistan et au Pakistan. »
Il rappelle que « la période couverte par les document (janvier 2004-décembre 2009) s’arrête avant que le président n’annonce sa nouvelle stratégie ». Et d’ajouter :
« Il est évident que WikiLeaks n’est pas un organe de presse objectif mais une organisation opposée à la politique américaine en Afghanistan. »
Mais l’un des plus importants alliés de Barack Obama, John Kerry, le président du Comité des affaires étrangères au Sénat, a paru saluer la publication des documents :
« [Ils soulèvent] d’importantes questions sur le réalisme de la politique américaine envers le Pakistan et l’Afghanistan. […]
Ces politiques traversent une phase critique, et ces documents pourraient bien souligner les enjeux et rendre plus urgents les ajustements nécessaires à leur mise en adéquation. »
Le Pakistan
L’ambassadeur pakistanais aux Etats-Unis, Husain Haqqani, a qualifié cette publication d’irresponsable, avant de minimiser la fiabilité des documents révélés :
« Ces documents ne représentent rien d’autre que des commentaires individuels et des rumeurs, qui sont monnaie courante des deux côtés de la frontière pakistano-afghane et sont souvent démentis. [Ces documents] ne reflètent pas la réalité du terrain. »
Le Royaume-Uni
William Hague, secrétaire aux affaires étrangères, a minimisé les révélations, qu’il a qualifiées d’« insignifiantes » malgré le fait que l’armée britannique soit impliquée dans 21 incidents ayant causé la mort de civils :
« [Ces révélations] sont insignifiantes pour les troupes britanniques. Nous travaillons à améliorer la sécurité au sol en augmentant les pouvoirs du gouvernement afghan, nous ne comptons pas commenter ces “fuites”. »
La France
Contacté par Rue89, le ministère de la Défense a répondu sur la bavure commise par l’armée française qui, en tirant sur un bus, aurait blessé huit enfants selon les rapports (lire ci-dessus). Pour le reste, le gouvernement n’a pas réagi à la publication orchestrée par WikiLeaks. [6]
Clément Boileau, Emmanuelle Bonneau, Antoine Bouthier, Corentin Chrétien, Lucie Hennequin, Augustin Scalbert et David Servenay
* Paru sur Rue89 | 26/07/2010 | 11H54 :
http://www.rue89.com/2010/07/26/afghanistan-que-revelent-les-documents-de-wikileaks-159943
A LA UNE : Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, vit à moitié caché
Gêné par la mise en ligne de documents confidentiels sur WikiLeaks, le Pentagone veut entendre Assange, qui reste sur ses gardes.
Il avait déjà le nom et la tête d’angelot d’un héros de roman d’espionnage, il en goûte désormais le mode de vie. L’Australien Julian Assange, ex-hacker, fondateur du site d’information WikiLeaks qui encourage les fuites de documents confidentiels, vit dans l’ombre depuis plusieurs semaines.
Assange affirme qu’il n’a pas peur, mais il passe sa vie sur ses gardes. Car les services américains aimeraient bien l’entendre sur les informations qu’il a obtenues. Particulièrement cette vidéo montrant un hélicoptère américain, en 2008 à Badgad, en train de tuer des civils et deux journalistes de Reuters, ainsi qu’une autre, qui n’a pas encore été diffusée, et qui serait pire encore.
Sélections de scoops WikiLeaks (voir les liens sur Rue 89)
► Un document que Microsoft a fourni à la police, listant les informations dont la firme disposait sur ses utilisateurs.
► La liste des membres du BNP, le parti britannique d’extrême droite, incluant des policiers.
► Un rapport très gênant pour la firme Trafigura sur le rejet de déchets toxiques -voire mortels- sur les côtes ivoiriennes.
► Les millions de messages SMS interceptés le 11 septembre 2001
► Des documents sur du blanchiment d’argent impliquant la banque Julius Bär
► Des échanges de mails entre des chercheurs du Giec (le « climategate »).
Assange a décidé de disparaître du paysage lorsqu’un jeune soldat des services de renseignements militaires américains a été mis aux arrêts en Irak.
Basé à une soixantaine de kilomètres de Bagdad, cet analyste, Bradley Manning, 22 ans, venait de raconter par tchat à l’ancien hacker californien Adrian Lamo, 29 ans, rencontré récemment sur le Net, qu’il avait balancé au réseau WikiLeaks la fameuse vidéo et 260 000 télégrammes du département d’Etat américain. Il fallait que le monde sache « la vérité », expliquait-il à son nouvel ami.
Enfin, « ami » jusqu’à un certain point : Lamo, qui a déjà été condamné pour avoir hacké les ordinateurs du New York Times, a pris peur et a transmis ces conversations au FBI : « Ethiquement, j’étais coincé », a-t-il expliqué au quotidien américain.
« Je veux juste que ces trucs sortent »
Exemple d’une conversation, celle du 22 mai, deux jours après la rencontre des deux hommes :
(1 : 39 : 03 PM) Manning : je n’arrive pas à croire que je me confie à toi : ’(
(1 : 40 : 20 PM) Manning : j’ai été isolé si longtemps… Je voulais juste être sympa et avoir une vie normale… Mais les événements m’ont poussé à chercher des moyens de survivre… Je suis assez malin pour comprendre ce qui se passe, mais je ne peux rien faire… Personne ne fait attention à moi.
(1 : 40 : 43 PM) Manning : : ’(
(1 : 43 : 51 PM) Lamo : je suis de retour
(1 : 43 : 59 PM) Manning : je prends des médicaments comme un fou […]
(1 : 44 : 11 PM) Manning : tu as raté des trucs
(1 : 45 : 00 PM) Lamo : quel genre de scandale ?
(1 : 45 : 16 PM) Manning : des centaines
(1 : 45 : 40 PM) Lamo : par exemple ? Je suis curieux de nature.
(1 : 46 : 01 PM) Manning : Je sais pas.. il y en a tant… je n’ai plus les docs originaux.
(1 : 46 : 18 PM) Manning : uhmm… Le Saint-Siège et sa position sur les scandales sexuels du Vatican ?
(1 : 46 : 26 PM) Lamo : tu inventes […]
(1 : 49 : 40 PM) Manning : celui là était un test : un télégramme classifié de l’ambassade US à Reykjavik sur Icesave [une banque islandaise en ligne, ndlr] daté du 13 Janvier 2010
(1 : 50 : 30 PM) Manning : résultat, l’ambassadeur a été rappelé aux US et viré.
(1 : 51 : 02 PM) Manning : c’était juste un seul télégramme..
(1 : 51 : 14 PM) Lamo : il y a des trucs qui n’ont pas encore été publiés ?
(1 : 51 : 25 PM) Manning : je dois demander à Assange […]
(1 : 51 : 54 PM) Lamo : pourquoi tu lui réponds ?
(1 : 52 : 29 PM) Manning : non… Je veux juste que ces trucs sortent… Je ne veux pas en faire partie.
Fin mai, Manning a été arrêté pour « diffusion d’informations classifiées » et transféré vers une base militaire au Koweit. Depuis, les avocats de Julian Assange s’inquiètent. Ils ont conseillé à ce dernier de ne plus voyager aux Etats-Unis.
WikiLeaks a recruté trois avocats pour défendre Manning, mais ces derniers n’ont pas été autorisés à joindre le jeune analyste. On lui aurait assigné un avocat militaire commis d’office.
Assange est sur ses gardes en permanence
Lundi dernier, les mèches argentées d’Assange sont réapparues pendant quelques heures à Bruxelles, à l’occasion d’une conférence sur la liberté de l’information, abritée par le Parlement européen.
Assange a eu le temps de déclarer au Guardian que s’il ne craignait pas pour sa sécurité, mais qu’il était sur ses gardes en permanence :
« Certains ont peur pour ma vie, pas moi. Nous devons éviter certains pays, éviter de voyager, jusqu’à ce que nous sachions qui est dans le collimateur. »
Assange s’apprêterait à diffuser une nouvelle vidéo plus choquante, le temps de la décrypter : une attaque aérienne, en Afghanistan qui a tué 97 civils, l’an dernier.
Par Pascal Riché
* Paru sur Rue89 | 23/06/2010 | 10H21 :
http://www.rue89.com/2010/06/23/le-fondateur-de-wikileaks-julian-assange-vit-a-moitie-cache-155998