Divisions et solidarités à l’heure de la crise capitaliste
Le renforcement, en Europe, de courants xénophobes, de
nationalismes identitaires et de mesures discriminatoires
est à prendre très au sérieux. Avec l’aggravation prévisible
de la crise sociale, il peut conduire à des pogromes où les
populations dites musulmanes (mais aussi les « ROMS »),
désignées comme boucs émissaires, seront les premières
visées. Ce n’est pas un cliché que de dire et redire que nos
gouvernants veulent à tout prix diviser les exploités en op-
posants entre eux les victimes du racisme (arabes, noirs,
juifs, chinois…), travailleurs « nationaux » et immigrés,
employés stables et précaires, fonctionnaires et salariés du
privé, salariés et chômeurs, hommes et femmes, anciennes
et nouvelle générations … C’est une donnée majeure de la
situation.
En effet, même si cette volonté de diviser pour régner est
l’heure de la crise capitaliste vieille comme la lutte des classes, il n’y a ici rien de routinier. La question prend une importance toute particulière à
l’heure où la mondialisation capitaliste vide de son conte-
nu la démocratie politique (fût-elle bourgeoise) et dissout
les espaces de citoyennetés. A l’heure où le néolibéralisme
s’attaque aux solidarités conquises dans les combats
d’hier, aux droits collectifs que sont les retraites, la sécuri-
té sociale, la santé ou l’enseignement publics … A l’heure
d’un grand tournant historique où les bourgeoisies euro-
péennes veulent véritablement démanteler les acquis so-
ciaux de l’après-guerre.
Il est vital, dans ce contexte délétère, de consolider les so-
lidarités croisées ; en étant, par exemple, tout à la fois
antiraciste, féministe et laïque.
Le féminisme n’est pas seulement un acquis, c’est un combat et un projet d’émancipation
Depuis 30 ans, on assiste à une contre-offensive systéma-
tique des courants religieux les plus réactionnaires contre
les acquis féministes. Cela s’est traduit par une alliance ou-
verte entre les conservateurs protestants anglo-saxons, le
Vatican et les représentants des pays musulmans dans les
conférences internationales sur les femmes ou la démogra-
phie, contre le droit à l’avortement, contre le libre choix de
sa sexualité,…etc. dans le contexte de l’offensive néolibérale.
En France, cette vague de fond réactionnaire a pris toute
son ampleur au tournant du siècle. En tant que partisan.e.s
d’un féminisme « luttes de classe », nous sommes donc
amené.e.s à défendre une orientation qui tout à la fois
s’inscrit dans une perspective féministe anticapitaliste,
anti-raciste et internationaliste. Nous luttons non seule-
ment pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans
tous les domaines (travail professionnel, répartition des
tâches domestiques et parentales, vie politique, sexualité
etc.) mais également contre toute éducation sexiste qui
construit et reproduit la division sociale et sexuée du travail
dans toutes les sphères de la société et produit des normes
morales et sexuelles différenciées pour les individu.e.s en
fonction de leur genre ou leur sexualité. Cette lutte en faveur
de la mixité va de pair avec la reconnaissance du droit à l’auto-organisation des femmes mobilisées pour leur émancipation, avec la lutte pour l’égalité entre hétéros et homos et
contre les discriminations contre les minorités sexuelles.
Cette compréhension de la lutte féministe est contradictoire
avec les « dogmes » religieux monothéistes qui défendent un
modèle « complémentaire » des sexes fondé sur l’assignation prioritaire des femmes à la maternité, le rejet de l’homosexualité comme « contre –nature » et pour lesquels seule la
sexualité dans le cadre du mariage est « licite ». Cette prescription est une source permanente d’inégalités entre les garçons et les filles et d’une hypocrisie sans nom. En effet qui
va contrôler et comment la « virginité » des jeunes
hommes ? La transgression de ces normes a de plus lourdes
conséquences pour les filles au point que certaines attendent
le dernier moment pour parler d’une grossesse non désirée
ou sont conduites à recourir à la chirurgie pour reconstituer
leur hymen et leur réputation ! Il ne s’agit pas ici de préconi-
ser un modèle sexuel qui ferait obligation à tout jeune
d’avoir des rapports sexuels à tel ou tel âge. Chacun, chacune, doit pouvoir faire sa propre expérience, en fonction de
ses choix personnels. Cela implique pour nous une dénonciation en profondeur des préjugés religieux qui corsettent la
vie des jeunes et des jeunes femmes en particulier.
De même, le port du foulard ou du voile musulman ne peut
être banalisé. Sur le plan individuel, le port du foulard peut
prendre des sens multiples. Certaines ont choisi de le porter
en signe de résistance ou par adhésion politico-religieuse
tandis que d’autres sont contraintes de le faire sous la pres-
sion de leur famille ou de leur quartier etc. Mais quelles que
soient les motivations individuelles (très diverses), le fou-
lard (et bien plus encore le voile intégral) n’est pas un vête-
ment comme un autre. Cacher la chevelure et le corps des
femmes a le même sens dans toutes les religions monothéistes : le corps des femmes doit être caché à tous, sauf au
mari, car il est censé susciter des désirs incontrôlables de la
part des hommes. Dans cette vision de la sexualité, les
femmes sont présentées soit comme de dangereuses séductrices, soit comme totalement asexuées, les hommes étant
toujours assimilés à des êtres faibles incapables de résister à
leurs « instincts ». Dans un pays où le droit à l’avortement
est sans cesse remis en cause, où la victoire contre l’ordre
moral catholique date d’une génération à peine et n’est tou-
jours pas stabilisée en Europe, cela ne peut être ressenti que
comme une « régression » par de très nombreuses et nombreux féministes.
C’est pourquoi le choix d’une candidate portant un foulard
musulman était une grossière erreur.
Ce refus de banaliser le voile s’accompagne d’un rejet tout
aussi clair de notre part de cette nouvelle loi contre la « burqa », loi de circonstance destinée à faire diversion par rapport aux remises en cause sans précédent des droits sociaux
des travailleurs et chômeurs des deux sexes, qui constitue
une atteinte à la liberté religieuse et à celle de circuler librement dans l’espace public. Nous sommes résolument contre mais ce n’est pas par ce type de loi qu’on peut garantir la dignité des femmes. Ici comme à chaque fois, il s’agit en
la ségrégation des sexes dont est porteur le voile intégral même temps de nous opposer aux attaques gouvernementales et de mener de front notre combat féministe.
Défendre la laïcité
S’il est vrai que les lois sur la laïcité ont été votées par
une majorité républicaine ... colonialiste et hostile au droit
de vote des femmes, à la fin du XIX et au début du XXe
siècle, ces lois représentent pour nous un acquis fondamental : la reconnaissance de la liberté de conscience, l’égalité
de principe entre tous les citoyens quelles que soient leurs
croyances et convictions, la gratuité de l’enseignement (primaire à l’époque) ; la scolarisation des garçons … et des
filles ; la séparation des Eglises et de l’Etat (arrêt du contrôle
étatique sur le fonctionnement des religions et fin de leur
financement par l’Etat ; les religions n’ayant plus non plus le
droit d’interférer sur le fonctionnement de l’Etat). Toutes ces
lois ont eu le mérite de porter atteinte aux privilèges de
l’Eglise catholique et de définir un espace de citoyenneté
indépendamment des appartenances religieuses des un.e.s et des autres.
A l’heure où Sarkozy porte atteinte à la laïcité en réaffirmant
le primat du prêtre sur l’instituteur, en augmentant les financements des écoles privées etc., nous devons réaffirmer le
plus clairement possible notre volonté d’unifier les exploitéset opprimés des deux sexes, indépendamment de leurs
appartenances religieuses. Or présenter un ou une candidat.e
(quelle que soit sa religion) affichant de manière ostensible
son appartenance religieuse ne peut qu’obscurcir ce message. Nous pensons que les croyant.e.s ont toute leur place
au NPA à trois conditions : qu’ils et elles prennent leur
distance avec les pouvoirs religieux et s’opposent aux courants réactionnaires ; qu’ils mettent en cause ouvertement
les discours officiels de leur religion sur la sexualité, les
rapports femmes-hommes, l’homosexualité, le droit à
l’avortement, l’apartheid sexuel, etc ; que tous et toutes admettent qu’on ne fait pas de prosélytisme religieux dans les
rangs du NPA et que ce n’est pas la religion qui nous réunit
mais la volonté de lutter, ici et maintenant contre l’injustice
sociale, le capitalisme et la volonté de promouvoir une autre
société débarrassée de la loi du profit et de toutes les oppressions.
* Cela signifie que l’on ne peut pas constituer des courants politicoreligieux au sein du NPA.
Notre intervention dans les quartiers populaires
Cette conception solidaire et laïque du combat politique doit
animer également notre intervention dans les quartiers populaires.
Les multiples formes d’insécurité sociale auxquelles sont
confrontés les habitants des quartiers populaires sont aggravées par la répression systématique et la stigmatisation
grandissante de certaines population (de culture musulmane
notamment ou les « ROMS ») désignées comme boucs émissaires. Il est impératif et urgent d’en finir avec le racisme et
son lot de contrôles au faciès, les occupations quasi-militaires
de certains quartiers populaires, les arrestations arbitraires,
les discriminations à l’embauche ou au logement.
Ces quartiers ont besoin de services publics développés, dans
les domaines notamment d’éducation, de santé, de logement,
de la petite enfance, de transport et de culture ; d’avoir un travail pour chaque adulte ; d’avoir les conditions sociales, matérielles et pédagogiques d’une réelle égalité scolaire
(rétablissement de la carte scolaire, augmentation des
moyens pour l’Education nationale, fin des inégalités entre
écoles de communes plus ou moins riches). Les jeunes ont besoin des conditions matérielles leur permettant d’étudier et de
se former sans travailler à côté. Il faut construire des logements sociaux (1 million manquants), notamment dans les
communes riches pour en finir avec la ghettoïsation des travailleurs ; rapprocher les personnes de leur lieu de travail ;
mettre en place la gratuité des transports en commun et les développer ; (ré)implanter des centres de santé de proximité qui
permettent l’accès aux soins pour tous et toutes ; mettre les
formations qualifiantes et diplômantes au cœur de la lutte
pour l’emploi ; interdire les licenciements et créer les emplois nécessaires à l’amélioration et à l’extension des services publics, contribuant à en finir avec le chômage dans des
quartiers où il atteint le double du chiffre national et est aggravé pour les jeunes, les immigrés et tout particulièrement les
femmes ; développer les lieux d’accueil pour les jeunes, leur
permettre l’accès aux diverses activités culturelles ; rétablir
et augmenter les subventions aux associations de terrain, favorisant leur intervention notamment dans les établissements
scolaires sur des questions diverses, y compris : sexualité,
contraception, avortement mais aussi violences faites aux
femmes, sexisme, discriminations contre les LGBTI,…etc.
Les militant.e.s du NPA sont présent.e.s dans de nombreux
collectifs et associations intervenant dans les quartiers populaires. Nous devons y développer encore plus notre intervention et apporter notre soutien actif aux luttes pour l’emploi,
la santé, le logement, l’accès à la culture, le partage des richesses. Le combat contre l’exclusion, le racisme et la propagande anti-musulmane fait aussi partie des urgences dans
ces quartiers. Mais ce combat ne doit en aucun cas reléguer
au second plan la question de l’oppression des femmes et les
violences que subissent certaines d’entre elles ni le combat
que de nombreuses habitantes mènent pour leur émancipa-
tion. Nous devons être aux côtés de toutes celles qui luttent
contre l’oppression patriarcale sous toutes ses formes, y
compris l’imposition du voile, aux côtés de tous ceux et de
toutes celles qui luttent contre les conservatismes religieux.
Un internationalisme multidimensionnel
Dans nos combats politiques, il nous faut pleinement tenir
compte de situations concrètes qui diffèrent suivant les
pays ou les régions – mais aussi de tout ce qu’il y a de commun. Qu’elles prennent la forme du racisme, de la xénophobie ou du sectarisme religieux, les persécutions contre
les minorités ne sont pas l’apanage des métropoles « post-
coloniales », tant s’en faut : selon les lieux, ce sont des
communautés chrétiennes ou musulmanes, chiites ou sunnites, les peuples indigènes ou les immigrés qui en sont les
victimes. De même, les attaques contre les droits des
femmes ont aujourd’hui un caractère quasi universel et le
renforcement du sexisme est (presque ?) partout sensible.
Nous ne sommes malheureusement plus dans les années
1970, quand se développaient les courants de la théologie
de la libération. Aujourd’hui, la montée des extrêmes
droites et de la réaction religieuse se manifeste dans le catholicisme, le protestantisme, l’hindouisme, le bouddhisme… et non seulement dans l’islam. Elle est à l’œuvre
aux Etats-Unis comme en Inde, au Proche Orient comme
en Europe. Elle nourrit de graves offensives contre le droit
à l’avortement allant jusqu’à son interdiction totale (Nicaragua !). Elle pousse dans le monde musulman de plus en
plus de femmes à porter le voile, ou le voile intégral.
De même, les attaques en cours contre la laïcité ont une dimension proprement internationale, ciblant son fondement
même – la séparation des Eglises et de l’Etat – et non les
aspects particuliers qu’elle prend dans tel ou tel pays. A
l’initiative du Pakistan, la commission des droits de
l’Homme de l’ONU condamne le blasphème au même titre
que le racisme alors qu’une telle décision s’oppose à la
liberté de conscience ou d’expression et que sa mise en
œuvre conduit aux pires violences. Des tribunaux communautaires commencent à opérer dans des pays comme la
Grande-Bretagne ce qui (dans le cas de la charia en particulier) remet de fait en cause les protections et les droits
dont bénéficient les femmes concernées. La laïcité est bien
l’une des conditions – nécessaire bien que pas suffisante –
d’une citoyenneté partagée, d’une loi commune et d’une
démocratie politique.
Anti-impérialistes, nous luttons contre la mondialisation
capitaliste, la politique de guerre menée par Washington,
les visées dominatrices de l’Union européenne – contre
notre propre impérialisme français. Nous refusons d’introduire une hiérarchie en les oppressions ou de jouer
le jeu de la division en ne soutenant que certaines vic
times au nom d’un « ennemi principal ». En Afghanistan, par exemple, nous défendons les femmes
qu’elles soient victimes des armées de l’OTAN, des alliés
de Washington ou des talibans. L’internationalisme exige
que nous soutenions les luttes de toutes et de tous les opprimé.e.s et exploité.e.s dans le monde, non seulement
contre l’impérialisme américain mais également contre les
régimes réactionnaires locaux.
Développer la démocratie au sein du NPA
Pour le prochain congrès, il faudra voter sur 5 questions notamment :
* Sur notre conception de la démocratie au sein du NPA
pour éviter que ne se reproduise le coup de force opéré à
l’occasion des régionales. La candidature dans le Vaucluse
d’une militante voilée a été décidée sans aucun débat collectif national, choix qui avait pourtant une portée nationale ; le NPA a été sommé d’assumer cette décision,
comme si la discussion était close avant même d’avoir
commencé, alors que chacun.e savait que la question divisait profondément le NPA. Ce n’est pas comme cela qu’un
parti démocratique doit fonctionner. La règle communément admise jusque là, c’est que le débat précède toujours la décision. Dans le cas présent, ce fut l’inverse. Nous savons que bon nombre de militant.e.s ont été consterné.e.s que soit imposée à toute l’organisation une
candidate affichant un signe religieux, devenue pour certain.e.s un porte-drapeau ;
* Sur la manière de sélectionner nos candidat.e.s aux élections ou à des postes de responsabilités qui les mettent en
contact direct avec les médias ;
* Sur le fait de ne pas banaliser le foulard islamique, etc ;
* Sur la possibilité ou non d’accepter l’adhésion de militant.e.s qui affichent de manière ostensible leur religion et
portent un signe discriminatoire à l’égard des femmes ;
* Sur notre conception de la laïcité.
Nous sommes nombreuses et nombreux à considérer que
toutes ces questions ne doivent pas passer sous la table à l’occasion du prochain congrès, qu’il doit donc y avoir des votes clairs.
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