Il y a 20 ans, en 1986, quatre internationalistes ont été assassinés au Nicaragua : Maurice Demierre, à Somotillo, le 16 février ; Yvan Leyvraz, Joël Fieux et Bernd Koberstein, à Zompompera, le 28 juillet. Sans oublier les milliers de Nicaraguayen-ne-s, victimes d’une guerre soutenue par les USA et qui a coûté 17 milliards de dollars au pays (soit 40 années d’exportations).
Aujourd’hui, les affrontements des années 1980 intéressent peu la presse et la classe politique. Elles prvilégient les élections du 5 novembre prochain, avec une droite et un sandinisme divisés (2 candidats dans chaque camp), bien que l’ambassade US à Managua tente de susciter une seule candidature libérale-conservatrice.
Daniel Ortega est candidat officiel du FSLN. Herty Lewites (ex-ministre du Tourisme durant la révolution, ex-maire de Managua) se présente pour le « Mouvement de rénovation sandiniste » (créé dans les années 1990 par l’écrivain Sergio Ramirez Mercado et Dora María Tellez).
L’ancienne direction du FSLN est totalement divisée : Bayardo Arce et Tomás Borge appuient Daniel Ortega ; Victor Tirado, Luis Carrión, Henry Ruiz et Jaime Wheelock appuient Lewites. Cette division se reflète dans la base sandiniste, même si, en dernière instance, Daniel Ortega pourrait bénéficier de son profil « charismatique ». Le FSLN se déclare sûr d’obtenir 25% des suffrages : c’est insuffisant pour gagner les élections sans alliance large avec d’autres secteurs, surtout si la droite se présente unie. Par ailleurs, le FSLN a normalisé ses rapports avec la hiérarchie catholique et le cardinal Miguel Obando y Bravo (ancien relais de la contre-révolution).
Et la mémoire collective ?
Ces liens entre la direction sandiniste et le cardinal, la possibilité d’alliances électorales avec d’ex-secteurs contre-révolutionnaires (lors des élections régionales de mars 2006 sur la Côte Atlantique), expliquent partiellement un certain silence du sandinisme officiel sur les années 1980.
Si l’on parle peu des victimes (sandinistes ou « contras »), la direction du FSLN s’efforce de faire oublier des thèmes (tels que le service militaire obligatoire), qui compromettent ses chances de victoire en novembre.
Un débat non résolu entre la pacification nécessaire après la guerre et la mémoire collective imprescriptible, ultime garantie de toute reconstruction stratégique. Par-delà tout calcul politique, l’hommage aux internationalistes et aux victimes de la guerre reste une revendication très présente parmi les sandinistes de base. Cela s’est vérifié lors de l’hommage rendu à Maurice Demierre, le 16 février, à Somotillo, en attendant une journée similaire, à Matagalpa, au mois de juillet, pour Yvan, Joël et Bernd.
Sergio FERRARI
Deux livres : Nicaragua 1986 : l’aventure internationaliste de Maurice, Yvan, Joël et Bernd, Genève, CETIM, 1996. Joël Fieux, Paroles et écrits rassemblés à Lyon par les amis de Joël, Lyon, Atelier de création libertaire, 1987.
Délégation au Nicaragua
Plus de 40 personnes ont participé au voyage, organisé par E-Changer (E-CH) et l’Association Maurice Demierre (9-20 février 2006). Elles étaient présentes, le 16 février, à Somotillo, lors de la commémoration de l’assassinat de Maurice et des 5 paysannes qu’il accompagnait.
La délégation se composait d’amis et de membres de la famille de Maurice, de paysans romands, de représentants d’ONG, trois député-es fribourgeois : Bernard Bavaud, Anne-Claude Demierre et Antoinette Romanens, deux conseillers nationaux : Luc Recordon (Les Verts-Vaud, membre du comité de E-CH) et Maria Roth Bernasconi (PS-Genève). Cette délégation a rencontré plusieurs personnalités : Fernando Cardenal (jésuite, ministre de l’Education du gouvernement sandiniste), Dora Maria Tellez (ministre de la santé à cette époque) et William Grigsby (directeur de la radio La Primerísima).
Le 13 février, la délégation s’est rendue sur les tombes des autres internationalistes assassinés en juillet 1986 (Yvan, Joël, et Bernd). Elle a visité des projets d’entraide. E-CH est présent au Nicaragua, depuis l’époque sandiniste. Sept « coopér-acteurs » travaillent avec quatre partenaires : une coopérative agricole à Diriamba ; Cantera (ONG d’éducation populaire et d’amélioration des conditions de vie des communautés rurales) ; l’Institut historique du Nicaragua et de l’Amérique centrale ; le Centre d’information géographique de Matagalpa (actif dans la gestion du territoire). (sfi)