Pékin, correspondant
Deux navires de guerre chinois ont fait escale, dimanche 29 août, au port de Thilawa, près de Rangoun, en Birmanie, pour une mission de coopération de cinq jours, alors que la junte militaire au pouvoir en Birmanie prépare les élections législatives du 7 novembre, largement décriées en Occident comme une mascarade.
C’est la première fois depuis l’établissement des relations diplomatiques entre la Birmanie et la Chine communiste, en 1949, que la marine chinoise est présente en Birmanie. La visite amicale de la frégate Chaohu et du destroyer Guangzhou fait suite à trois autres escales, en Egypte, en Italie et en Grèce, effectuées par la cinquième Escort Task Group, l’escorte navale chinoise envoyée en 2009 dans le golfe d’Aden et au large de la Somalie pour combattre les attaques de pirates.
Moins de trois mois après la visite officielle du premier ministre chinois, Wen Jiabao, à Naypyidaw – capitale depuis 2005 –, ce nouveau signe d’amitié intervient à un moment-clé : le chef de la junte militaire birmane, le général Than Shwe, et plusieurs de ses proches collaborateurs auraient démissionné de l’armée, vendredi 27 août, afin de pouvoir briguer la présidence et les principaux postes de responsabilité du futur gouvernement civil. Une bonne partie des sièges à pourvoir ont toutes les chances d’être remportés par le nouveau Parti de l’union de la solidarité et du développement (USDP), une émanation de la junte. Le parti d’opposition d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), boycotte le scrutin pour protester contre des lois électorales faites sur mesure pour la junte.
« DONNANT-DONNANT »
Le voyage de Wen Jiabao début juin, le premier en seize ans, s’est accompagné de nouveaux investissements chinois et par le lancement de plusieurs gros projets. Ainsi, Norinco, le géant chinois de l’armement, va investir près d’un milliard de dollars (790 millions d’euros) dans l’exploitation du gisement de cuivre de Monywa, dans ce que certains spécialistes soupçonnent d’être un contrat « armes contre cuivre » – la Chine est l’un des premiers fournisseurs d’armes de Birmanie.
Le sidérurgiste chinois Tisco a rejoint un projet d’exploitation de nickel lancé par un autre groupe chinois, CNMC. Le numéro un chinois des hydrocarbures, CNPC, a démarré en juin la construction de l’oléoduc et du gazoduc qui doivent approvisionner la Chine à partir du terminal pétrolier qu’il a fait construire dans l’état de Rakhine, ainsi que des réserves offshore birmanes. Deux barrages hydroélectriques sont également en projet dans l’Etat de Kachin, pour une valeur de 5 milliards de dollars. En incluant Hongkong, d’où opèrent nombre de filiales de grands groupes chinois d’Etat, notamment dans le secteur de l’énergie, la Chine devrait devenir cette année le premier investisseur en Birmanie, devant la Thaïlande et Singapour.
Des préoccupations de sécurité à ses frontières animent également Pékin à un moment où la tension monte entre l’armée birmane et les groupe armés insurgés du nord de l’Etat Shan. Le régime a signé avec eux des cessez-le-feu depuis 1989, mais il souhaite les voir intégrer la garde-frontière birmane d’ici la première semaine de septembre. En août 2009, l’armée birmane avait donné l’assaut, pour l’exemple, contre le Kokang, une enclave rebelle, et provoqué l’afflux de 37 000 réfugiés au Yunnan chinois, pour la plupart des Chinois de souche. Cette initiative a grandement indisposé Pékin, qui trouve dans cette situation une nouvelle motivation de renforcer les liens avec la Birmanie.
Comme en Asie centrale, la stratégie chinoise est de promouvoir intégration économique et stabilité politique selon un schéma « donnant-donnant ». Alors que la politique d’ouverture initiée par l’administration Obama vis-à-vis du régime birman semble avoir fait long feu à l’approche des élections, la junte militaire, elle, joue la carte de la rivalité entre ses deux puissants voisins : l’Inde, où le général Than Shwe s’est rendu en juillet, et la Chine, qui constitue sur le pourtour de l’océan Indien un archipel de bases, si ce n’est militaires, du moins logistiques et commerciales, dans le but de s’assurer une percée navale et territoriale vers un « deuxième océan ».
Brice Pedroletti