« Qui a peur du harcèlement sexuel ? » Sous ce titre vient de paraître un ouvrage fort intéressant, fruit du travail assidu la chercheuse genevoise de Véronique Ducret et de ses collègues du « Deuxième observatoire ». En 2001, l’auteure connue pour son engagement en faveur des droits des femmes et pour la dénonciation du viol et des comportements sexistes, nous avait donné un guide pour « Une entreprise sans harcèlement sexuel ». Le nouveau livre de cet automne, qui nous apporte des témoignages de femmes victimes de harcèlement sexuel, s’adresse en premier lieu à celles qui, dans leur parcours professionnel ont subi le harcèlement sexuel d’une façon ou d’une autre ou qui risquent d’y être confrontées, ensuite à leurs proches pour qu’ils puissent les soutenir, et plus généralement au large cercle de personnes prêtes à assumer leurs responsabilités dans la lutte contre cette violence. La réalisation de l’étude et sa publication ont été possibles grâce au soutien financier du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes et de la Fondation Émilie Gourd. Patrizia Romito, professeure de psychologie sociale à Trieste, préface le livre, qui se termine avec le postface d’ Yvonne Séguin, directrice du Programme d’aide aux victimes du harcèlement sexuel au Québec.
Décortiquer les mécanismes de du harcèlement sexuel pour prévenir
Véronique Ducret procède à l’analyse minutieuse des mécanismes fort complexes du harcèlement sexuel. Le harceleur commence par cibler sa proie : une personne, dont il sent la fragilité, soit en raison de son jeune âge, soit parce qu’après un divorce elle reprend une activité professionnelle, ou encore parce qu’elle a des problèmes de santé et besoin de réconfort. Il lui fait des compliments et trouve moult prétextes pour lui offrir des cadeaux, que ce soit des fleurs, des boucles d’oreille ou un parfum. Les invitations au restaurant se succèdent. De « petites attentions » d’autant plus appréciées, qu’elles proviennent d’un supérieur hiérarchique ou du patron lui-même. Souvent plus âgé que sa future victime et ayant l’expérience de la vie, sachant bien parler et flatter, le harceleur sait mettre en confiance. Rassurée au début de recevoir tout ce soutien et fière d’être objet de tant d’admiration, la victime commence à se réveiller de son naïf bonheur, quand petit à petit apparaissent des confidences sur la vie sexuelle et qu’elle réalise, que ça n’est pas une relation amicale, ni un témoignage de bienveillance paternelle-patronale, mais qu’on a passé à la vitesse supérieure du harcèlement sexuel pur et dur. En effet, le harceleur tente maintenant d’aller droit au but, car « qui ne tente rien, n’a rien », selon les paroles de l’un d’entre eux.
Quel soutien en famille ?
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la femme qui se résout à parler en famille du harcèlement sexuel qu’elle subit, y trouve rarement l’appui espéré. Voyez le témoignage de Gabrielle, une des personnes interrogées par Véronique Ducret : ayant réussi son apprentissage, elle décroche à seulement 19 ans un « boulot de rêve » dans l’entreprise. Quand son chef lui montre des CD-ROM lubriques et lui propose de sortir avec lui, elle décide d’en parler à sa famille. Or, son père est un bon copain du pdg en question. Alors qu’il aurait suffi qu’il donne un coup de fil pour dénoncer ces agissements, le père conseille à sa fille, solidarité masculine oblige : « mais laisse-toi un peu faire, comme ça tu as un bon boulot »…
Même déconvenue pour Chloé, brillante informaticienne de gestion : Si tout s’est bien passé durant les études universitaires, les problèmes ont commencé au travail dans cette branche essentiellement masculine : sur leur lieu de travail, Chloé et une collègue sont confrontées à 40 collègues hommes, qui les gratifient de remarques désobligeantes et de comportements désagréablement sexistes. S’étant confiée à sa famille, Chloé reçoit de son père l’encouragement suivant : « c’est toi qui a voulu l’informatique ; tu n’as qu’à assumer jusqu’au bout ! ». Côté partenaire, ce n’est pas toujours mieux : si certains maris ou copains sont susceptibles de soutenir les femmes victimes de harcèlement sexuel, celles-ci doivent craindre le plus souvent une réaction inadéquate du genre : « je vais lui péter la figure… ».
Et du côté des collègues de travail ?
Au travers de la lecture des témoignages nous comprenons mieux pourquoi les collègues ne sont pas davantage solidaires avec la victime. Elle hésite de parler de ce qu’elle a subi. Même si elle en est outrée, elle ne dénonce pas le harceleur. Craignant pour son poste, elle préfère élaborer des « stratégies de survie », comme de laisser croire au chef que la relation « plus intime » qu’il lui demande sera pour plus tard. Par ailleurs, l’ambiance qui règne au travail fait que les « dérapages » sexistes ne choquent pas. La femme a même peur de ne pas être crue.
Véronique Ducret a récolté des témoignages de femmes, qui étaient d’accord de lui parler. Ce sont dans leur grande majorité des personnes ayant une formation, qui travaillent dans des bureaux. Qu’est-ce qui se passe dans les magasins ? Le chef d’une vendeuse fait-il aussi les frais de boucles d’oreille pur or pour séduire sa victime ? Le contremaître d’une ouvrière se donne-t-il la peine de l’inviter restaurant avant de lui poser la main sur le sein ? Qui est le plus à craindre pour celles qui travaillent dans l’hôtellerie : les collègues ou les clients ? D’autres études de la même qualité feront peut-être la lumière sur ces questions.
Le chemin est encore long pour faire cesser le harcèlement sexuel
Dans sa conclusion, Véronique Ducret analyse les obstacles que rencontrent celles et ceux qui combattent cette forme de violence et qui font, qu’il est à l’heure actuelle quasi impossible de faire cesser le harcèlement sexuel. Nous trouvons frustrant que cet excellent ouvrage n’explique pas, pourquoi un homme est amené à harceler sexuellement une femme, même quand celle-ci lui a signifié son refus. Est-ce parce que le mâle se croit seul autorisé à choisir son partenaire sexuel et qu’il lui est inconcevable d’encaisser un refus ? Est-il trop paresseux de conquérir une femme et préfère-t-il celles qu’il estime d’accès facile ?
Les arguments avancés par ceux qui banalisent le harcèlement sexuel sont analogues à ceux utilisés pour rendre la femme responsable du viol subi. Ce parallélisme invite à approfondir le réflexion et à se poser des questions auxquelles on ne pensait pas avant la lecture de ces quelques 200 pages. C’est le grand mérite de cet ouvrage, un grand bravo à Véronique Ducret et ses collègues, Brigitte Berthouzoz en particulier.
Anna Spillmann
* Véronique Ducret, « Qui a peur du harcèlement sexuel ? Des femmes témoignent. », Georg Editions, Genève 2010