Ce livre est une contribution décisive à la définition d’un projet écosocialiste qui permette de
dépasser les contradictions - ou au moins de réduire la distance - entre la critique du capitalisme et
l’écologie.
La tâche pouvait sembler insurmontable. En caricaturant un peu, il y a eu longtemps d’un côté un
mouvement ouvrier baignant dans le productivisme et faisant de la croissance la solution à tous les
maux de l’humanité ; et de l’autre, une écologie profonde qui allait souvent jusqu’à suggérer que la
surpopulation était la source de tous les maux. Beaucoup de chemin a été parcouru et le processus
de convergence s’est engagé autour de deux basculements. Du côté des partis de gauche et des
syndicats, la prise en compte du défi climatique a progressé. Sur l’échiquier politique français, le
Parti de gauche met en avant l’idée d’une planification écologique, des « décroissants » ont rejoint
le Nouveau Parti Anticapitaliste, et Europe Ecologie est devenue le partenaire privilégié du Parti
socialiste.
Il s’agit cependant d’une longue marche : les contradictions entre défense de l’emploi et protection
de l’environnement n’ont pas disparu, comme le montre l’exemple d’AZF à Toulouse, et les
généralités sur la création d’« emplois verts » ne prennent pas forcément la mesure des enjeux.
Du côté des écologistes, on peut observer un processus symétrique qui consiste à se dégager de la
gangue de l’écologie profonde et à assimiler peu à peu que l’écologie est une question éminemment
sociale. Là encore, la convergence n’est pas immédiate, comme en témoignent les positions
discordantes sur la taxe carbone ou le nucléaire.
Pour que les choses continuent à avancer, il faut d’abord prendre conscience de l’urgence des
mesures à prendre face au réchauffement climatique. Le livre de Daniel Tanuro paraît au moment
où se déploie l’offensive des « climato-sceptiques » emmenée en France par Claude Allègre.
L’objectif est de délégitimer le GIEC et tous les moyens sont bons. On pirate (à partir de la Russie
ou de l’Arabie saoudite) des courriels dont on extrait le terme trick pour faire croire à un trucage
alors qu’il s’agit d’une de ces astuces dont usent les scientifiques. Non pour truquer les données
mais pour les traiter : il s’agissait en l’occurrence de relier deux séries de données discontinues.
On pointe une faute de frappe (2035 au lieu de 2350 à propos de la fonte des glaciers dans
l’Himalaya) pour dénoncer un prétendu catastrophisme et, dans le cas d’Allègre, on accumule
les citations erronées et les graphiques truqués ou tronqués. Tout ceci est dérisoire et l’analyse
détaillée de Daniel Tanuro constitue une réponse anticipée à ces contre-attaques inspirées par
les lobbies. Elle va encore plus loin en montrant au contraire que les recommandations du GIEC
sont probablement sous-calibrées et qu’une série de phénomènes sont sous-estimés comme les
processus non linéaires sur lesquels James Hansen, le climatologue en chef de la Nasa, insiste
particulièrement. En tout cas, il faut prendre les objectifs du GIEC comme un minimum.
Le réchauffement climatique est par définition un phénomène planétaire mais son impact n’est pas
géographiquement ni socialement neutre. C’est un autre fil directeur de l’ouvrage. Les immigrés
climatiques ne sont pas répartis aléatoirement sur la planète et appartiennent, pour l’immense
majorité, aux régions les plus défavorisées du globe. Et la question de savoir qui va payer les
mesures à prendre est éminemment sociale. De ce point de vue, l’idée avancée notamment par les
Verts allemands, de compenser auprès des entreprises les taxes écologiques par une baisse des
cotisations sociales est suicidaire, puisqu’elle revient à transformer toute mesure écologique en
offensive anti-sociale.
L’apport décisif de Daniel Tanuro est ici de montrer que la dégradation climatique ne peut être
dissociée du fonctionnement « naturel » du capitalisme. Ses réussites, mesurées en termes de
productivité, ont été extraordinairement coûteuses en émissions de CO2. Toute la question est de
savoir s’il est possible de lui faire payer ces « coûts » grâce à des correctifs marchands, écotaxe
ou marché des permis d’émissions. On trouve dans le livre de Daniel Tanuro les arguments qui permettent de comprendre pourquoi il s’agit d’une illusion dangereuse. Ce type de solution est en
réalité conçu pour rentabiliser un segment de capitalisme vert, sur lequel plusieurs pays parient
comme locomotive d’une nouvelle croissance. Mais on impose en même temps une condition,
celle de ne pas peser sur les conditions générales de la rentabilité. On pourrait modéliser cette idée
en disant que les politiques de réduction d’émissions seront menées jusqu’au point où elles font
baisser le taux de profit. Et ce point reste bien en-deçà des objectifs du GIEC.
Il y une autre borne à l’extension du capitalisme vert, qui est le respect de la concurrence comme
principe économique essentiel. Tout récemment, le premier ministre français a justifié l’abandon
de la taxe carbone par le risque de « plomber la compétitivité » des entreprises françaises. Si l’on
veut atteindre les objectifs calibrés par le GIEC, il faut instaurer des formes de planification et de
coordination à l’échelle du globe, qui passent notamment par des transferts de technologie vers les
pays en développement. Or, une telle organisation du monde est rigoureusement incompatible avec
la logique concurrentielle du capitalisme.
L’ampleur des mutations nécessaires est le fondement objectif de la convergence écosocialiste.
La lutte contre le défi climatique suppose en effet une véritable révolution dans la manière dont
l’humanité répond à ses besoins. Elle implique de réduire les modes de satisfaction marchands
de ces besoins, de baisser la durée du travail et de concevoir des biens sobres et durables. La
consommation marchande est en grande partie une consommation de compensation face à
l’intensification du travail et à la dégradation des services public et des conditions de logement.
La rotation accélérée des biens de consommation est un facteur de rentabilité du capital sans
correspondre à une véritable création de valeurs d’usage. Il s’agit de rompre avec cette logique
de maximisation du profit et de la remplacer par une logique de maximisation du bien-être
sous contrainte environnementale. Ce pourrait après tout être une définition ramassée de
l’écosocialisme et un résumé du livre de Daniel Tanuro dans sa recherche d’une nouvelle synthèse
entre mode de vie et respect de l’environnement. Puisse sa lecture convaincre les écologistes de la
nécessité d’être anticapitaliste. Et vice versa.
Michel Husson, mars 2010