Le contexte actuel est marqué par l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie (lire Rouge n°2151), qui tend à faire de chaque usager un client « captif » sommé de contribuer à accroître les dividendes de quelques actionnaires. Areva cherche donc à se faire une position de leader mondial sur l’ensemble de la filière nucléaire. Produit phare de sa politique commerciale actuelle, le réacteur nucléaire EPR1 est bien parti pour devenir une fin de série coûteuse. Alors que la plupart des pays paraissent la bouder, à l’exception de la Finlande, la France, qui n’en a pas besoin, se lance dans la production.
La commande du « nouveau » - en fait, dans les cartons depuis dix ans et déjà dépassé - réacteur EPR est un cadeau de plus de trois milliards fait par la collectivité, à Areva Framatome et Siemens, ainsi qu’à leurs actionnaires. Mais il va servir aussi de support à la relance du programme nucléaire français.
Or, la France, monomaniaque et championne du monde du nucléaire avec ses 58 réacteurs et ses dix-neuf sites, sa production électrique à 78 % d’origine nucléaire, produit déjà, du fait même du choix de cette filière, 15 % d’électricité de trop - soit la production de douze réacteurs. Bien plus, la caractéristique de cette filière, en dehors de son coût et de sa dangerosité, est son manque de souplesse et de réactivité, qui ne permettent pas toujours de faire face à nos besoins.
Depuis longtemps, le nucléaire est favorisé par le contexte politique de Flamanville : deux réacteurs (suffisants pour la production d’électricité en Basse-Normandie et en Bretagne), l’usine de retraitement de La Hague-l’Arsenal où sont construits les sous-marins nucléaires... tout cela relève de décisions politiques, et non de besoins réels. Sans compter un couloir de lignes à très haute tension de 400 000 volts, qui va traverser les départements sur plus de 250 kilomètres, une toile immense, engendrant des nuisances supplémentaires et... des pertes d’énergie dues au transport de l’électricité. Mais l’argent de l’atome est argument dans une zone où les taxes locales provenant du nucléaire représentent l’essentiel du budget de la communauté de communes de La Hague et l’équivalent de 60 % du budget du conseil général.
Déchets ingérables
L’augmentation de puissance du réacteur accroît le risque. Il apparaît donc logique d’en accroître la sécurité. Or, la solution apportée est loin d’être si convaincante. Le risque de fusion et celui de l’explosion demeurent ! La double enceinte de l’EPR peut également ne pas résister à un crash d’avion suicide.
En fonctionnement « normal », l’industrie nucléaire rejette des gaz et des liquides chimiques et radioactifs. À Flamanville, parmi les rejets, ceux de tritium ne sont pas loin des doses maximales officiellement admises. EDF a déjà demandé de nouvelles autorisations plus importantes de rejets. Par ailleurs, l’entreprise favorise l’utilisation du MOX (combustible obtenu après retraitement des déchets), comportant du plutonium et donc des déchets plus radioactifs pendant une plus longue période, dont le coût du traitement et de la surveillance échappe à toute estimation sérieuse.
Risques multiples
La collectivité supporte pratiquement tous les risques de l’opération, y compris les risques d’accidents aux conséquences gravissimes, la gestion des déchets pour des siècles, la radioactivité... Mais les profits, eux, iront aux actionnaires d’Areva. L’EPR est donc bien l’exemple même du système que nous dénonçons tous les jours, à savoir un système qui draine un maximum de profits dans le court terme pour les actionnaires, laissant durablement à la charge de la société toutes les conséquences sociales, économiques, environnementales et sanitaires des choix qu’elle fait pour se tailler une place sur le marché. En d’autres termes, l’exemple même de socialisation des pertes et de privatisation des bénéfices.
Au-delà de l’EPR, de nombreuses raisons nous font refuser l’industrie nucléaire dans sa globalité. Issu des recherches militaires après 1945, le nucléaire civil, source d’électricité, n’a jamais été qu’un prétexte pour produire le plutonium nécessaire à la fabrication de bombes. Et ce choix du passé pèse encore sur notre vie quotidienne. Et d’abord, sur la vie des 25 à 30 000 salariés précaires des boîtes de sous-traitance faisant le sale boulot, c’est-à-dire l’entretien et la maintenance de nos centrales. Cette scandaleuse division sociale du travail, fondée sur l’exploitation de salariés précaires peu informés de leurs droits et des règles de sécurité, ne laisse aucun choix aux travailleurs soumis à la pression du chômage. Mais les risques sur la santé ne pèsent pas que sur les travailleurs du nucléaire :
– les centrales, qui dégagent des déchets radioactifs, sont contaminantes (à La Hague, le taux élevé de leucémie infantile est lié aux rejets de l’usine de retraitement2 ;
– la gestion des déchets nucléaires est insoluble, ce qui justifie pleinement le rejet de l’industrie nucléaire.
Le lobby nucléaire évoque fallacieusement « l’indépendance énergétique », que nous conférerait le nucléaire, jetant un voile hypocrite sur le problème de l’extraction de l’uranium : depuis la fermeture du site d’extraction près de Limoges, la France importe 100 % de son uranium, laissant notamment le soin aux Gabonais et aux Nigériens de l’extraire à moindre coût dans des conditions sanitaires scandaleuses : l’enquête au Niger de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) - expert indépendant du lobby nucléaire - a été empêchée par les autorités du pays, suite aux pressions d’Areva, multinationale française2.
Enfin, l’implantation des centrales, des centres de retraitement et de stockage des déchets ne peut se faire que dans le cadre d’une société autoritaire exerçant une violence étatique sur des populations systématiquement opposées à ce type de projet. Impérialisme, autoritarisme,
domination du Nord sur le Sud, irresponsabilité par rapport aux générations futures : tels sont les ingrédients indispensables au développement de cette funeste industrie.
Sortir du nucléaire
La sortie du nucléaire ne peut se faire qu’en tenant compte de la problématique énergétique globale, et elle doit donc viser à minimiser autant que possible le recours aux énergies fossiles. Cette sortie doit résulter de la conjonction de deux facteurs ; d’un côté, la baisse de la demande en électricité par une politique de sobriété (rénovation de l’habitat, refus du gaspillage...) et d’économies ; de l’autre, un développement massif des énergies renouvelables (ER). Les développements dans la filière éolienne rendent possible une sortie du nucléaire en une dizaine d’années, sans avoir à relancer des centrales thermiques ni à rouvrir des mines de charbon. Dix ans pour que la production d’électricité soit majoritairement issue des énergies renouvelables et que la part d’énergies fossiles soit stabilisée voire en légère baisse.
Une politique très volontariste doit donc être engagée et le territoire français, possède tous les atouts : énormes potentiels dans les domaines éolien - sur terre et en mer -, solaire, bois énergie, hydrolien3, etc. L’ensemble des potentiels énergétiques permet largement de satisfaire tous nos besoins en énergie électrique. D’autant que ces énergies génèrent, pour un même coût, beaucoup plus d’emplois que le nucléaire (lire encadré). L’argent public, aujourd’hui utilisé pour acheter très cher des kilowattheures renouvelables à des boîtes comme Total, Shell, voire même une filiale d’Areva (Jeumont), permet à ces entreprises de redorer leur image et d’augmenter encore leurs profits.
Nous devons, au contraire, revendiquer que l’argent public ne soit utilisé que pour financer des infrastructures dans le cadre du service public ou coopératif. Là encore, le service public est nécessaire pour que les choix d’implantation répondent à un développement harmonieux sur tout le territoire - en évitant la concentration des éoliennes dans les zones ventées -, mutualisant les sources énergétiques et assurant la péréquation tarifaire.
Notes
1. European Pressurized Reactor.
2. Dominique Pobel et Jean-François Viel, « Case-control study of leukaemia among young people near La Hague reprocessing plant : the environnemental hypothesis revisited », British Medical Journal 314 : 7074 (January 11, 1997).
3. « Pour un service public de l’électricité sans nucléaire », brochure de la LCR, 2006.
ENCARTS
Des emplois il y en a !
Le lobby nucléaire assure que son industrie suscite de nombreuses embauches. Or, outre qu’il s’agit rarement d’emplois durables, la précarité et la sous-traitance provoquent des situations de travail difficilement supportables pour les salariés. Se battre contre les suppressions d’emplois à EDF, la titularisation des précaires et l’embauche en CDI de salariés pour assurer la sécurité des centrales est une nécessité. De plus, à investissement équivalent, il y aurait davantage d’emplois durables dans le secteur des énergies renouvelables : l’Allemagne a déjà créé 35 000 emplois dans l’éolien et elle en prévoit 120 000 de plus d’ici 2010. Une étude commandée par le réseau Sortir du nucléaire estime que la réaffectation vers les énergies renouvelables du budget initial de l’EPR créerait environ 11 000 emplois. Et un plan de sortie du nucléaire permettrait de créer plus de 600 000 emplois.
J. H.
Pourquoi le nucléaire n’est pas une solution au dérèglement climatique
L’un des arguments des pro-nucléaires est que cette énergie préserverait les équilibres climatiques. Mais à quoi servirait une terre avec un climat stabilisé, si elle est inhabitable à cause des déchets radioactifs ? En France, le nucléaire représente 78 % de l’électricité, mais seulement 16 % de l’énergie totale consommée. Au niveau mondial, sa part descend à moins de 5 %. Pour autant, la France a du mal à se conformer aux accords de Kyoto - pourtant peu contraignants -, car le principal émetteur de gaz à effet de serre (GES), le transport routier (28 %), est en pleine expansion, sans même parler du secteur aérien, non comptabilisé pour les objectifs de réduction d’émissions de GES.
S’il fallait remplacer le pétrole et le gaz par du nucléaire, il faudrait multiplier par plus de dix le nombre de réacteurs actuels. Le risque d’avoir un accident nucléaire serait alors augmenté de façon exponentielle, et les réserves d’uranium actuelles ne permettraient de tenir que 6,5 années ! Les énergies renouvelables (hydraulique et éolienne) produisent encore moins de GES que le nucléaire et les filières bois/gaz en absorbent plus qu’elles n’en produisent. Mais l’énergie la moins polluante est évidemment celle que l’on n’utilise pas. La priorité doit donc être les économies d’énergies.
T. D.