« Allons plus vite et plus haut grâce aux technologies de pointe », peut-on lire sur une affiche du centre de Pyongyang représentant un cheval ailé s’élançant vers le ciel. Plus loin, une autre annonce, un « tournant décisif dans l’amélioration des conditions de vie », illustrée d’une mère de famille en costume traditionnel et de son fils face à une abondance de biens de consommation. La propagande des posters est révélatrice des messages que le régime entend faire passer dans la population.
Depuis le début de l’année, deux thèmes dominent, souligne Hong Chun-ung, directeur du département des affiches du centre de création artistique Mansudae : la technologie - le sigle anglais « CNC » (« computer numerical control ») est à l’honneur sur plusieurs d’entre eux - et le bien-être pour 2012, centenaire de la naissance du président Kim Il-sung (décédé en 1994) et année où la République populaire démocratique de Corée (RPDC) est censée devenir un « pays puissant et prospère ».
Pyongyang donne une image contrastée d’une embryonnaire reprise de l’activité économique. D’un côté, un activisme bâtisseur qui transforme le paysage urbain, une circulation automobile plus nourrie, des téléphones mobiles (connectés uniquement à l’intérieur du pays) dont le nombre devrait atteindre 600 000 à la fin de l’année, des femmes à ombrelle, des couples d’amoureux dans les parcs, des marchés regorgeant de produits, des fermes modèles aux environs - une exploitation de pommes couvrant 600 hectares tirés au cordeau qui devrait produire 36 000 tonnes d’ici à 2012 ou un élevage moderne de 10 000 autruches.
De l’autre, une population qui peine, marche le long des avenues et des routes, attend en longues files les bus et souffre de pénuries : les produits des marchés étant hors de sa portée, elle dépend du problématique système de distribution public. « Les conditions de vie n’empirent pas et, dans certains cas, s’améliorent un peu, mais les problèmes sont énormes », estime un résident étranger qui a accès aux provinces.
La RPDC connaîtra cette année le même déficit alimentaire qu’en 2009 : 1 million de tonnes, soit 25 % de la demande minimale. Les experts étrangers sur place font valoir que le problème alimentaire est moins quantitatif que qualitatif : la déficience nutritionnelle (manque de protéines) est responsable d’un taux élevé de mortalité infantile (55/1 000) et de celle des mères en couches (77/100 000) selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La dénutrition favorise également les maladies infectieuses comme la tuberculose, en recrudescence.
Sous la chape de plomb idéologique et répressive du régime qui ne laisse guère de place à quelque forme de dissidence que ce soit - connue du moins -, l’activité économique sensible à Pyongyang est largement tirée par le commerce avec la Chine. La redénomination de la monnaie nationale, le won, à la fin de 2009, a provoqué un chaos de plusieurs semaines, balayé le « bas de laine » de la classe moyenne des marchands et permis d’éradiquer la corruption, à en croire les autorités.
Elle n’a pas mis fin à l’économie de marché (légal ou illégal), parallèle à l’économie d’Etat, qui s’est développée depuis une dizaine d’années ; pas plus qu’à la double circulation du won et des devises étrangères. « La redénomination avait pour objectif de restaurer la confiance dans la monnaie nationale, créer un environnement favorable au redressement et pallier les disparités des conditions de vie », explique Ri Ki-song, professeur à l’Institut d’économie de l’Académie des sciences sociales à Pyongyang.
La situation est revenue à ce qu’elle était antérieurement mais, pour la première fois, le régime se serait excusé auprès des cadres du Parti du travail pour la confusion et l’inflation qui ont résulté de cette initiative qui a suscité une vague de mécontentement.
Selon l’agence Chine nouvelle, au cours du premier trimestre, la production industrielle a augmenté de 16 % par rapport à la même période en 2009 : une croissance qui laisse les observateurs sceptiques... Les moteurs en seraient les campagnes de mobilisation de masse, le secteur minier (la RPDC est riche en métaux rares) et la modernisation des industries de produits de consommation.
Le régime tente de revigorer les industries légères afin de répondre aux attentes de la population en endiguant l’invasion des produits chinois. Le poids économique de la Chine est sensible : ses entrepreneurs sont présents dans le commerce et l’immobilier. « Les technologies de pointe sont la clef pour rééquilibrer nos rapports avec la Chine », estime Ri Ki-song.
Pourront-elles amorcer une amélioration de la situation économique, condition d’une transition sans heurt du pouvoir du dirigeant Kim Jong-il à son fils ? La percée dans le secteur de l’informatique par la formation intensive de programmeurs témoigne de l’ambition du régime : « Les compétences humaines doivent pallier les insuffisances industrielles », explique Ryu Sun-ryol, recteur de l’Institut d’informatique de l’université de technologie Kim Chek.
Cet établissement moderne au centre de la capitale accueille 15 000 étudiants dont 2 000 sont inscrits à la faculté de technologies de l’information. Le cursus de quatre ans et demi est ramené à deux ans et demi pour les « surdoués » qui ont commencé l’informatique dès le secondaire. L’établissement est connecté par des réseaux à fibres optiques aux autres universités et instituts de recherche du pays.
Comme le Centre informatique de Pyongyang, l’université Kim Chek a des programmes d’échanges avec les universités chinoises. Les étudiants ont accès à un Intranet et à une version, réduite à ce qu’ils « ont à savoir », d’Internet... Excepté l’élite, la population n’y a pas accès. Dans une interview à University World News, Stuart Thorson, directeur du centre d’études coréennes Maxwell School de l’université de Syracuse (Etats-Unis), qui a enseigné à Kim Chek, estime que cet établissement est « avancé en technologies de l’information ».
La RPDC dispose de son propre logiciel : Etoile rouge. Selon l’Institut pour les initiatives en matière de sciences et de technologies à Séoul, « sa version 1.1 (2008) offre un environnement comparable à celui de Microsoft Windows ». Elle aurait également une bibliothèque électronique, Mirai 2.0, avec 1 500 ouvrages dont des classiques occidentaux : Les Misérables, Don Quichotte... Un projet en gestation témoigne de son avancée : la création d’un musée infographique à proximité d’Angkor Vat (Cambodge) destiné à faciliter l’orientation des touristes.
Le promoteur en est Mansudae Overseas Project, filiale internationale du centre de création artistique du même nom. Creuset de l’art de la propagande, employant 700 artistes, il est connu pour le gigantisme de ses productions : de la statue en bronze de Kim Il-sung (28 mètres) qui domine Pyongyang au monument à la Renaissance de l’Afrique (49 mètres), inauguré en avril à Dakar. Si le projet cambodgien se concrétise, la RPDC fera son entrée sur le marché de l’infographie après avoir percé sur celui des films d’animation et désormais des jeux informatiques attirant l’attention d’industriels étrangers.
De nationalité allemande, Volker Eloesser a créé, en 2007 à Pyongyang, Nosotek, une entreprise conjointe avec l’Association scientifique locale qui, avec 40 programmeurs, produit des jeux informatiques : « Les jeunes d’une vingtaine d’années sont hyperdoués et il est très facile de recruter. Techniquement, les produits sont parfaits et reviennent à un coût moitié moindre qu’en Chine », dit-il. Une mission d’industriels européens est attendue en octobre à Pyongyang.
L’avancée technologique est aussi le pari de l’université des sciences et des technologies de Pyongyang, qui a ouvert ses portes en septembre. Sur un campus de 100 hectares à Posong-ri, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, dotée des équipements les plus modernes et de 17 bâtiments, l’université est le premier établissement d’enseignement « privé » en RPDC : son coût (35 millions de dollars) a été financé par des Coréens d’outre-mer (Corée du Sud et Etats-Unis) à l’initiative d’un étonnant personnage : James Kim. Coréen de nationalité américaine, celui-ci a créé, au début des années 1990, l’université de science et de technologie de Yanji (province chinoise de Jilin) où vit une forte communauté d’origine coréenne.
Accusé d’espionnage par Pyongyang en 1998, James Kim a passé cinq semaines en prison. Mais il n’a pas renoncé à son idée : répondre à la demande de la RPDC en savoir étranger. En 2001, il a lancé le projet de l’université de Pyongyang pour qu’elle soit « une fenêtre sur l’extérieur », nous disait-il en 2008 à Yanji : « Il est essentiel de »frotter« la future élite nord-coréenne à la réalité extérieure : c’est ainsi que le pays évoluera. »
A l’université des sciences et des technologies de Pyongyang, l’enseignement (technologie de l’information, ingénierie, sciences de la vie, gestion) est dispensé en anglais à 200 étudiants de haut niveau par des professeurs étrangers (allemands, américains, anglais, canadiens). « Nous pensons créer en marge de l’université une technopole : il y a d’énormes potentialités ici », dit David Kim, son vice-président, de nationalité américaine.
La RPDC « dernière frontière » ? Andreï Lankov, expert de la RPDC à l’université Kookmin à Séoul, est sceptique : « Les dirigeants de Pyongyang nourrissent une croyance quasiment religieuse en la technologie. Dans les années 1970, l’URSS entretenait les mêmes espoirs : ils furent déçus. » Les nouvelles technologies sont une arme à double tranchant : elles permettront peut-être un début de redressement économique, mais elles impliquent aussi la diffusion d’informations sur l’extérieur dans un pays qui en a été coupé pendant plus d’un demi-siècle.
Philippe Pons