Le 30 octobre aura lieu dans le canton de Zurich une rencontre insolite. Une « Communauté d’intérêt antiféminisme » (IGAF) réunit des représentants de différentes associations masculinistes allemandes et suisse-allemandes. Ils en veulent donc au féminisme, selon eux une « idéologie irrespectueuse des droits de l’homme », qui devrait disparaître de Suisse et d’Europe.
Le masculinisme est le combat d’ hommes frustés par la vie contre les femmes. Il se veut une réponse aux succès fèminins. Grâce à l’essor du féminisme durant les années 1970 et 1980 avec ses luttes de grande ampleur, les femmes européennes et américaines ont obtenu une série de droits, à commencer par la légalisation concernant l’IVG (interruption volontaire de la grossesse). Des législations prévoyant l’égalité entre les sexes ont facilité leur intégration professionnelle. Le droit de famille s’est aussi développé ; la notion de « puissance paternelle » commence à disparaître au profit de celle « d’autorité parentale ». De plus en plus de femmes sont admises au barreau, deviennent juges, sont présentes dans les instances politiques et commencent à exercer de l’influence dans l’élaboration des lois. Or, il y a des hommes à qui cette évolution déplaît et qui veulent renverser la vapeur : ils s’affirment victimes des femmes qui auraient obtenu trop de droits et tentent de « rappeler à l’ordre » ces éléments devenus incontrôlables ; sinon, disent les plus avisés, elles vont nous instaurer le matriarcat…
Avec le développement de la pratique du divorce, les premiers groupes d’hommes se plaignant de leur condition sont apparus aux États-Unis dans les années 1950, bien avant l’Europe. C’est surtout l’obligation légale de payer une pension alimentaire à l’ex-épouse et de contribuer à l’entretien des enfants du couple, qui leur pèse. À partir des années 1970, ils mettent en avant leur chagrin de ne pas voir leurs enfants autant qu’ils le voudraient, et cet argument attendrissant leur vaut les sympathies du public. Mais ces groupes de défense de la condition paternelle ne font presque jamais une réflexion constructive sur le couple, les relations avec les enfants ou le partage des tâches, et imputent la faute de leur échec personnel aux femmes, dont ils s’estiment victimes. Ils ont en outre une fâcheuse tendance à minimiser voire nier la violence domestique. La sociologue Michèle Le Doeuff a forgé le terme masculinisme pour désigner cette mouvance centrée sur les seuls hommes et leurs intérêts. Eux réfutent ce terme pour ce qu’il considèrent comme le pendant du féminisme, et lui préfèrent « masculiste » ou « homiste ». Il y a pourtant une différence de taille : le féminisme, tout en dénonçant la société patriarcale, source d’inégalités et de violences à l’égard des femmes, propose des solutions globales qui pourraient profiter aussi aux hommes et aux enfants : droits égaux, épanouissement pour tous, également sur le plan de la sexualité. Les masculinistes par contre se construisent sur la haine des femmes. Ils incriminent le féminisme comme source de leurs malheurs. À côté de ceux qui centrent critique et revendications autour de la condition paternelle, il y a une autre branche plus agressive, dont les adeptes éditent des livres et animent des sites internet pour propager une idéologie « homme et fier de l’être » ou « content d’être un gars ». Aux États-Unis s’ajoutent les « promise keepers », un groupe d’hommes évangélistes qui promeuvent des valeurs de chef de famille.
La tendance « retour vers la vraie femme », la plus dangereuse, fait du lobbying auprès des organes législatifs afin d’obtenir des reformes qui annulent les acquis des femmes. Nous avons de bons raisons de croire que ceux qui organisent la rencontre de 30 octobre en font partie. La crise favorise la recherche de boucs émissaires responsables des frustrations quotidiennes. Ce ne sont plus seulement les étrangers, mais maintenant aussi les femmes. Comme dit Denise Comanne, les femmes doivent aussi « retrousser leurs manches » face aux masculinistes. Il est important que les hommes de gauche, mais pas seulement, deviennent leurs alliés..
Anna Spillmann