On ne peut réellement développer les solidarités croisées sans lutter à la fois contre l’islamophobie et contre les intégrismes
Note : des corrections et précisions ont été apportées à ce texte le 19 novembree 2010.
A la veille du congrès du NPA le regroupement “féminisme et laïcité” (F&L) a présenté son point de vue sur le site Europe Solidaire, (article n°18354), 24 août 2010 : “A l’heure d’un grand tournant historique où les bourgeoisies européennes veulent véritablement démanteler les acquis sociaux de l’après-guerre, (...) il est vital (...) de consolider les solidarités croisées ; en étant, par exemple, tout à la fois antiraciste, féministe et laïque”. [1]
Personne n’est en désaccord avec de telles formulations dans le NPA – et il aurait fallu ne pas laisser croire que la défense de ces valeurs communes est le propre de ce regroupement... Le débat est au sein des féministes, laïques et antiracistes, en ce qui concerne le NPA. De même, il n’y a pas de désaccord avec l’essentiel des articles de Pierre Rousset à ce sujet... [2]. Mais, l’un comme l’autre de ces articles reste “à côté” de ce qui a réellement posé problème en 2003 dans l’ex-LCR et depuis lors et devrait être dépassé dans le NPA : un basculement et brouillage politiques majeurs qui s’est traduit par une orientation en termes de “ni loi, ni voile” de l’ex-LCR au nom de la “non banalisation du voile”. Nous lui opposons un positionnement “contre le voile imposé et contre son interdiction” qui ne place pas “le voile” ou “la religion” en dehors des contextes et des choix individuels des femmes.
Aucun choix n’est jamais “libre” de contraintes diverses. Mais ne pas distinguer choix vécu comme imposé ou vécu comme autonome, c’est juger à la place des femmes. Et ceci est aux antipodes d’une démarche féministe qui abouti à l’ignorance des dynamiques progressistes à l’œuvre “sous le voile”. Elle relève d’une identification plus générale à de “l’islamisme” de toute affirmation politique assumant en même temps et publiquement sa foi. Cette identification est au cœur de cinq aspects d’un même débat d’ensemble sur lequels des avancées sont nécessaires et possibles :
1°) montée des intégrismes versus polarisations
2°) Ennemi principal versus lutte contre les oppressions croisées... qui oublie l’islamophobie ?
3°) Non banalisation du voile... et rejet des femmes voilées versus luttes communes contre le voile imposé et contre son interdiction
4°) Une laïcité islamophobe ou égale pour toutes les religions
5°) Pour des mouvements socio-politiques laïques basés sur des droits égaux et des cheminements multiples vers l’émancipation
1°) Montée des intégrismes versus polarisations.
Le regroupement F&L reprend ce qui est, selon moi, à la source des désaccords depuis 2003, en exprimant une vision unilatéralement pessimiste des dynamiques à l’œuvre : “Nous ne sommes malheureusement plus dans les années 1970, quand se développaient les courants de la théologie de la libération. Aujourd’hui, la montée des extrêmes droites et de la réaction religieuse se manifeste dans le catholicisme, le protestantisme, l’hindouisme, le bouddhisme… et non seulement dans l’islam. Elle est à l’œuvre aux Etats-Unis comme en Inde, au Proche Orient comme en Europe. Elle nourrit de graves offensives contre le droit à l’avortement allant jusqu’à son interdiction totale (Nicaragua !). Elle pousse dans le monde musulman de plus en plus de femmes à porter le voile, ou le voile intégral.”
“En France, cette vague de fond réactionnaire a pris toute son ampleur au tournant du siècle”.
Les divergences ne portent pas sur le constat de la montée des intégrismes et courants réactionnaires ni sur la nécessité de les combattre. Mais sur une présentation unilatérale des dynamiques actuelles, aveugle aux polarisations et résistances traversant toutes les sociétés, notamment musulmanes – sans pour autant qu’elle soit analogue “aux années 1970”.
En voulant éviter de se centrer... sur l’islam, l’analyse du regroupement fait en pratique abstraction du nouvel ennemi “terroriste” qui a légitimé les guerres impérialistes après la fin de la guerre froide, et de l’ampleur prise par l’islamophobie répandue, “au tournant du siècle”, justement - après le 11 septembre 2001. Or, le climat qui a régné en France autour de la Loi de 2004 a été imprégné par cette phobie (peur irrationnelle), instrumentalisée dans une variante française de la pseudo “guerre des civilisations” qui n’a pas fini de sévir –et qu’il importe donc de pleinement évaluer avec ses effets, non univoques ni stables, dans la population musulmane. Notre propre intervention est une des composantes de l’équation.
Mais notons d’abord une contradiction, sous l’angle de la résistance aux intégrismes, que nous avons soulignée à l’époque [3] : il est aberrant, lorsqu’on met l’accent sur des offensives religieuses visant, aux dires du regroupement en question, à renvoyer les femmes au foyer et à la procréation ou à les isoler de la société – ce que le voile est censé symboliser - de ne pas soutenir à tout prix la demande des filles voilées d’aller dans les écoles publiques, mixtes – pire, de les rejeter. Quelle était la racine de ce basculement aberrant (puisqu’avant 2003 la position féministe de la LCR défendait la présence de filles voilées dans les écoles) ?
Elle est dans la “perception” d’un danger que propageaient les femmes voilées. Et c’est ainsi que reste interprétée (par le regroupement F&L) l’augmentation du port du voile qui a été perçue et dénoncée comme le “signe” par excellence de l’offensive intégriste, le sommet d’un iceberg menaçant. Les lunettes prises dans cette analyse ont donné du relief à plusieurs éclairages combinés dans la société française post coloniale avec “un racisme à peine voilé” derrière l’hostilité à l’islam : 1°) la perception de tout affichage de différences comme contraire à l’universalisme républicain français ; 2°) la perception de toute revendication islamique portant sur des droits religieux (quels qu’ils soient) comme “islamiste” (au sens d’un islam politique qui voudrait plier l’Etat à la “sharia” et remettre en cause la laïcité) ; 3°) la perception de toute acceptation du foulard comme contradictoire avec les libertés sexuelles et les droits des femmes acquis et toujours fragiles depuis 1968 ; 4°) la perception de toute acceptation du foulard comme une trahison de la nécessaire solidarité à l’égard des femmes résistant aux courants intégristes.
La critique de ces perceptions et éventuelles théorisations fausses ne signifiait pas adhérer à une perception symétrique rejetant les préoccupations des premières... La minorité de la LCR qui dénonçait l’islamophobie (instrumentalisant les causes féministes) le faisait dans le cadre d’un engagement féministe, laïque et internationaliste militant, de longue date. Et dans les collectifs “une Ecole pour tou-tes “ et “féministes pour l’égalité”, les plates formes que nous avons adoptées avec des musulman-e-s (individus ou associations) s’exprimaient explicitement “contre le voile imposé – et contre son interdiction”. Mais nous dénoncions aussi le racisme “honorable” sous sa nouvelle forme anti-religieuse (caché derrière le rejet du voile) que la nouvelle loi permettait d’exprimer en France contre une population issue de l’immigration post-coloniale et majoritairement musulmane.
Il ne s’agissait donc pas de nier l’existence de courants intégristes et de se taire sur leurs violences : dans les collectifs que nous avons formés, nos nouveaux camarades, frérots et seurettes musulmanes nous aidaient au contraire à discerner... un barbu d’un autre, une femme voilée, d’une autre, un “Collectif des musulmans de France” - proche des altermondialistes - d’un “Parti des musulmans de France” et autres associations fleurtant avec l’antisémitisme ou encore avec le clientélisme sarkozyste...
Ensemble, nous avons commencé à dénoncer l’islamisation et l’ethnicisation des questions sociales lors de la révolte des banlieues ; nous avons jeté des jalons pour une résistance intellectuelle et militante à la “pseudo “guerre des civilisation”, et pour construire un universalisme comme résultat de luttes contre toutes les oppressions et discriminations du local au planétaire ; ensemble, nous voulions mener le combat pour un Etat de droit réellement égalitaire et le déploiement de solidarités féministes internationalistes qui au lieu de dresser certaines victimes contre d’autres, se battent pour les mêmes droits ici et là sans imposer de “label” arrogant et ignorant. [4].
Sans donc nier l’existence et l’offensive de courants “salafistes” (en France minoritaires mais très présents dans certains milieux et quartiers), d’autres causes de la visibilité de convictions religieuses assumées apparaissaient, expliquant des dynamiques internes aux communautés musulmanes, sans liens directs voire en conflit avec les pressions “salafistes”. Pour ne parler que de la France, d’une part, il faut souligner la croissance d’une population musulmane (avec le regroupement familial et l’installation dans le pays dans un contexte post-colonial) passant depuis les années 1970 d’environ I million à plus de 6 millions de personnes sur trois décennies – ce qui, statistiquement augmentait le nombre de femmes voilées. Parallèlement, émergeaient trois causes d’affirmation identitaire “réactives” mais au potentiel progressiste : a) pour une nouvelle génération, née en France, et aspirant à la réalisation des droits républicains proclamés (et non pas au repli hors de la société avec ses propres droits, comme les salafistes et les femmes portant la burqa), le constat des discriminations au faciès et au prénom dans l’emploi, le logement, la vie quotidienne quelles qu’aient été les volontés de leurs parents d’être “discrets” comme musulmans : d’où l’émergence d’une volonté d’assumer son “identité” à facettes multiples dans un “repli d’ouverture” pour l’égalité des droits ; b) dans le contexte politique international de l’après 11.09 on voyait aussi s’exprimer une logique d’affirmation identitaire musulmane (individuelle ou/et associative) à la fois critique des attentats d’AlQaida et de la montée d’une islamophobie arrogante légitimant les guerres impérialistes contre “le terrorisme” ; le refus d’une assimilation de la résistance palestinienne au “terrorisme” s’accompagnait d’une démarche politique de front en conflit à la fois avec les courants visant “l’islamisation de la Palestine” et avec l’islamophobie rejetant la légitimité du Hamas comme composante de la résistance ; c) finalement, l’application de la loi de 2004 a légué non seulement des frustrations, mais le constat de ses effets nocifs produisant des polarisations : d’une part, l’interprétation abusive de la loi et de plus en plus restrictive de la “laïcité” au nom de laquelle des femmes voilées se faisaient agresser ou/et exclure de divers espaces publics ; ce qui poussait à l’extension réactive du port du foulard au nom des libertés laïques...
Or les analyses qui tendaient vers une vision « essentialiste » de la religion et surtout de l’islam, ont ignoré ou rejeté (comme islamistes) tous courants s’assumant explicitement comme musulman (donc les femmes voilées...) - même quand ceux-ci/celles-ci se rapprochaient de l’altermondialisme, voire, en France, se revendiquaient de la laïcité et de l’égalité des droits entre hommes et femmes, rejetant également les violences intégristes et “toute contrainte en islam”, notamment dans le port du voile...
Des réflexions sur une théologie de la libération et ses différences dans l’islam et le catholicisme sont appararues sur oumma.com (se revendiquant notamment des écrits marxistes de Michael Lowy sur la question...). Mais ils ne sont pas “la référence” ou la marque essentielle de nos débats : il n’existe pas de courant constitué comme tel actuellement, et il n’est pas évident qu’il apparaisse sous cette forme distincte. Il existe par contre – bien davantage que dans le monde catholique, l’émergence d’une véritable théologie de la libération féministe... et des polarisations sociales et politiques partout manifestes.
Dans un contexte de crises et de différenciations idéologiques et sociales dans toutes les sociétés dans un univers aux enjeux mondialisés, il serait aberrant de sous estimer, dans la jeunesse, parmi les femmes de plus en plus massivement scolarisées, comme parmi les populations salariées ou paysannes pauvres du monde musulman au sens large, les raisons de se révolter “de façon croisée” à la fois contre l’impérialisme, les politiques sociales-libérales, et contre les violences d’où qu’elles viennent, dans la dignité (refusant la diabolisation de l’islam) et donc des solidarités complexes...
Paradoxalement, les camarades qui disent (à juste titre) qu’il ne faut pas établir de hiérarchie dans la lutte contre toutes les oppressisons ont un défaut d’empathie en ne tolérant pas que des musulman-e-s veuillent se battre sur plusieurs fronts à la fois, et l’afficher !
2°) Ennemi principal versus lutte contre les oppressions croisées...qui oublie l’islamophobie ?
L’insistance du regroupement F&L sur les oppressions croisées est née d’une assimilation des positions favorables aux actions avec les femmes voilées à une “thèse de l’ennemi principal” qui, au nom de l’antiracisme (ou de l’anti-impérialisme) sacrifierait le féminisme ou mettrait des bémols relativistes aux luttes contre l’homophobie pour gagner des alliés musulmans.
Telle n’était pourtant pas la position collective de la minorité abusivement présentée commme “pro-voile” de l’ex-LCR. Et dans le NPA le regroupement F&L n’a pu citer aucun texte collectif se référant à cette thèse de “l’ennemi principal” . Un seul article (signé par Hendrik Davi – et que l’on peut retrouver sur le site Europe solidaire ainsi que ses critiques par Josette Trat ou Pierre Rousset [5]) a utilisé, maladroitement selon son propre avis, cette thèse comparant divers “ni, ni”, conduisant selon lui à la paralysie politique.
Les thèses de “l’ennemi principal” ne sont pas clarificatrices. Mais elles ont été (et restent)... bien partagées ; et il faut en critiquer les défauts. Des courants “luttes de sexes”, luttes de classe”, ou encore “luttes de races”, ont respectivement parfois pensé l’oppression dénoncée en termes rigides de communautés fermées face à un “ennemi principal”. Ce sont les fausses théorisations de luttes autonomes fermées ou au contraire celles d’un pseudo universalisme qui nie les discriminations, ou d’une pseudo unité d’un prolétariat en fait masculin, blanc, hétéro... qui posent problème. L’entrée en lutte et le regard des communautés opprimées et ignorées bousculent les “fausses frontières”, trop simplement théorisées ; ou les hiérarchies qui s’avèrent sources de nouvelles oppressions interdisant les regards critiques “intérieurs” : il faut parfois se dissocier d’un parti ouvriériste perçu comme aveugle à une oppression ; se distancier d’un mouvement féministe qui oublie le social ou le racisme ; rejeter un cadre de luttes nationales qui devient “nationaliste chauvin”... chercher l’enrichissement des horizons et la convergence des luttes contre un système qui divise les opprimé-e-s pour mieux régner.
Aucune “formule” permanente ne remplace l’analyse concrète des situations concrètes – et c’est pourqoi les polémiques indifférenciées sur les “ni, ni” ne sont guère constructives (la France n’est pas le Pakistan). Mais il faut distinguer le débat sur les fronts de lutte conjoncturels (et qui peuvent être ciblés) et l’enjeu des bases programmatiques permanentes et durables de l’engagement dans un parti. Lorsqu’on organise les “Sans papiers”, on n’établit pas un front sur l’entièreté de notre programme – ce qui ne nous empêche pas de devoir combattre, comme composante de ces fronts, les comportements homophobes ou sexistes... La lutte contre la politique impérialiste et sioniste impose des fronts de résistances où s’intègre le Hezbollah ou le Hamas... Mais cela ne signifie pas un projet de société commun avec ces organisations ni donc un cadre organisé commun pour l’établir... La lutte contre la guerre ne se mène pas non plus dans les mêmes contextes et avec les mêmes données d’alliances au Liban ou au Pakistan – et les Talibans ne sont pas le Hezbollah... Je renvoie sur tous ces enjeux aux distinctions faites par Gilbert Achcar, auxquelles j’adhère, dans “marxisme et religion, hier et aujourd’hui”, d’octobre 2004 [6].
Mais on ne peut se taire – quand on se revendique de la lutte contre les oppressions croisées notamment racistes – sur l’émergence d’un nouvel “ennemi principal” (musulman) qui a fait basculer des courants se réclamant de ”l’égalité homme-femme et (de) la république sociale” comme la revue “Riposte laïque” vers la plus sordide extrème-droite raciste : le musulman y est stigmatisé avec les mêmes ressorts et images qu’hier le juif. Parallèlement, des alliances jusqu’alors taboues entre droite et Front national sont désormais envisagées : l’islamophobie est manifestement un nouveau terrain de convergence. Et partout en Europe les causes homosexuelles et féministes se découvrent de nouveaux défenseurs quant il s’agit de diaboliser l’islam. La campagne sarkozyste sur “l’identité nationale” n’a pas évité ces “dérapages”.
La lutte contre tous les racismes doit intégrer celle contre l’islamophobie, contre toutes les opérations de division et de boucs émissaires visant à détourner des luttes communes contre la casse sociale. Mais ceci impose de clarifier l’enjeu féministe et laique.
3°) Non banalisation du voile et rejet des femmes voilées versus luttes communes contre l’imposition du voile et contre son interdiction
La justification de la “non banalisation” du voile s’est réclamée de sentiments légitimes : la solidarité avec les femmes auxquelles des régimes intégristes imposent de porter le voile ; la peur des pressions religieuses poussant à des régressions de droits et libertés acquis par les femmes...
Mais le double contexte de violences intégristes et d’islamophobie accompagnées de campagnes médiatiques ciblées ont conforté l’association de l’islam tout entier à ces peurs-là : quasiment toutes les femmes victimes de violences qui ont bénéficié de campagnes les sortant de l’anonymat, avaient... un prénom musulman. C’est dire que s’il est juste de “ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima… », comme le rappelle Pierre Rousset, [7], on doit aussi questionner la finalité de ce type de campagne sélective : c’est bel et bien l’association de victimes de tous bords dans ce type de campagne, qui seule, peut éviter les silences réactifs...
Mais surtout, on ne peut omettre un “détail” : le non débat et le rejet de tout militantisme avec des femmes voilées, indépendamment de la plateforme politique mise en avant, et de ce qu’elles avaient à dire... puisque le foulard, comme le voile intégral “parlait” pour elles – ou que les personnes “libérées” qui les rejetaient “savaient” quel sens avait le voile. C’est le point essentiel de divergences lorsque les femmes concernées sont considérées soit comme mineures et soumises à un barbu, soit comme dangereuses islamistes.
C’est l’effet désastreux d’une sorte de “fétichisme” du signe, ou d’une approche “essentialiste” du voile, comme de “la” religion, indépendante des contextes et des êtres humains impliqués dans la diversité de ce qui détermine leur “choix”...
Et c’est ce qu’a impliqué concrètement “ne pas banaliser le voile”. Car tous les arguments buttent sinon sur le caractère non univoque du port du foulard, comme de tout vêtement sexué (hors religion, comme dans la religion) : aucun n’est porteur “en soi” d’une signification unique indépendemment des contextes (où on le porte) et de ce qu’en font les femmes : le même vêtement peut être imposé aux femmes, ou “choisi”, sous pressions diverses, et éventuellement à contre-courant d’un interdit ! L’oppression des femmes par et avec ce vêtement, est tout autant possible que la subversion et insoumission féministe. En outre, les vêtements sexués ne sont pas en eux mêmes signes d’oppression - pas plus que le pantalon n’est la fin de l’oppression...
Alors on nous répond, à juste titre, qu’il ne s’agit pas d’un simple d’un vêtement, mais d’une marque religieuse. Certes. Mais cela ne supprime pas davantage la diversité des dynamiques “sous” le voile et plus précisément au sein de l’islam aujourd’hui. Certes, il existe une forte tradition (pas seulement religieuse) légitimant les divisions patriarcales des tâches et des rapports de domination à partir des différences “naturelles”. Et les pratiques dominantes conservatrices du voile l’associent à un rapport de contrôle et domination du mari sur la femme. Mais au plan idéologique et politique, même cette présentation des différences physiques comme “naturelles” peut s’accompagner d’un concept de “genre” (socialement construit et analysé) – et déboucher, parmi les croyants comme en dehors de la religion, sur une critique de rapports de domination sociaux patriarcaux, l’exigence d’aide mutuelle dans les tâches, la liberté du divorce (impliquant une autonomie financière et donc le droit de travailler)...
De telles critiques des rapports de domination (à fortiori des violences faites aux femmes) se développent de façon internationale, au sein de l’islam aujourd’hui – au nom de l’islam contre les pratiques intégristes, littéralistes et patriarcales... Le développement d’un “féminisme musulman” - un phénomène désormais de plus en plus étudié bien qu’encore ignoré par certaines féministes !...) - est associé à la scolarisation massive des femmes et à leur accès croissant aux savoirs religieux. La remise en cause du monopole des hommes sur l’interprétation des sources est ainsi de plus en plus légitimée (comme en témoigne l’ouverture aux femmes des études islamiques de l’université Al-Azhar au Caire, en Egypte), en même temps que des mouvements de lutte contre des violences et inégalités pratiquées au nom de l’islam sont contestés non seulement sur des bases séculières et laïques, mais de l’intérieur de la religion (cf. Sister in islam en Malaisie) ce qui ouvre l’espace de fronts de lutte recomposés (cf.la campagne “un million de signatures” en Iran qui réunit des femmes croyantes ou pas...). Le développement de mouvements gay musulmans ne manquera pas de commencer à converger avec celui des féministes musulman-e-s dans un bouleversement des lectures du Coran où la prise en compte des savoirs acquis et de l’évolution des contextes est vécue et défendue comme forme de fidélité aux préceptes coraniques.
Mais tout cela est ignoré par des formules a-temporelles sur “les religions monothéistes” ou “le voile” disent... à l’arrière -plan de l’injonction de “ne pas banaliser le voile”. Celui-ci étant alors assimilé aux seules variantes les plus intégristes et rétrogrades, les femmes qui le portent sont ... ignorées : soit traitées en êtres mineurs et manipulés, soit à l’opposé en dangereuses militantes islamistes. Le foulard islamique est même parfois comparé à un signe nazi : “de même” qu’on jetterait hors de nos rangs un individu arborant une croix gammée, de même on devrait rejeter hors de nos rangs celles qui le portent ?
Mais l’arbre de la burqa cache aujourd’hui la forêt de ces rejets là dans l’article du regroupement “F&L” tout en perpétuant les mêmes formules : “Ce refus de banaliser le voile s’accompagne d’un rejet tout aussi clair de notre part de cette nouvelle loi contre la ’burqa’, loi de circonstance destinée à faire diversion par rapport aux remises en cause sans précédent des droits sociaux des travailleurs et chômeurs des deux sexes, qui constitue une atteinte à la liberté religieuse et à celle de circuler librement dans l’espace public. Nous sommes résolument contre mais (sic !) ce n’est pas par ce type de loi qu’on peut garantir la dignité des femmes. Ici comme à chaque fois (sic ???), il s’agit en rejetant la ségrégation des sexes dont est porteur le voile intégral, en même temps de nous opposer aux attaques gouvernementales et de mener de front notre combat féministe”.
“Comme à chaque fois ? C’est à dire à chaque fois qu’il y a port du foulard ? Ou seulement le voile intégral ? On ne le saura pas clairement puisque l’article ne revient pas sur les pratiques de rejet de filles voilées des écoles publiques, à fortiori des activités militantes (dans des collectifs ou dans l’ex-LCR)... Or, en pratique, “ne pas banaliser le voile” n’a de sens clair, malheureusement, qu’exclusif : c’est pourquoi il faut définitivement remettre en cause ce type de formule.
Par contre, il faut mettre l’accent sur les droits universels, contre les violences et les rapports de domination – sous tous les cieux et régimes... Il faut exprimer haut et clair notre solidaité avec les femmes musulmanes victimes des intégrismes – sans avoir une approche sélective des violences et régimes. C’est ce que nous proposons de voter pour le congrès, dans les amendements suivants aux motions présentées – permettant d’indiquer concrètement ce que nous rejetons, associé au foulard... mais sans basculer vers “un sens” univoque de son port.
“Nous dénonçons aussi toutes les idéologies et pratiques de contrôle par les pouvoirs patriarcaux, religieux ou athées, des choix vestimentaires des femmes.
Le voile a été utilisé sous diverses formes et à diverses époques par les trois monothéismes comme instrument de soumission des femmes et reste imposé aujourd’hui par certains régimes et courants intégristes. Nous dénonçons, avec toutes les femmes musulmanes qui revendiquent leur autonomie de choix et de jugement, y compris dans leurs pratiques religieuses, cette imposition du port du voile, avec la même vigueur que nous dénonçons le dévoilement forcé des femmes visant à donner une couleur « émancipatrice » à des politiques racistes ou néocoloniale.
Les résistances croisées à diverses oppressions subies par les femmes font que le port comme le retrait du voile sont des choix complexes pour chaque femme concernée, selon les contextes. On ne peut donc « désigner » globalement « le » sens du port du voile qui est, en dernier ressort, celui que les femmes lui donnent.”
4°) Une laïcité islamophobe ou égale pour toutes les religions
La « laïcité » est un cadre institutionnel séparant pouvoir politique et pouvoirs religieux qui en France a aussi pacifié le rapport aux religions en protégeant les libertés, notamment celles de pratiquer et d’exprimer des diverses religions. Il ne faut pas le confondre avec le « laïcisme » idéologie anti-religieuse. Je renvoie aux articles mis sur mon site [8] sur ces sujets, notamment « la laïcité n’est pas anti-religieuse », ou à ceux de Gilbert Achcar, Michael Lowy, Jean-Pierre Debourdeau et Samuel Joshua dans le numéro de la Revue Contretemps n° 12 « A quels saints se vouer » (janvier 2005) ou sur le site Europe solidaire [9].
La loi de mars 2004 a introduit une conception restrictive de la laïcité par rapport à la Loi de 1905 et à sa jurisprudence – et elle est fort loin de faire l’unanimité parmi les partisans de la laïcité, comme la Ligue des droits de l’homme ou la Ligue de l’enseignement (voir aussi le site islam & laïcité) – et ses effets sont loin d’être positifs, comme on l’a déjà évoqué. Mais rien de tout cela n’est dit par l’article du regroupement F&L qui évoque « les lois sur la laïcité qui, bien que « votées par une majorité républicaine … colonialiste et hostile au droit de vote des femmes, à la fin du XIX et au début du XXe siècle (...) représentent pour nous un acquis fondamental “...
Il est donc effectué un grand saut périlleux jusqu’au rejet de la Loi sur la burqa, sans le moindre mot sur... le nécessaire rejet de la Loi de 2004 qui, avant la loi sur la bursa, cible sans le dire toute une communauté, ouvrant les vannes à un racisme anti-musulman, et risquant fort de repousser les jeunes filles voilées vers les écoles privées (financées par l’Etat !...
Au-delà de l’école publique, les camarades omettent ce faisant de dire explicitement que le port du voile dans l’espace public n’est pas contradictoire avec la laïcité – ce que nous rappelions dans notre tribune d’avril 2010 dans TEAN :
« Nous considérons comme un acquis la séparation de l’Etat de tout pouvoir d’ingérence politique de l’Eglise et de tout clergé. Et nous nous appuyons sur la jurisprudence et l’interprétation de la laïcité produite par la Ligue des Droits de l’homme qui distingue deux sphères publiques. Celle des institutions d’Etat où devrait s’imposer la neutralité, d’une part ; et la sphère sociétale d’autre part, où la laïcité permet aux usagers et citoyens (à leurs élus, qui ne sont pas des fonctionnaires !) d’exprimer leurs convictions ou croyances en toute liberté, dans le respect des libertés publiques. C’est pourquoi dans cet espace public et politique, la visibilité du foulard n’est pas anti-laïque. »
Il n’y a pas de désaccord sur la réalité des attaques contre la laïcité venant du Pape et de courants intégristes ou relativistes qui voudraient interdire la critique des religions – ou de leurs pratiques – et la nécessité de les combattre. Mais la loi de 2004 comme celle sur la burqa sont d’autres types d’attaques de la laïcité également à dénoncer... Nous sommes condamné-e-s à lutter effectivement sur plusieurs fronts...
C’esf dans cet esprit que dans la motion 4 proposée au congrès, nous proposons d’ajouter : de même que « nous dénonçons l’instrumentalisation du thème de l’antisémitisme qui vise à interdire les critiques de la politique de l’Etat d’Israël et du sionisme », « nous dénonçons également l’instrumentalisation du thème de l’islamophobie par les courants et régimes intégristes qui veulent interdire et réprimer toute critique de leurs politiques – y compris internes à la religion. Nous sommes pour la liberté d’expression de ces critiques – donc y compris le droit au blasphème. Mais nous dénonçons l’utilisation de cette liberté dans un sens raciste et calomniateur ».
... Mais notre tâche, comme défenseurs de la laïcité, est aussi de lutter pour l’application égale des droits laïcs à l’islam, devenue deuxième religion en France et principale religion des nouvelles populations immigrées depuis les années 1970. Or, cette application égale se heurte aux phobies évoquées instrumentalisées par le pouvoir dans la France post-coloniale. Mais elle se heurte aussi à une vision de la laïcité où la religion est supposée invisible (renvoyée au seul registre de l’intimité des foyers et des cœurs)... Cette version (fausse) a été relancée évidemment contre la visibilité du foulard présentée comme anti-laïque... alors que le port de la kipa ou de la soutane est une pratique parfaitement admise, de même que de multiples associations juives, chrétiennes ou protestantes ont pignon sur rue (avec une « démocratie chrétienne » qui ne manque pas d’avoir des candidats explicitement croyants), sans parler des régimes alimentaires divers et des fêtes religieuses fériées...
Donc non seulement on présente comme anti-laïques et « islamistes » des revendications analogues et des droits de base (comme des lieux décents de prière ou des carrés musulmans dans les cimetières), mais l’ignorance de l’islam est exploitée par une « islamophobie savante » qui présente la séparation de la religion et e la politique ou la démocratie comme incompatibles avec « l’essence » de l’islam et produit de la « civilisation occidentale ». Le travail (notamment dans l’apprentissage de l’histoire) de contestation de ces présentations est de longue haleine et se heurte évidemment à l’évidence » de comportements et régimes islamistes réels présentés comme « preuve » de la thèse essentialiste.
Il faut donc parvenir à distinguer ce qui relève réellement d’un « islam politique » anti-laïque et ce qui s’inscrit au contraire dans l’application juste de droits reconnus. Nous devrons avancer sur la base des propositions concrètes, mais nous pouvons dores et déjà clarifier quelques points dans la motion 4 : « Nous soutenons les revendications religieuses musulmanes qui s’intègrent dans le cadre de l’égalité des droits et libertés protégés par la laïcité (comme d’avoir des lieux de prière et d’enterrement permettant la pratique des cultes, ou encore des associations permettant des réflexions autonomes sur les pratiques religieuses, ou encore la prise en compte des grands jours de fêtes) ; mais nous critiquons l’organisation de ces droits dans la soumission à des rapports clientélistes, sous contrôle du ministère de l’intérieur et de la diplomatie de l’Etat français »
L’erreur majeure est d’assimiler à un communautarisme fermé, pire, à des revendications intégristes, le recours à différentes sphères de socialisation, de solidarité et d’expressions culturelles ou de défense de droits dans un cadre laïque (associations d’immigrés, associations locales, associations musulmanes – comme juives ou chrétiennes...).
Alors qu’on n’hésitait pas à avoir dans les manifestations internationalistes des slogans et chants en espagnol, anglais, italien... les mots-d’ordre en arabe sont associés à des slogans religieux ou antisémites. Et « l’essentialisme » de ces peurs est indépassable tant qu’on reste incapable de « distinguer » un « barbu » d’un autre, une femme voilée d’une autre – sur des bases politiques – comme pour tout le monde, en « banalisant » le foulard, comme la barbe...
5°) Pour des mouvements socio-politiques laïques basés sur des droits égaux et des cheminements multiples vers l’émancipation
Le mouvement altermondialiste, la Marche mondiale des femmes, le syndicalisme, les partis anti-capitalistes doivent s’ouvrir radicalement à une laïcité permettant d’assumer explicitement la diversité des croyances et convictions sur la base de luttes communes pour des droits qui s’universalisent.
Certes, la question de la laïcité dans la société et dans les organisations n’est pas la même – mais c’est la base programmatique des organisations (ce pour quoi elles militent concrètement) qui est là le discriminant – à chacun-e de s’y reconnaître ou pas, quelles que soient par ailleurs ses convictions philosophiques ou religieuses.
Il est également légitime de traiter « en soi » la question du parti – dont les bases programmatiques sont supposées plus délimitées que des fronts ad hoc. Mais les frontières du « politique » et des mouvements à construire (socio-politiques) ne sont pas étanches. Donc bien des enjeux sont en fait communs. Et d’ailleurs, on n’a pas réellement assisté à la mise en avant d’un critère distinct, en pratique : malheureusement, la tendance dominante au sein des organisations syndicales (enseignantes ou autres), féministes, ou politiques a été en France, après 2003, une logique d’exclusion des femmes voilées – poussant paradoxalement (en partie) ces femmes au repli communautariste qu’on leur reproche...
Quoi qu’il en ait été, il était inévitable, dans le contexte des grands conflits internationaux notamment au Moyen Orient, et des polarisations générales face aux crises et attaques majeures, qu’une politisation tourne des femmes voilées vers les partis existants. La question est donc devenue : est-ce que l’athéisme fait partie des bases communes d’adhésion ? Aucun parti, ni association féministe, syndicale ou autre ne l’avait jusqu’alors estimé... Et l’on a un nombre de catholiques ou de juifs sûrement important dans la plupart d’entre eux, comme dans les forums sociaux mondiaux... Comme on l’a analysé, c’est en fait la montée d’une visibilité de la foi musulmane qui a été assimilée à de l’islamisme et à un danger. Et pour y faire « barrage », on a assisté de façon récurrente depuis 2003, à des amendements de textes féministes dénonçant les intégristes et affirmant la laïcité en espérant (à tort !), ce faisant, rejeter les femmes voilées adhérant aux plate-formes des mobilisations en question...
Qu’en est-il pour le NPA ? Plusieurs composantes philosophiques s’y retrouvent, pas seulement marxistes – et les marxistes n’y ont pas la même approche de la religion et de ce que devraient être les bases du parti... Je renvoie sur ce plan aux divers articles reproduits sur le site Europe-solidaire, notamment de Gilbert Achcar et Michael Lowy sur marxisme et religion [10].
Si l’on veut se limiter aux débats concernant les bases politiques (programmatiques) du NPA, les arguments développés ici en réponse au regroupement F&L s’adressent aussi aux camarades dont les convictions marxistes conduisent à prôner un parti athée (quant à ses fondements programmatiques), comme Yvan Lemaïtre ou Galia Trépère. Certes, ils estiment que le parti peut admettre des croyants – mais ceux-ci sont alors en contradiction avec les bases philosophiques anti-religieuses explicites.
La part commune de ce type d’approche et du regroupement F&L est que « la religion » comme « le voile » y sont « par essence » en quelque sorte, contradictoires avec notre programme. La conséquence logique est alors qu’il ne peut y avoir de candidat du NPA affichant sa religion (son voile)... Il faut donc un statut à deux vitesses pour les membres. Je renvoie aux réponses de Samuel Joshua à Yvan Lemaître sur le sens du « matérialisme » du parti n’englobant pas la nécessité de rejeter la croyance en Dieu.
Globalement, les tendances à exprimer (paradoxalement, quand cela s’exprime au nom du marxisme) une approche « essentialiste » et peu matérialiste historique de « la » religion font disparaître les tensions qui la traversent de tous temps, et omettent les divers mouvements de révoltes communistes et religieuses, combinant l’affirmation des individus responsables (y compris dans le baptême), la critique des pouvoirs ecclésiastiques dictatoriaux et corrompus, les aspirations au partage des « biens communs » de l’humanité, notamment dans les révoltes paysannes... Leur principal défaut est de ne pas permettre la pleine intégration, visible, et sur la base de droits égaux, des croyant-e-s dans le combat pour des droits et libertés, assortis de luttes contre toutes les discriminations et inégalités, pour l’autonomie des choix des femmes...
On peut espérer que la grande masse du parti – avec des débats qui se poursuivront au delà du congrès – adoptera un critère politique unique : la cohérence du parti est donnée par ses objectifs et méthodes. L’adhésion à son programme et donc l’insertion dans des luttes socio-politiques, devraient alors définir un statut unique pour tou-te-s ses membres, donc des droits égaux, dès lors qu’ils/elles adhèrent au programme du parti, quel que soit le cheminement philosophque, religieux ou pas, de l’engagement politique.
Dans l’article « la laïcité n’est pas anti-religieuse » je souligne également des distinctions qui peuvent s’appliquer aux bases programmatiques d’un parti anti-capitaliste et que nous avons développées dans les « dix thèses présentées collectivement pour approfondir celles de Samuel Joshuah et mises sur le site Europe Solidaire [11] :
“Le parti n’est pas athée, parce que l’athéisme n’est nécessaire ni à la définition de ses objectifs et de ses moyens, ni à l’adhésion à ces objectifs. La croyance en un Dieu créateur de l’univers n’est pas contradictoire avec nos objectifs sauf lorsqu’elle est interprétée comme l’acceptation d’un destin préétabli, d’un pouvoir de droit divin, ou de l’ordre et des inégalités existantes. Dès lors que les croyant-e-s rejettent de telles interprétations et croient en leur propre libre-arbitre, c’est l’accord sur les objectifs et moyens qu’il faut rechercher et tester concrètement. C’est cela qui importe pour établir la base programmatique du parti et pas l’athéisme.
Chaque être humain décide de ses actions en fonction d’une éthique (qu’elle ou il associe à un simple humanisme ou à sa croyance en Dieu). Elle ou il est en réalité soumis-e, qu’elle ou il soit croyant-e ou pas, à de multiples déterminants. Le parti n’a pas à sélectionner des cheminements qui conduisent à l’engagement militant, mais à se prononcer sur leur aboutissement et effet pratique. Il ne peut non plus se faire juge des consciences. Il peut simplement discuter des actes quand ceux-ci vont à l’encontre de ses principes”.
Et sur la base de critères communs, politiques, les droits doivent être égaux et le parti a tout à gagner à « montrer » sa diversité, dans la cohérence de son programme.
Catherine Samary
1er novembre 2010
Le sens de nos amendements
(Alain, Catherine, Dan, Fanny, Nora) pour avancer... Réponse au texte « Sur la fonction de nos motions » (FMNS)
Texte déposé dans le cadre du débat du congrès du NPA introduisants les « Amendements » présentés aux votes. [12]
Nous nous sommes inscrit-e-s dans une démarche d’amendements des 5 motions proposées par les camarades Fadela, Marga, Nico, Samy (FMNS). Et nous continuons à partager l’idée, rappelée par ces camarades dans le texte « De nouveau sur la fonction de nos motions » que ォ malgré la profondeur des désaccords, indéniable, il nous semble possible qu’une expression commune puisse tout de même être trouvée sur quelques points limités, mais importants » .
Les camarades disent – et c’est essentiel pour la cohérence de la démarche - que des amendements, des clarifications sont possibles sur leur motion. C’est dans cet esprit que nous les avons écrits et le processus devrait se poursuivre en commission (entre signataires des diverses motions). C’est encore dans cet esprit que nous répondons aux deux points qu’ils soulèvent.
1ー) Les camarades disent : « il faut se laisser guider par l’esprit suivant : les modifications proposées n’ont pas à se rapprocher d’une des positions de fond sur lesquelles on se prononcera de toutes manières (par ailleurs) ». Cette formulation exprime à la fois une nécessité (on ne cherche pas un pseudo consensus, personne ne doit renoncer à ses convictions...) mais comporte une vision fermée des « positions de fond » qui s’opposent. Nous dirions plutôt que « les modifications proposées doivent chercher à faire apparaître tout ce qui est commun dans ce que les un-es et les autres considèrent comme leur position de fond »... La perception ou présentation des désaccords de fond fait partie du problème sur lequel il faut avancer.
Prenons des exemples :
+ Des camarades pensent que « la religion » implique d’accepter l’ordre existant comme naturel ou voulu par Dieu. Ils pensent que c’est « marxiste » d’affirmer cela. C’est une vision non partagée y compris parmi les marxistes et que nous critiquons. Mais qu’est-ce qui compte pour les textes fondateurs du NPA et son congrès, en pratique ? Mettre en avant la raison d’être du NPA et d’une adhésion au NPA : le rejet de l’ordre existant sur Terre, et la possibilité d’inventer (par les mobilisations sociales) un autre monde... Tout cela est nécessairement partagé par les camarades croyants ou agnostiques qui adhèrent au NPA. Ils/elles sont convaincu-e-s ,en cohérence avec leur interprétation de leur religion, qu’ils/elles doivent s’engager pour transformer le monde contre toutes les injustices qui y règnent. Ils/elles adhèrent à notre programme, à partir de leur cheminement... Mais c’est bien le programme qui nous réunit et qui compte entre nous tou-te-s et non pas la Bible ou le Coran. Affirmer que le parti lutte contre « la religion » (ce que les athées peuvent partager au plan philosophique) ne fait rien avancer au plan politique... Autre chose est de dire (avec nos camarades croyant -es) que nous combattons les Eglises et pouvoirs (religieux comme athées) qui maintiennent l’ordre existant et ses rapports d’oppression – et que nous n’acceptons aucune légitimation de cet ordre comme « naturel »... C’est ce que nous avons écrit dans nos thèses sur parti et religion. Cela devrait être dans nos motions communes...
+ Notre sensibilité a été parfois présentée comme « pro-voile », ou non laïque, ou « anti-féministe » par ennemi principal antiraciste... Nous ne nous reconnaissons pas dans cette présentation de nos positions. Mais avançons : les camarades qui nous perçoivent ainsi, devraient être ravis en votant avec nous des motions prônant la lutte contre toutes les oppressions croisées (sans hiérarchie)...
+ Nous pensons que toute formulation sur « le sens » du voile est une abstraction et une impasse pour rendre compte de dynamiques contradictoires. Donc on ne sera pas d’accord là-dessus. Mais le désaccord devient gérable et on peut avancer si on explicite et clarifie certaines formulations auxquelles sont attachés les camarades « anti-voile » et présentes dans les textes du CE, et sur lesquelles on nous prête, à tord, un désaccord. Nous proposons (dans nos amendements) a) d’évoquer explicitement des circonstances et contextes où le voile a été utilisé par les trois monothéismes et reste utilisé par des courants intégristes comme instrument de soumission des femmes ; b) d’exprimer explicitement notre solidarité féministe et internationaliste contre le voile imposé et contre tous les courants intégristes... ET nous y ajoutons, pour la cohérence d’ensemble de tout le NPA, c) notre commune condamnation de l’exploitation hypocrite raciste et islamophobe des thèmes du féminisme dans la politique sarkozyste et notre commun refus d’un Etat liberticide qui stigmatise la communauté musulmane tout en pratiquant le clientélisme... Pour prendre en compte la crainte que dénoncer l’islamophobie » impliquerait interdire de critiquer les islamistes, nos amendements dénoncent autant l’instrumentalisation des thèmes de l’antisémitisme par Israël, que celle de l’islamophobie par les courants intégristes qui veulent empêcher la critique de leurs politiques et idéologies (et nous expicitons le droit au blasphème)... Lisez attentivement, et votons tout cela ensemble...
+ Les perceptions évoluent. Aujourd’hui, pratiquement tous les camarades peuvent être d’accord sur le fait que les femmes qui portent le voile y mettent des sens différents – et c’est d’ailleurs pourquoi, aujourd’hui, des femmes voilées se retrouvent au NPA... En nous appuyant sur la compréhension des oppressions croisées que vivent les femmes, il est possible de comprendre des combinaisons algébriques de choix, où le foulard exprime pour certaines un combat, une dignité dans l’affirmation d’une identité musulmane par ailleurs décriée et méprisée... mais pas une soumission aux courants intégristes, ni au patriarcat, ni à l’ordre existant... Des camarades acceptent cela. Mais pensent que le voile de nos camarades empêche le NPA d’exprimer, avec elles... tout notre programme. C’est pourquoi nous explicitons dans les motions le combat féministe et toutes les solidarités contre le voile imposé... La condition pour avancer ne peut être d’interdire le foulard, mais de mettre en avant les combats féministes, concrètement, avec les femmes voilées qui sont d’accord... les autres n’adhèreront pas au NPA...
2) Les camarades ajoutent « ce que nous proposons a tout de même deux conditions politiques qui, nous l’espérons, seront partagées par le maximum de camarades. La première est que des croyants puissent adhérer à notre parti sur la base de nos principes fondateurs et en conservant leur croyance. La deuxième est que nous confirmions le choix effectué largement au CPN de refuser d’entrer par la religion dans le combat politico-social en France aujourd’hui ».
Nous sommes évidemment d’accord sur le premier point – qui implique selon nous – et espérons-le pour tout le NPA - l’application de statuts communs, et non pas à géométrie variable, où impliquant une police des consciences...
La possibilité d’un accord sur des candidat-es explicitement croyant-es du NPA (notamment voilée), implique, à nos yeux deux types de clarifications ; celle des points évoqués plus haut, et celle du deuxième point soulevé par les camarades FMNS : « l’entrée en politique par la religion » ? Les camarades évoquent un « désaccord de Danièle » sur ce deuxième point... Pourtant, notre (re)formulation de la motion 5 après le CPN (et transmise aux camarades FMNS comme au BI de CR du CPN ) a fait apparaître justement la cause de la divergence, dépassable : la confusion (non levée par la motion 5 initiale FMNS, et c’est pourquoi nous l’amendons) entre cheminement individuel et bases programmatiques définissant le positionnement du NPA. Nous l’avons dit, celui-ci en tant que tel « ne prône » jamais une religion. Par contre les cheminements individuels... sont divers ; et ils peuvent conduire à s’impliquer dans le militantisme social et politique en le vivant subjectivement comme fidèle à ses convictions religieuses... C’est ce point que nous avons explicité dans notre motion 5 amendée – et reçue par les camarades FMNS. Pourquoi donc évoquer l’ épisode antérieur de « désaccord de Danièle » pour admettre ensuite qu’elle évoquait des cheminements individuels... C’est « figer » le débat sur des moments de désaccords dépassables et dépassé.
Enfin, sans doute dans le même ordre de confusions de « perception » ou de « présentation » des enjeux sur « l’entrée en politique », il doit être clarifié pour nous tou-te-s que soutenir des droits et libertés religieuses quand l’Etat est liberticide et stigmatise une population musulmane, ne veut pas dire « entrer en politique à partir de la religion » ni « soutenir cette religion » , ni encore adopter une démarche « communautariste » ... Nous avons aussi par nos amendements de la motion 4 également tenté de clarifier ces distinctions... pour avancer !
Les 5 avancées recherchées avec les motions FMNS ... (et leurs amendements)
Le courage d’écouter, de lire, de comprendre...
(pour appliquer aux motions FMNS des critères clairs...)
La façon dont les camarade FMNS résument le but et le sens des motions est claire à deux interrogations près qu’il devrait être totalement possible de lever d’ici le CPN de novembre – et donc le congrès..
1°) les résumés des points 1 à 4 sont clairs – mais doivent être appliqués à l’ensemble du processus de discussion des motions et de leurs amendements : ceux-ci doivent permettent à la fois de clarifier et de chercher la plus large base commune sur les objectifs indiqués – en laissant effectivement ouverts les débats qui doivent le rester... Ceci est possible dans le cadre de la commission du CPN et avant le congrès ; c’est notre état d’esprit. Nous l’appliquons aussi, bien sûr à la motion 5. Mais...
2°) la formulation du point 5 reste ambiguë – alors même que, justement les camarades FMNS estiment qu’on interprète mal leur point de vue (« de bonne ou mauvaise foi » !) – tout en « manquant de courage » (ce dont aurait témoigné l’évolution de nos amendements)... Soyons raisonnables et voyons plutôt les causes de ce débat de sourds : .
Il suffit de confronter deux passages de leur texte :
+ d’une part ils/elles s’insurgent « que tant de messages soient lancés (de bonne ou de mauvaise foi) pour reprocher à FMNS de méconnaître, de refuser, voire de combattre le fait que des personnes puissent arriver à l’anticapitalisme par la religion »... Autrement dit, il n’y aura pas de désaccord pour dire que la religion peut (dans certains cas) jouer un rôle déterminant dans l’engagement politico-social...
+ Pourtant, leur motion 5 est formulée ainsi : il faut « qu’une décision positive à ce propos nécessite que sa croyance religieuse soit sans ambiguïté secondaire comparativement à l’engagement qui est le sien dans le cadre des luttes sociales. »
N’est-ce pas exactement ... une formulation (celle de la motion) qui peut être entendue de façon contradictoire avec le commentaire précédent et donc totalement ambiguë.
Car la question revient à demander : « qu’est-ce qui compte le plus pour vous ? Votre croyance en Dieu (ou en ses prophètes, ou en la religion) ou l’engagement dans des luttes sociales » ?
+ la première interprétation d’une telle question est précisément ... quel a été/quel est votre cheminement intime ? Quelles sont les convictions sur lesquelles vous basez votre engagement militant ? Il s’agit bien du registre du cheminement de l’engagement dans des luttes – et de la diversité que soulignait Danielle. Pourquoi donc les camarades s’insurgent-ils/elles qu’on puisse avoir de leur position une telle interprétation... Mieux vaut « lire » leur propre motion et comprendre... qu’elle est ambiguë. Clarifions là...
+ deuxième interprétation : est-ce qu’un/e candidat/e doit d’abord être connu/e comme impliqué/e dans les luttes sociales ? En tant que candidat/e du NPA, il/elle doit l’être, certes, mais il/elle peut avoir, en adhérant au NPA justement suivi le cheminement évoqué précédemment, et s’être engagé/e dans des luttes sociales en l’assumant comme fidèle à ses convictions religieuses ; il/elle peut être connu/e comme tel-le...... ceci non plus devrait ne pas faire de problème, care cela rejoint le point précédent ; mais ce n’est pas explicité dans la motion – clarifions là...
+ troisième interprétation : est-ce que les candidat-es du NPA défendent dans les luttes sociales le programme du NPA (sur la lutte de classes, l’égalité hommes/femmes, le droit à l’avortement et à la contraception, la lutte contre l’homophobie... ), même s’il est combattu par des pouvoirs religieux ou semble en conflit avec les interprétations littéralistes des Textes religieux ? La réponse doit être – évidemment ! - que, dans tous les cas, un-e candidat du NPA défend le programme du NPA... et en toute logique, sil/elle adhère au NPA, en France, aujourd’hui... (en sachant quelles sont nos bases programmatiques) c’est qu’il y a compatibilité entre ses convictions religieuses intimes et ce programme ou encore entre les luttes sociales où il/elle s’engage et son interprétation de la religion ! (C’est plus difficile pour des catholiques au Brésil... Mais nous discutons de la France et du NPA. Et nous avons des camarades catholiques à qui on ne fait pas d’examen de conscience... Ils/elles déterminent, en « leur âme et conscience » leur cohérence intime. Il en vas de même pour tous les croyant-e-s musulman-e-s).
Là encore il serait absurde de poser la question d’une « priorité »... entre des registres différents. La seule chose qui doit être claire ici, est qu’un/e candidat/e NPA... est un candidat du NPA, engagé:e sur les luttes que mène le NPA... tout en pouvant être connu-e comme croyant-e, donc assumer sa cohérence propre, dans et hors le parti...
D’où notre amendement (souligné ici) de la motion 5 (déposé au CPN et versé au débat) :
« Un militant ou une militante manifestant une croyance religieuse peut, comme tous les autres adhérents-tes, postuler à la candidature pour représenter le parti lors d’élections ; dans le cadre de cette activité, il/elle ne « représente » jamais « une religion », même s’il/elle est connu/e comme croyant/e : c’est sans ambiguité au titre de candidat-e du NPA qu’il/elle est présenté/e par le parti parce qu’il/elle peut illustrer son engagement prioritaire dans les luttes sociales et locales, dans le cadre de ses activités publiques. Autre chose est le cheminement intime de son engagement où la religion peut jouer un rôle plus ou moins important.
+ Mais il y a une 4e interprétation possible des désaccords – qu’il est également nécessaire et possible de clarifier. Les camarades veulent pour preuve de notre « manque de courage » et ambiguïté – outre le débat avec Danielle qu’ils déforment, une formulation intermédiaire que nous avons retirée et qu’ils citent. C’est une mauvaise façon de débattre : il vaut mieux écouter pourquoi nous l’avons retirée : elle exprimait mal à cet endroit, et telle quelle, ce que nous avons mieux exprimé dans la motion 4 - en liaison avec nos tâches de luttes contre le racisme, l’islamophobie et les discriminations, notamment religieuses – en faveur de l’égalité des droits dans un cadre laïc... Formulé dans la motion 5, cela était interprétable (et c’est ce que vous faites !) comme une valorisation de « la religion » - ce qui n’est pas notre point de vue pour une candidature du NPA : c’est pourquoi nous avons dit explicitement a) dans les amendements de la motion 5 que nos candidat-s- ne « représentent jamais une religion », et b) dans les amendements de la motion 4 (sur le racisme) :
Se débarrasser du racisme suppose que les mobilisations et les mesures radicales contre toutes les formes de racisme, de xénophobie et les discriminations qui en découlent soient à la hauteur du poison distillé au sein de la société. Elles prendront évidemment toute leur force en permettant l’auto-organisation des populations directement discriminées – ce que nous ne confondons pas avec un « communautarisme » fermé : la sortie des ghettos sociaux imposés se fera dans la mixité des luttes pour l’égalité des droits entre tou-te-s, quelques soient le genre, la couleur de la peau, l’orientation sexuelle, la culture, la religion, le lieu de naissance, la nationalité, etc. ; et pour la reconnaissance et le respect des histoires et des apports de chacun-e.
Nous soutenons les revendications religieuses musulmanes qui s’intègrent dans le cadre de l’égalité des droits et libertés protégés par la laïcité (comme d’avoir des lieux de prière et d’enterrement permettant la pratique des cultes, ou encore des associations permettant des réflexions autonomes sur les pratiques religieuses, ou encore la prise en compte des grands jours de fêtes) ; mais nous critiquons l’organisation de ces droits dans la soumission à des rapports clientélistes, sous contrôle du ministère de l’intérieur et de la diplomatie de l’Etat français.
Il s’agit là de luttes politiques et sociales que nous (NPA), athées, agnostiques ou croyant-es pouvons et devons mener, dans les QP et globalement. Et, comme dans toute situation où nous sommes confronté-es à des minorités discriminées (sur des bases racistes ou sexuelles...) la mise en avant de candidat-e-s issues des populations discriminé-e-s fait partie de nos pratiques courantes... C’est toujours un choix collectif. C’est ce que nous avons voulu dire – et qui est exprimé dans la fin de la motion 5 par le fait que l’ensemble des candidatures à portée nationale est entériné par le CPN... Nous nous sommes contenté-e-s dans ces motions de donner des considérants, des critères généraux, applicables à tou-te-s nos membres...
Nous devons pouvoir nous mettre d’accord très largement, là dessus.