Médias, experts et gouvernants, qui ne cachaient plus leurs inquiétudes, ont soudain entonné le même refrain : la crise sociale est terminée, l’ordre règne. Le gouvernement est tellement pressé d’annoncer la fin de la pénurie d’essence qu’il rate aussi cette séquence. En communiquant à outrance sur « le retour à la normale » alors que les automobilistes constatent le contraire, il est, sur ce terrain aussi, pris en flagrant délit de mensonge. Mais c’est une habitude.
Les ministres affichent un soulagement forcé, ils multiplient les déclarations sur « la fin du mouvement », « le ralentissement significatif de la mobilisation », la « sortie de crise ». Au soir de la journée de mobilisation du 28 octobre, ils roulent des épaules, genre « même pas mal ».
La loi a été adoptée les 26 et 27 octobre successivement par le Sénat et l’Assemblée nationale, elle doit être promulguée par Sarkozy à la mi-novembre après avis du Conseil constitutionnel. Au strict plan institutionnel, le gouvernement aurait réussi, il a sa loi, il a le passage à 62 et 67 ans, la négation de la pénibilité, un recul social significatif. Pourtant les déclarations restent prudentes, comme si les membres du gouvernement n’étaient pas pleinement convaincus d’avoir gagné.
Le gouvernement a fait le choix de l’affrontement ouvert en présentant son projet détaillé le 16 juin et en laissant jusqu’au 18 aux syndicats pour faire part de leurs remarques. On connaît la suite : passage en force, calendrier extrêmement serré, présentation de la loi au Conseil des ministres le 13 juillet, vote à l’Assemblée nationale le 15 septembre et au Sénat le 22 octobre. Ce choix peut s’avérer coûteux ! C’est lui qui a fourni le ciment de l’unité syndicale en fermant toutes les portes du « dialogue social », au grand regret d’un Chérèque qui se plaint d’avoir « fait des ouvertures grandes comme ça », méprisées par le pouvoir.
C’est d’ailleurs le même Chérèque qui a ouvert le bal du retour de la négociation, en réclamant à Laurence Parisot, présidente du Medef « qu’on ouvre une négociation entre le patronat et les organisations syndicales sur l’emploi des jeunes et des seniors ». Faussement étonnée, elle accepte immédiatement : « Ce serait une bonne façon de passer à autre chose […] Je suis d’accord pour qu’on ouvre une délibération sociale, pour voir si on peut [...] commencer à travailler ensemble ». Éric Woerth, qui n’attendait que ça, s’empresse de surenchérir : « c’est une très bonne chose qu’on puisse négocier sur l’emploi des jeunes et des seniors car c’est une des plaies françaises d’avoir un emploi des seniors plutôt plus faible qu’ailleurs et en même temps un emploi des jeunes plus faibles qu’ailleurs ». Et Christine Lagarde de se féliciter : « Je salue à la fois le retour de la raison et du dialogue ». Le dialogue après la répression...
Le pouvoir mesure néanmoins que nous sommes passés bien près d’une crise sociale et politique qui aurait pu lui être fatale. Malgré ses rodomontades, il sait aussi que les choses ne sont pas terminées et que le mouvement peut continuer, rebondir, et rester dangereux.
Les déclarations de Woerth sont assez significatives, il prend la précaution de déclarer « cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’inquiétudes, ça nous appelle je pense à un renforcement de l’explication », et d’ajouter qu’il faudra « continuer dans les mois qui viennent à réexpliquer pourquoi on doit transformer nos régimes sociaux, surtout celui-là, pour mieux les protéger ». Il y a un zeste de « ni vainqueur ni vaincu » dans cette affaire. Et Borloo peut prévoir des centaines de Grenelle, il ne pourra faire oublier la colère que les salariés unis ont exprimée et expriment encore. La crise économique qui se poursuit impliquera d’autres attaques. Le gouvernement, qui voulait démontrer sa détermination pour flatter les marchés financiers, s’est attiré les critiques de ses pairs européens, et la confiance dans ses capacités à porter les prochains coups est aujourd’hui quelque peu ébranlée.
Christine Poupin
À L’ASSEMBLÉE OU AU SÉNAT, MÊME VOTÉE, ON NE LÂCHERA RIEN !
Le gouvernement veut absolument faire taire la contestation en prétendant que la mobilisation est finie. Nous lui démontrerons le contraire.
La contre-réforme sur les retraites a donc été votée par les deux assemblées contre l’avis de millions de manifestants et d’une large majorité de la population. Au cœur du plan d’austérité du gouvernement pour faire payer leur crise à la majorité de la population, cette loi – allongeant l’âge légal du départ à la retraite et la durée de cotisation en particulier – ne règle rien sur le fond, comme l’a démontré en mai dernier le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) et comme l’ont bien compris les millions de manifestants. Ce n’est qu’un prétexte pour baisser de nouveau drastiquement le montant des pensions et faire la part belle aux assurances privées. Pire, un des amendements voté par le Sénat et maintenu dans le texte final, saisit le comité de pilotage des régimes de retraites pour qu’il élabore un rapport au premier semestre 2013 sur la mise en place d’une réforme systémique, programmant ainsi une nouvelle régression sociale. C’est donc une belle arnaque et un véritable coup de force de la part du gouvernement.
Au matin de la journée de manifestations et de grèves du 28 octobre dernier, ministres et commentateurs en tout genre étaient unanimes pour enterrer, une fois de plus, le mouvement. Ils ont tous annoncé l’essoufflement, la fin de la mobilisation, alors que la journée a réuni 2 millions de manifestants en pleine période de vacances scolaires, avec des cortèges très dynamiques et aussi combatifs que les journées précédentes. C’était donc loin, très loin d’être un échec. Au contraire, cette nouvelle journée a démontré une fois de plus l’enracinement du mouvement, le refus de cette loi sur les retraites mais aussi de toute la politique de Sarkozy faite sur mesure pour le patronat et les plus riches. À travers ce mouvement, les salariés du privé comme du public, les jeunes, les retraités refusent également les licenciements, les suppressions d’emplois, la montée du chômage et de la précarité, les mauvaises conditions de travail, les salaires toujours plus bas mais aussi tout le volet raciste et sécuritaire de ce gouvernement qui n’a toujours pas saisi la profondeur du mécontentement que suscite sa politique arrogante.
Après le vote, le gouvernement veut siffler la fin de la mobilisation. On nous explique sur tous les tons et sur toutes les ondes que désormais la loi est votée, que nous ne pouvons plus nous y opposer et même que continuer à refuser une « loi de la république » serait « antidémocratique ». Une démocratie serait donc pour Sarkozy et sa clique d’imposer une régression sociale contre la volonté de ceux et celles qu’elle concerne ? En tout cas, la détermination est toujours là. Et les semaines qui viennent de s’écouler durant lesquelles se sont tissés des liens entre salariés de différents secteurs, par des actions locales en tous genres, comme des blocages, des actions collectives, des assemblées générales, et où s’est développé un tissu militant important et motivé, seront difficilement évincées par un simple vote.
Il est vrai que dans la semaine qui vient de s’écouler, la grève reconductible a été suspendue dans de nombreux secteurs, en particulier dans le nettoiement à Marseille, la SNCF et les raffineries, marquant une pause dans la mobilisation telle qu’elle existait jusqu’à présent. Mais des poches de résistance perdurent comme chez les agents territoriaux en région parisienne ou encore dans les déchetteries où les salariés sont en grève pour leurs salaires et leur conditions de travail. D’ores et déjà, il est prévu avant même la nouvelle journée de manifestation du 6 novembre, dans de nombreuses villes, des manifestations, des rassemblements à l’initiative des étudiants en lien avec d’autres secteurs. Le mouvement peut rebondir sous d’autres formes, d’autres luttes. Nous sommes nombreux à savoir que la solution à nos problèmes n’est pas la perspective d’un gouvernement de la gauche plurielle en 2012, avec à sa tête un Parti socialiste qui vote à l’Assemblée nationale l’allongement de la durée de cotisation ou qui réquisitionne les employés communaux grévistes à Marseille, avec cette « gauche » qui, quand elle est majoritaire, mène de fait des politiques de droite comme le font, en Europe, leurs amis de Grèce ou d’Espagne. C’est dans nos luttes que se forgeront les forces capables de faire payer la crise à ceux qui l’ont provoquée, capables de remettre en cause le capitalisme.
En relevant la tête, en gagnant la bataille de l’opinion contre la propagande des classes dirigeantes, nous avons déjà marqué des points.
Sandra Demarcq