Le processus de succession de Kim Jong-il par son fils, Kim Jong-un, a été officialisé, le 10 octobre, lors des cérémonies du 65e anniversaire de la fondation du Parti du travail. Que peut-on attendre de cette anachronique poursuite d’une « dynastie communiste » qui débuta avec la succession du « père de la nation », Kim Il-sung (1912-1994), par son fils Kim Jong-il et se perpétue le petit-fils ?
Apparemment remis de l’attaque cérébrale dont il a été victime, à l’été 2008, mais affaibli, Kim Jong-il, qui détient les rênes d’un pouvoir absolu, met progressivement en place une direction plus collégiale, avec la promotion de membres de sa famille - tels sa soeur Kim Kyong-hui et le mari de celle-ci, Chang Song-taek - ainsi que des fidèles comme le maréchal Ri Yong-ho, chef d’état-major. Adoubé par l’armée et le parti, Kim Jong-un devra cependant être crédité d’une réussite pour être pleinement accepté.
Les analystes à Séoul retiennent trois scénarios. 1 - La succession s’opère sans anicroche : Kim Jong-un apparaîtra comme la figure de la continuité de la lignée des Kim au sein d’une direction « moins autocratique », estime Rüdiger Frank, expert de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) à l’université de Vienne. 2 - Le processus de succession est contesté de l’intérieur et des clans rivalisent pour le pouvoir, risquant de favoriser des ingérences étrangères. 3 - La transmission du pouvoir déraille, entamant le contrôle du régime sur la population et le pays sombre dans le chaos, voire une guerre civile, appelant une intervention extérieure.
La plupart des experts de la RPDC privilégient, pour l’instant, le premier scénario. Une lutte de pouvoir semble peu probable : l’élite a intérêt à maintenir la stabilité du pays et à serrer les rangs. « La disparition de Kim Jong-il peut changer la donne en ravivant de vieilles rivalités... », avance néanmoins Andrei Lankov, de l’université Kookmin, à Séoul. Un effondrement du régime (troisième scénario) ne semble guère vraisemblable en l’absence de toute opposition ou dissidence organisée.
Le premier scénario présente des analogies avec celui qui permit à Kim Jong-il de succéder à Kim Il-sung : dans les deux cas, l’élite a craint une guerre de succession. Au prix d’accepter un renforcement de l’« Etat dynastique » ? Selon l’anthropologue Heonik Kwon (London School of Economics), aux yeux des Coréens du Nord, nourris de l’idéologie du régime, la succession héréditaire s’enracine dans le nationalisme né en réaction au colonialisme japonais (1910-1945) dont la famille Kim est l’incarnation, détentrice à ce titre de l’identité nationale. Dans un pays refermé sur lui-même comme l’est la RPDC, coupé de toutes autres références et entretenu dans la mentalité d’assiégé, le patriotisme cristallise l’adhésion populaire.
Mais les deux successions se situent dans des contextes différents. Kim Jong-il exerça le pouvoir dans l’ombre de son père pendant vingt ans avant d’y accéder. A 27 ans, Kim Jong-un aura peu de temps pour asseoir son autorité. En outre, sous un carcan en surface inchangé, la société nord-coréenne a évolué : l’économie parallèle, l’entrouverture à la Chine par le commerce légal et illégal ont entamé le contrôle sur la circulation des informations et, jusqu’à un certain point, les mécanismes coercitifs. Souffrant de graves pénuries et objet de sanctions internationales renforcées, la RPDC est plus dépendante de la Chine. Dégager le pays de l’ornière économique est la condition impérative d’un transfert sans heurt du pouvoir. Kim Jong-il a promis qu’en 2012, centième anniversaire de la naissance de Kim Il-sung, la RPDC sera un « pays fort et prospère ». Tenir cet engagement suppose de la dégager de son isolement actuel.
Pour la droite sud-coréenne, Pyongyang pourrait se livrer à des provocations comme lorsque Kim Jong-il fut désigné successeur : attentats à Rangoun contre le cabinet sud-coréen (1983) puis à bord d’un avion de Korean Air (1987). Mais les experts de la RPDC, à Séoul, voient en Kim Jong-un un homme plus ouvert aux réalités extérieures et à « une évolution du régime sur le modèle chinois, impérativement recommandée par Pékin », avance Cheong Seong-chang, de l’Institut Sejong, à Séoul.
Le processus de succession, qui tend à garantir la continuité du régime en cas d’incapacité de Kim Jong-il, pourrait peser sur le jeu diplomatique. Jusqu’à présent, l’administration Obama a joué avec Pyongyang la carte de l’attentisme. « En recevant Kim Jong-il pour la seconde fois en six mois, Pékin a manifesté un soutien entier à Pyongyang. Les Etats-Unis doivent en tirer les conséquences », commente Paik Hak-soon, de l’Institut Sejong. « La politique américaine de sanctions est peu efficace et un retour au dialogue doit être pris en considération », écrivait dans l’International Herald Tribune Donald Gregg, ancien ambassadeur américain à Séoul. « Pour consolider la transition, estime Hitoshi Tanaka, ancien vice-ministre des affaires étrangères japonais, président de l’Institut de stratégie internationale à Tokyo, Kim Jong-il a besoin de l’extérieur et il faut s’attendre à des ouvertures de Pyongyang. »
Philippe Pons (Correspondant à Tokyo)