BERLIN, CORRESPONDANT - Le convoi nucléaire parti de la gare de Valognes (Manche) vendredi est donc arrivé à sa destination finale, le centre de stockage allemand de Gorleben, mardi 9 novembre. A priori, les dizaines de milliers de manifestants allemands ont perdu la partie face aux 20 000 policiers exceptionnellement mobilisés pour la circonstance.
Pourtant, en Allemagne, le gouvernement se garde bien de crier victoire. Au contraire, ce sont les organisateurs du mouvement écologiste qui se félicitent d’une mobilisation militante exceptionnelle.
Ce week-end durant lequel des milliers de personnes ont retardé le train, notamment en s’enchaînant sur les voies ferrées, constitue une date importante pour le mouvement nucléaire allemand qui n’en pourtant manque pas. Dans ce pays où le mouvement associatif est puissant et organisé, cela fait trente-cinq ans que la lutte contre le nucléaire mobilise une partie de la population.
AMPLEUR NATIONALE
Le combat fondateur eut lieu à Wyhl, une commune du Bade-Wurtemberg où le gouvernement avait projeté, en 1973, de construire une centrale nucléaire. Après une première occupation à laquelle les forces de l’ordre mirent fin au bout de 48 heures seulement, les militants écologistes reprirent possession des lieux et y campèrent huit mois durant : de février à octobre 1975. Le combat nucléaire qui, jusque là n’avait qu’une importance régionale prit une ampleur nationale. Malgré une décision de justice en faveur de la construction de la centrale, celle-ci ne vit jamais le jour.
Fort de ce succès, les anti-nucléaires tentèrent deux ans plus tard de s’opposer à deux autres centrales : celle de Brokdorf et au surgénérateur de Kalkar construit par l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique. En 1977, entre 50 000 et 60 000 personnes se mobilisèrent contre chacun de ces deux projets.
Si la centrale de Brokdorf fut reliée au réseau électrique en 1986, le surgénérateur de Kalkar qui rencontra de multiples déconvenues techniques fut abandonné et transformé en 1995 en parc de loisirs !
En 1979, trois jours après l’accident de la centrale américaine de Three Mile Island qui entraîna l’évacuation de 200 000 personnes, Hanovre connut le plus grand rassemblement anti-nucléaire jamais organisé jusqu’alors en Allemagne : 100 000 personnes protestèrent contre la construction d’un centre de stockage à… Gorleben. Cette petite localité alors située aux confins de la RDA (de l’autre côté de l’Elbe) devient rapidement un symbole du mouvement anti-nucléaire.
En mars 1980, un campement y fut organisée et l’« Etat libre du Wendland » proclamé. Mais en septembre 1982, le gouvernement siffla la fin de la partie. Néanmoins, le mouvement Vert était lancé. Hétéroclite au cours de la décennie précédente et non représenté au Bundestag, celui-ci s’est peu à peu structuré et eut ses premiers députés en 1983.
IMPORTANTS DÉBATS
La catastrophe de Tchernobyl en avril 1986 (qui traumatise encore les Allemands) allait achever de crédibiliser le mouvement anti-nucléaire. Quelques mois plus tard, –et après une manifestation à l’issue de laquelle un militant fut tué – le gouvernement renonce à construire une usine de retraitement à Wackersdorf.
Depuis les années 1990, le mouvement anti-nucléaire concentre son combat sur les transports de déchets nucléaires.
L’énergie nucléaire est un sujet qui continue de provoquer d’importants débats en Allemagne. En décidant en septembre de prolonger de douze ans en moyenne l’activité des dix-sept centrales nucléaires que le gouvernement de gauche avait, en 2003, décidé de fermer au plus tard en 2022, Angela Merkel a choisi d’affronter l’impopularité. 59 % des Allemands sont hostiles à cette prolongation, 37 % y sont favorables et 4 % seulement n’ont pas d’opinion (sondage Infratest).
Le parti des Grünen a le vent en poupe. Aujourd’hui 22 % à 25 % des Allemands se disent prêts à voter pour lui. D’ailleurs, lors de l’occupation de la voie ferrée qui mène à Gorleben, on a vu ce week-end des policiers prendre en photo Claudia Roth, la populaire présidente du parti Vert, présente sur place durant tout le mouvement.
Frédéric Lemaître