Sur l’ensemble des trois chaînes qui diffusaient cet entretien, 12,2 millions de téléspectateurs ont écouté Nicolas Sarkozy. Et constaté que quasiment jamais le chef de l’Etat ne fut mis en difficulté par les questions qui lui étaient posées. Tout au contraire, c’est lui qui donnait le sentiment de mener l’entretien, proférant çà et là plusieurs erreurs jamais relevées, n’hésitant pas à manifester son désaccord avec le contenu de certaines questions - « Claire Chazal, je respecte votre opinion, mais permettez-moi de ne pas être d’accord. »
Ayant pris l’ascendant sur les journalistes - à vrai dire, seul David Pujadas faisait le boulot, ses deux confrères se contentant le plus souvent de simples relances -, Nicolas Sarkozy entreprit, expressis verbis, une véritable entreprise de déstabilisation consistant à faire la leçon à ses intervieweurs. Les Roms ? « Vous créez vous-mêmes, les médias, des situations de stigmatisation. » A écouter Nicolas Sarkozy, le climat nauséabond qui régnait cet été était d’abord le fait de « 20 heures » avides de faits divers mettant en cause des « gens du voyage » et prétendument significatifs de l’insécurité qui régnerait en France. Tout de même, insista pour une fois Mme Chazal, la Commission européenne elle-même critiqua votre gouvernement du fait de son attitude envers les Roms. « Oui ou non, Mme Chazal, la Commission a-t-elle dit que ce qu’a fait la France est légal ? Oui ou non ? » Une seconde de silence, Nicolas Sarkozy qui insiste : « Je n’ai pas entendu votre réponse », et Claire Chazal, d’une petite voix à la manière de l’élève qui sait qu’elle n’a plus qu’à aller au piquet : « Sans doute, oui, bien sûr. »
Il y eut aussi un échange avec Michel Denisot : « Vous me prêtez une intelligence normale, moyenne ? », demanda le chef de l’Etat. « Au dessus », assura, goguenard, le présentateur du « Grand Journal », bien plus à l’aise lorsqu’il assiste au « Petit Journal » de Yann Barthès (très drôle, son décryptage, hier soir, de l’intervention du chef de l’Etat) que lorsqu’il lui revient d’interroger Nicolas Sarkozy.
On l’a dit, ce dispositif monarchique est non seulement désuet, mais il est inefficace. Fin connaisseur des codes de la télévision, Nicolas Sarkozy est bien meilleur lorsqu’il est interrogé par des journalistes pugnaces et compétents. Dommage qu’il n’en tienne pas compte.
Franck Nouchi (Chronique)
* Article paru dans le Monde, édition du 19.11.10. | 18.11.10 | 14h25.
La tentation des spaghettis
A l’heure d’Internet et du câble, mobiliser trois chaînes pour diffuser une intervention télévisée du chef de l’Etat a un petit côté suranné qui fleure bon sa Ve République. Le président parlait, ses sujets étaient instamment priés de l’écouter. Dans le cas contraire, il leur restait la possibilité de regarder « Les imitateurs font leur show » sur France 3 et « L’espoir de l’année » sur M6. Tout un programme.
Blague à part, hier soir, pour qui saturait après l’interminable feuilleton du remaniement, ne restait plus qu’une solution : faire la cuisine. Des pâtes, par exemple, après avoir lu le premier numéro du magazine Zeste. Fort bien fait, tout ce que vous avez voulu savoir sur l’art et la manière de cuisiner les spaghettis. DSK devrait apprécier, lui qui, lundi matin 15 novembre sur France Inter, ne sachant plus comment ne pas répondre à « la » question, eut cette réponse : « Les statuts du FMI ne m’interdisent pas de dire des tas de choses, et pourtant je ne les dis pas. Ils ne m’interdisent pas de dire que j’adore les pâtes à la sauce tomate, et pourtant je ne le vous dis pas. »
Il existerait donc une tentation des spaghettis, un peu comme la fameuse Tentation de Venise décrite par Alain Juppé dans un de ses ouvrages (Grasset, 1993). C’était l’époque où l’ancien premier ministre jurait, croix de bois, croix de fer, qu’on ne l’y reprendrait plus à déguster de la politique. Finalement, la politique, c’est comme les pâtes : on y revient toujours. Al dente, de préférence.
Samedi soir 13 novembre, sur le plateau d’« On n’est pas couché », Stéphane Guillon demandait à Dominique de Villepin s’il avait trouvé drôle la phrase de François Fillon à son propos : « J’ai un beau setter irlandais. Il est grand, beau et complètement fou. » La réponse vaut son pesant de spaghettis : « J’ai tout d’abord réagi en me disant que c’était affectueux. Puis s’est télescopée une autre histoire. Le matin du résultat de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy m’appelle et me dit : »Je viens prendre un petit déjeuner avec vous à Matignon« . Il débarque, il a toujours eu le goût de débarquer (...), et me dit : »Ça y est, j’ai formé mon gouvernement. Je vais choisir François Fillon comme premier ministre. Pourquoi ? J’ai beaucoup réfléchi, j’ai eu un chien, un labrador. Ce labrador était violent, méchant, et je suis arrivé à la conclusion qu’il ne fallait jamais mettre - et là il me regarde en face - deux mâles dominants dans la même pièce.« Je lui ai alors dit : »Mais qu’est-ce que vous avez fait avec le labrador ?« Là, il me regarde - ce n’était pas vraiment un croc de boucher que j’ai vu se dessiner dans ses yeux - et il me dit : »Je l’ai fait piquer.« »« Au fond, conclut M. de Villepin, François Fillon a eu l’humanité de trouver son chien stupide, mais de l’aimer quand même. » Les responsables politiques sont des grands fauves.
Franck Nouchi (Chronique)
* Article paru dans le Monde, édition du 18.11.10. | 17.11.10 | 14h25 • Mis à jour le 17.11.10 | 14h25.