Décembre 2005, Mumtaz Mai et son fils de huit ans, Nadeem, ont été vendus 70 000 roupies (l’équivalent de 985 euros) par un propriétaire de four à briques de Multan à l’un de ses collègues basé à Dera Ismail Khan. Comme tant d’autres travailleurs pakistanais, Mumtaz et Nadeem ont été vendus tels des marchandises car ils étaient dans l’incapacité de rembourser la dette de 65 000 roupies contractée auprès de leur propriétaire. L’adoption en 1992 par l’Assemblée nationale de la loi sur l’abolition du système des travailleurs « liés » aurait dû faire disparaître cette pratique féodale, mais on constate aujourd’hui que de nombreuses associations pakistanaises se battent encore quotidiennement contre ce fléau.
Plus de dix ans pour que le travail forcé soit réellement illégal
Le principe de cette forme de servitude à la dette appelée « travail lié » est aussi simple que cruel : les propriétaires profitent de la pauvreté et de l’analphabétisme de ces « haris », nom donné aux travailleurs « liés » dans les campagnes, pour leur proposer des prêts financiers soumis à des taux d’intérêt très élevés. Ces travailleurs qui ne savent ni lire ni écrire ne comprennent pas l’impact d’un tel contrat et se retrouvent alors « liés » à vie à leurs créanciers souvent mal intentionnés. Ces ouvriers ne peuvent en effet jamais rembourser leur emprunt et ils se retrouvent contraints de le « léguer » à leurs enfants. Cet « héritage » est souvent dû au fait que la transaction n’est volontairement pas enregistrée et que les ouvriers ne reçoivent aucun reçu contre les paiements effectués. Et leur parole n’a que peu de valeur face à celle de riches propriétaires ...
D’après une enquête de l’Association pakistanaise pour la protection des droits de l’enfance (SPARC - www.sparcpk.org) conduite en collaboration avec l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le nombre de travailleurs « liés » dans le secteur des fours à briques (4 000 fours au Pakistan) pourrait s’élever à un million de personnes. Quant à l’organisation PILER (www.piler.org.pk), très reconnue pour les rapports et enquêtes qu’elle a produits et diffusés sur la question des travailleurs « liés », elle a identifié les principaux secteurs où le travail forcé fait des ravages, à savoir la construction, l’agriculture, le tissage de tapis, la tannerie, les fours à briques, le travail domestique, le travail dans les carrières ou encore la mendicité. PILER a également effectué un important travail au niveau national en permettant la mise en relation de très nombreux acteurs qui travaillent autour de cette problématique.
Une détermination des acteurs locaux qui se retrouve fréquemment confrontée à la passivité du gouvernement : les procédures de mise en application des décisions gouvernementales sont souvent longues et les hommes politiques ne s’appliquent guère à les faire respecter. Il aura fallu attendre plus de dix ans et l’intervention d’Omar Asghar Khan, grand défenseur des droits des travailleurs, des femmes, des paysans (il est notamment le fondateur de la fondation SUNGI - www.sungi.org), devenu ministre fédéral, pour que le gouvernement prenne réellement en considération la décision de 1989 de la Cour suprême sur l’illégalité du travail forcé. En 2001, une politique nationale sur le travail « lié » est finalement formulée et un plan d’action est mis en place, qui exige de chaque province qu’elle constitue des comités de vigilance.
Les associations sur le front juridique
Le rôle des associations locales qui se battent quotidiennement sur le terrain, parmi lesquelles la commission des droits de l’homme au Pakistan (HCRP - www.hrcp-web.org) qui est très active auprès des familles de travailleurs « liés », est fondamental. Leur intervention se traduit par l’identification des secteurs les plus touchés par ce phénomène d’esclavage, le recensement par région des familles de travailleurs liés, le soutien juridique pour sortir de cette situation, l’aide dans les démarches de réhabilitation, le suivi psychologique des familles, le lobbying auprès du gouvernement pour que les mesures prises pour la protection des droits des travailleurs soient appliquées, etc. Les actions concrètes ne manquent pas et même si la tâche est rude, elles finissent par payer.
Ainsi en février dernier Ghulam Hussain, président de l’organisation Green Development qui travaille pour l’abolition du travail « lié » dans plusieurs zones de la province du Sindh, a déclaré au journal pakistanais Daily Times que sur le 1,2 million d’ouvriers « liés » dénombrés dans la province, 50 000 personnes avaient été libérées grâce aux efforts menés dans le secteur social. Kamran Ahmad, président de Mehergarh (http://mehergarh.com) , autre association qui se bat contre le travail forcé, est convaincu du bien-fondé de son action : « Nous croyons que les gens ont le courage et la détermination de faire face à leurs problèmes. S’ils sont soutenus et que leurs démarches judiciaires sont facilitées, ils peuvent finalement trouver des solutions innovantes et justes à leurs problèmes. »
Le combat s’annonce encore très long et laborieux face à l’ampleur de ce fléau qui touche le Pakistan mais également bien d’autres pays comme notamment l’Inde. De plus, le manque de volonté et d’enthousiasme de certains propriétaires ou hommes politiques limite l’évolution rapide de la situation de ces travailleurs « liés » et plus largement le changement des mentalités. Néanmoins, grâce à la pression de ces associations et d’infatigables militants pour les droits des travailleurs, plusieurs milliers de familles ont été libérées durant les quinze dernières années. Autant de vies sauvées de l’esclavage moderne, de la pauvreté et de l’endettement à vie.
Comité de rédaction : Frères des Hommes
Sources : Daily Times, Dawn.