Le projet de « loi d’orientation et de programmation pour la performance de
la sécurité intérieure » (dite « LOPPSI 2 ») sera examiné la semaine prochaine
en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Les organisations membres et
partenaires du Collectif Liberté Egalité Justice (CLEJ), inquiètes de l’absence
de réel débat concernant ce texte, tiennent à alerter les citoyens sur les
dérives dont il est porteur, qui mettent en péril les équilibres démocratiques
de notre pays.
Ce projet de loi se présente comme un agrégat hétéroclite de dispositions
techniques qui justifie le terme, désormais consacré, de « fourre-tout
législatif ». L’illisibilité qui résulte de cet assemblage a pour effet d’évincer les
débats parlementaires et publics, en empêchant les différents acteurs de
prendre le recul suffisant pour discuter des grandes orientations qui s’en
dégagent. Or, ce texte révèle une ligne politique particulièrement
inquiétante : fichage, surveillance, contrôle, enfermement ! Les nouvelles
valeurs que le gouvernement veut imposer à la société seraient-elles :
répression, exclusion, stigmatisation, suspicion ?
La LOPPSI 2 relaie un discours politique belliqueux qui utilise la figure du
délinquant pour entretenir le fantasme de l’ennemi intérieur et qui assimile,
corrélativement, tout acte de délinquance à une atteinte à l’Etat. Au nom de
la protection de la société contre ses « ennemis », les mesures dérogatoires
au droit commun sont sur le point de devenir la norme, la surveillance et le
contrôle social s’étendent et l’objectif de réinsertion assigné à chaque peine
disparaît.
Cet énième fatras sécuritaire prévoit d’abord d’étendre considérablement les
dispositifs de fichage et de vidéosurveillance (désormais appelée
« vidéoprotection »). Non contente de reconduire les fichiers de police et de
gendarmerie actuels (STIC et JUDEX) – pourtant détournés de leurs objectifs
initiaux, truffés d’erreurs, incontrôlables et, de fait, incontrôlés – la majorité
UMP s’apprête à les interconnecter et à les étendre. Les données relatives à
un suspect innocenté ne seront pas systématiquement effacées : pourront
donc être maintenues dans ces fichiers dits « d’antécédents » des personnes
qui, en réalité, n’en auront pas ! De même, alors que les pays anglo-saxons
reviennent sur le dogme coûteux de son efficacité, en France l’objectif est
d’accroître au maximum l’espionnage de l’espace public : les autorités
pourront placer des dispositifs de vidéosurveillance pratiquement partout sur
la voie publique ; toutes les entreprises privées pourront installer des caméras
aux abords de leurs établissements ; les préfets pourront faire de même le
long du parcours des manifestations.
Il est particulièrement inquiétant d’entendre, en marge des discussions sur
cette banalisation de la surveillance et du fichage, des membres du
gouvernement affirmer que seuls ceux qui ont quelque-chose à se reprocher
ont quelque-chose à craindre. Un tel discours, qui supprime la distance entre
l’autorité de l’Etat et la conscience individuelle, est particulièrement malsain.
Nous pensons à l’inverse que nous avons toutes et tous à craindre de cette
extension du contrôle social car elle contribuera, demain, à réduire encore nos
droits et nos libertés.
Le projet comporte aussi, bien sûr, un imposant volet répressif. Ainsi, en
guise de « réponse » aux difficultés de certaines familles, ses rédacteurs ont
imaginé un « couvre-feu » pour les mineurs de moins de 13 ans – qui ne
manquera pas d’engendrer des contrôles abusifs, un nouveau « contrat de
responsabilité parentale » – qui renforcera la marginalisation de certains
parents – et une procédure proche de la comparution immédiate devant le
tribunal pour enfants – qui achèvera d’aligner la justice des mineurs sur celle
des majeurs, devançant ainsi le débat public sur la réforme prévue de
l’ordonnance de 45. La création d’un délit de « vente à la sauvette », le surdurcissement des peines pour les auteurs d’agressions ou de cambriolages à
l’encontre de personnes âgées, l’introduction de confiscations automatiques
en matière routière, l’invention de peines-planchers dès la première infraction,
l’élargissement de la période de sûreté de 30 ans de réclusion à de nouveaux
crimes ou encore l’extension des possibilités de placement sous surveillance
électronique après l’exécution de la peine complètent ce sombre tableau d’un
droit pénal transformé en outil de communication politique au péril de nos
principes, de nos libertés et du simple sens de la réalité.
L’Etat abandonne certaines de ses missions régaliennes : augmentation des
pouvoirs de la police municipale ; création d’une milice policière baptisée
« réserve civile » ; instauration d’un vague « Conseil national des activités
privées de sécurité » qui entérine et annonce la privatisation croissante de la
sécurité ; possibilité pour les agents des transports en commun d’expulser
des voyageurs par la force.
Enfin, ce projet confie à l’autorité administrative de nouveaux pouvoirs
d’atteinte aux libertés individuelles en dehors de tout contrôle judiciaire :
filtrage des sites internet, dépistages contraints, expulsion en 48h des
occupants d’habitations hors normes – tels que campements, bidonvilles,
mobil-homes, maisons sans permis de construire ou habitats choisis (yourtes,
tipis, cabanes...) – et leur destruction.
L’idéologie primaire et dangereuse qui a présidé à l’élaboration de ce texte
n’est pas nouvelle. La LOPSI, la loi Perben, la loi sur la sécurité intérieure, la loi
Perben 2, la loi sur la « prévention » de la délinquance, la loi sur la récidive, la
loi sur les peines-planchers, la loi sur la rétention de sûreté, la loi sur la
récidive criminelle, la loi sur les « bandes »... en sont les (in)dignes ancêtres.
Chaque fois, l’objectif affiché est de lutter contre la criminalité, de protéger
les citoyens, de créer les conditions du bien-être général. La réalité est tout
autre : le « sentiment d’insécurité » augmente avec l’insécurité sociale et nos
principes démocratiques se réduisent comme peau de chagrin.
Comme les précédents, ce texte s’annonce inefficace du point de vue des fins
qu’il prétend atteindre, mais très efficace au regard de ses fins réelles : il
nous prépare une société du Contrôle, fondée sur une stratégie de la tension
particulièrement nette dans le discours guerrier prononcé le 30 juillet dernier
par le chef de l’Etat à Grenoble.
Les oganisations membres et partenaires du Collectif Liberté Egalité Justice
(CLEJ) alertent l’ensemble des citoyens sur le caractère à la fois inutile et
inacceptable de ce projet de loi qui n’a pas donné lieu à un véritable débat
public et qui, pourtant, devrait être bientôt adopté en leur nom...
Paris, le 18 novembre 2010.
Liste des 55 organisations signataires :
Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national de l’ensemble
des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP/FSU),
Syndicat national des personnels de l’éducation et du social -
Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ/FSU), Syndicat des
avocats de France (SAF), Syndicat national de l’enseignement
supérieur (SNESUP/FSU), Privacy France, Solidaires unitaires
démocratiques - santé/sociaux (SUD santé/sociaux), Nouveau
Parti anticapitaliste (NPA), Union syndicale de la psychiatrie
(USP), Syndicat national unitaire des collectivités locales, de
l’intérieur et des affaires sociales (SNUClias/FSU), Groupement
étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées
(GENEPI), Ligue des droits de l’Homme (LDH), Collectif “Non à la
politique de la peur”, Union syndicale Solidaires, Fondation
Copernic, Parti de gauche, Europe Ecologie/Les Verts, Mouvement
de la Paix, Fédération pour une alternative sociale et écologique
(FASE), Parti communiste français (PCF), Droit au Logement
(DAL), Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux
Rives (FTCR), Droit Solidarité, Union Juive Française pour la Paix
(UJFP), Gauche Unitaire, Inter LGBT, Libre Accès, MACAQ, SNJCGT,
Association des Tunisiens en France (ATF), FASTI, FCPE,
Confédération syndicale des familles (CSF), Habitants de
logements éphémères et mobiles (HALEM), Intersquat Paris, Jeudi
Noir, RESEL (Réseau Stop aux expulsions de logement), Assemblée
citoyenne des originaires de Turquie (ACORT), GISTI, UNSAéducation,
ACT-UP, La Quadrature du Net, Parti communiste des
ouvriers de France, Association des travailleurs maghrébins de
France (ATMF), UNEF, Association des marocains en France (AMF),
Collectif “La journée sans immigrés : 24h sans nous”, Les
Aternatifs, VECAM (Réflexion et action pour l’internet citoyen),
Imaginons un réseau internet solidaire (IRIS), Agir contre le
chômage (A.C !), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié
entre les peuples (MRAP), Fédération générale des PEP, France
terre d’asile, Cap 21.