Le 8 novembre dernier, les troupes marocaines ont réduites en cendres le campement sahraoui de Gdeim Izik, qui depuis un mois abritait plus de 20.000 personnes réunies afin de protester contre les conditions de vie imposées par les autorités d’occupation aux habitants de la République Arabe Sahraouie, un territoire de 266.000 km2 et de 280.000 habitants situé sur la côte occidentale de l’Afrique, entre le Maroc et la Mauritanie.
Il s’agit d’un nouveau chapitre de la lutte pour l’indépendance depuis qu’en 1975, l’Espagne, alors puissance coloniale, s’est retirée de ce territoire, immédiatement remplacée par des troupes marocaines et annexé au Maroc contre l’avis de la population. L’attaque contre le campement a déclenché une vague de protestation massive dans la capitale sahraoui, El Aaiun, virtuellement soumise à un état de siège par les autorités marocaines. Cette attaque survenait au moment exact où devait se tenir à New-York une reprise des négociations entre le Front Polisario et le Maroc sous l’égide des Nations Unies. Malgré tout, le Polisario a décidé de maintenir la rencontre pour ne pas tomber dans le piège de la provocation orchestrée par le gouvernement marocain.
L’objectif de cette nouvelle réunion était d’avancer dans la préparation d’un cinquième round de négociations depuis celui initié en 2007 sous la supervision du Conseil de sécurité de l’ONU et depuis lors bloqué à cause du refus du gouvernement de Rabat de réaliser un référendum sur l’avenir du Sahara Occidental, se limitant à offrir une vague « autonomie ». Les Sahraouis, qui aspirent au contraire à l’indépendance de leur république, exigent la réalisation d’une consultation populaire, mais leur position n’a pas le soutien des principales puissances occidentales impliquées dans le conflit, à savoir les Etats-Unis, la France et l’Espagne.
Gilberto Lopes – Quelle est la situation actuelle au Sahara Occidental et dans sa capitale, El Aaiun ? On parle de terreur, d’une répression intensive et d’un nombre indéterminé de morts, de blessés, de disparus et de prisonniers...
Ahmed Boukhari : L’assaut des troupes marocaines a été brutal et il a été mené après que les autorités marocaines se soient assurées qu’aucun media international ne soit présent et de la rupture des communications téléphoniques. Mais les nouvelles qui nous arrivent sur l’ampleur de la tragédie permettent d’affirmer qu’il s’agit d’un véritable massacre. Plus de 4.000 blessés, 2.000 prisonniers et on évoque des dizaines de morts. Les gens blessés ne vont pas dans les hôpitaux car ils savent que la police marocaine les y attends.
Il est probable qu’une partie des disparus et des morts sont en fait dans les prisons marocaines, parce que les autorités ne veulent pas informer les familles. Elles déclarent officiellement qu’il y a 165 détenus sahraouis, mais ne parle pas de blessés ni de mort. Par contre, elles affirment qu’il y a 11 tués et 65 blessés parmi les soldarts marocains. Si ces chiffres sont exacts, cela veut dire que les forces marocaines, armées et nombreuses, ont provoqué un massacre puisque les victimes sahraouis sont des civils désarmés.
Le représentant du Front Polisario en Espagne, Bucharaya Beyún, a déclaré que « nous n’avons jamais été aussi près d’une guerre, à moins qu’il y ait une intervention internationale afin de mettre fin au massacre perpétré par le Maroc ». Vous partagez cette appréciation ?
AB : Cette appréciation est correcte. Si l’ONU ne fait rien pour arrêter les choses, cela signifie que le Maroc jouit d’une sorte de droit à l’impunité. Cela impliquerait la fin de la voie diplomatique dans laquelle nous avons cru jusqu’à présent afin de résoudre le conflit.
Comment évaluez vous les résultats de la réunion d’hier à New-York et les perspectives pour les négociations, qui se poursuivent en décembre ?
AB : Nous sommes venus à ce nouveau round de négociations afin de répondre positivement aux efforts menés par l’ONU afin que le processus de paix puisse continuer de manière correcte. Mais la décision marocaine de mener l’assaut contre la population civile sahraoui, le jour même où devaient commencer les discussions, nous a amené à envisager sérieusement notre refus de participer. Malgré tout, nous avons décidé de participer aux discussions, parce que nous sommes des gens civilisés qui veulent la paix, nous rejetons la violence, la guerre. Le round de discussion n’a apporté aucune avancée substentielle parce que le Maroc ne veut pas aller dans la bonne direction. Le terrible spectre de l’intervention brutale des forces marocaines contre notre peuple a plané sur la rencontre.
Quelles sont les propositions qui sont sur la table ? Quelle est la position actuelle du Front Polisario dans cette étape des négociations ? Vous continuez à défendre l’option d’un référendum ?
AB : Le référendum est la seule voie possible, praticable et reconnue par l’ONU afin de demander à un peuple en processus de décolonisation ce qu’il souhaite pour son futur. Tel est le sens de l’autodétermination dans une question de décolonisation. Les options sont et resteront toujours entre choisir l’indépendance ou l’intégration à une puissance occupante. Il n’y a pas d’autre issue, pacifique du moins. Le Maroc s’oppose aujourd’hui à cette voie après l’avoir pourtant accepté pendant des années dans le passé et il s’oppose à elle parce qu’il craint les résultats d’un possible référendum, comme l’avait reconnu le Secrétaire d’Etat étatsunien de l’époque James Baker, médiateur entre 1997 et 2004 dans le conflit.
On connaît le rôle joué par les Etats-Unis, la France et l’Espagne dans le conflit. L’attitude des Etats-Unis a-t-elle changé avec le gouvernement d’Obama ?
AB : Il y a un certain changement par rapport à l’attitude de l’administration antérieure, mais il ne constitue pas un changement suffisant capable de modifier la position intransigeante du Maroc. Nous avons des contacts réguliers avec le Département d’Etat qui nous permet de continuer à les informer des évolutions dans ce conflit.
La France continue à soutenir la position marocaine ?
AB : Oui, de manière aveugle. Elle a une attitude de soutien à une cause coloniale injuste au point de constituer, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, un obstacle fondamental pour que puisse s’établir un mécanisme de protection pour les droits humains au Sahara Occidental.
Que peut-on attendre de l’Espagne ?
AB : L’opinon publique espagnole, tout comme les medias et des partis politiques sont solidaires avec la cause sahraouie. Mais le gouvernement a une attitude assez timorée du fait des pressions exercées par le Maroc.
Comment voyez-vous l’avenir et la fin de ce conflit ?
AB : La lutte continue. Nous gagnerons notre objectif national de paix et de liberté, tôt ou tard.