Il y a des dettes plus respectables que d’autres. Celles que les Etats européens ont contracté pour sauver les banques et les marchés financiers semblent avoir plus de crédit que la dette climatique dont nos pays sont redevables envers l’ensemble de l’humanité. Pourtant, se plier aux logiques financières des acteurs sauvés quelques mois plus tôt sans remettre en cause leur pouvoir démesuré sur la société est irresponsable.
Faire peser le fardeau de ce remboursement sur les couches les plus modestes de la population est inique. Se prévaloir de la crise économique pour réduire à peau de chagrin toute politique de lutte contre les effets des dérèglements climatiques est terriblement inconséquent. La dette écologique, dont la dette climatique fait partie, peut-être définie comme « la dette accumulée par les pays industrialisés sur les peuples du Sud par le pillage des ressources, les dommages environnementaux et l’utilisation de l’espace environnemental pour y entreposer les déchets comme les gaz à effets de serre ».
Les pays du G20 n’ayant toujours pas supprimés leurs subventions aux énergies fossiles comme ils s’y étaient engagées en septembre 2009 à Pittsburgh, la dette climatique n’a malheureusement aucune raison de se résorber. Les émissions de CO2 des pays industrialisés sont d’ailleurs globalement reparties à la hausse en 2010 (+ 3%). Où sont donc les commentateurs avisés exigeant le remboursement immédiat de cette dette ô combien plus dévastatrice sur la vie des gens, comme les sécheresses et inondations de l’été dernier l’ont illustré ?
La véritable rigueur, celle qui incite à agir en fonction de la véracité des faits, imposerait de s’engager sans arrières-pensées pour faire face aux multiples conséquences de cette dette climatique qui ne cesse d’enfler. La première consisterait à ce que les pays dits « développés », responsables du dérèglement climatique actuel en ayant contribué à plus des trois quarts du CO2 émis depuis le début de l’ère industrielle, financent l’adaptation de l’ensemble des pays de la planète aux dérèglements climatiques actuels, et notamment, mais pas seulement, aux phénomènes extrêmes. Sur un second plan, il s’agirait que ces mêmes pays réduisent leurs émissions actuelles, à la hauteur des recommandations du GIEC, pour ne pas accroître les dérèglements climatiques futurs. Cela implique de revoir de fond en comble nos modèles de production et de consommation afin de réduire considérablement notre dépendance fossile. Dans le même temps, nos pays doivent faciliter l’accès des populations les plus pauvres à un niveau comparable de biens et services de base. C’est une sorte de « dette pour le développement » qui nécessite des transferts conséquents, à la fois financiers et technologiques.
Il existe une quatrième composante de cette dette climatique. Moins connue, elle est amenée à prendre plus d’importance. Les dérèglements climatiques aggravent tellement les conditions de vie de certaines populations des pays les plus vulnérables que beaucoup partent chercher d’autres espaces pour pouvoir survivre. Communément appelés « réfugiés climatiques », ils sont d’abord, avant de devenir « réfugiés » des « déplacés environnementaux ». Les responsabilités de ces déplacements, bien souvent internes ou entre pays du Sud, sont à chercher du côté des pays dont les émissions ont généré la transformation des territoires de départ. C’est une « dette de migration ». La rigueur exigerait d’y faire face en accordant à ces migrants le droit de se déplacer et de s’installer dans les pays qui sont responsables de leur migration.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi aucun des apôtres de la rigueur face à la dette financière n’ose le même raisonnement face à la dette climatique. Se confronter à toutes les conséquences de cette dernière est une telle remise en cause des modèles économiques, sociaux et géopolitiques actuels qu’on préfère la laisser dans l’oubli. Pourtant, attendre que la « bulle » de la dette climatique nous explose à la figure serait complètement insensé. Symbolisant des siècles de domination dévastatrice du Nord sur le Sud, et plus généralement des riches sur les pauvres, la dette climatique est avant tout une arme subversive pour construire l’égalité à l’échelle internationale. Sa résorption complète exige de mettre fin à toutes les dominations économiques et géopolitiques passées, actuelles et futures. Donc de ne pas en créer d’autres. C’est une boussole pour l’action politique. Les résultats de Cancun seront jugés à cette aune.