Les élections cantonales d’octobre 2009 étaient catastrophiques pour la gauche : la droite, MCG compris, obtenait 74 sièges, face aux seuls 32 élus des Verts et du PS, aucune liste à gauche de PS ayant atteint le quorum (de 7% !). Sans perdre du temps, le mois suivant déjà, les représentants des milieux patronaux ont proposé au nouveau Grand Conseil une loi d’ouverture prolongée Syndicats et formations de gauche ont lancé un référendum, qui a été signé massivement pour la population obligeant ainsi les autorités du Canton de consulter le peuple. La loi actuellement en vigueur, qui fixe les heures d’ouverture des magasins, est le fruit d’un accord entre partenaires sociaux. Pour des ouvertures autres que celles, qui y sont mentionnées, les patrons doivent discuter avec les syndicats (vente de Noël, événements spéciaux). Ainsi, les employés ont aussi un petit mot à dire, mais ce droit disparaîtrait avec la modification proposée, qui fixerait tout juste le nombre annuel autorisé d’ouvertures dominicales. Et tout ça dans quel but ?
Mieux résister à la concurrence française ? Si les Genevois font les courses de l’autre côté de la frontière c’est parce que les prix pour certains articles, surtout de l’alimentation, y sont plus bas. De toute manière, la concurrence « française » n’est souvent qu’une filiale à l’étranger d’une entreprise établie à Genève, à l’instar des centres Migros de Thoiry, Etrembières et Neydens.
Rendre service au consommateur ? Contrairement à ce qu’on serait tenté de croire, ce ne sont pas les personnes professionnellement actives qui souhaitent des ouvertures étendues, qu’elles soient nocturnes ou dominicales. Une étude récente en France indique que trois personnes sur quatre considèrent le temps d’ouverture suffisant et que 58% sont opposées aux dominicales, celles-ci étant appréciées surtout de ceux qui avouent ne pas savoir que faire de leur temps libre. Pendant l’ouverture prolongée jusqu’à 21h le jeudi, la plupart des magasins genevois sont d’ailleurs quasi vides et les vendeuses mécontentes de ne pas pouvoir réaliser le chiffre d’affaires exigé par le patron.
Créer des emplois ? Très peu de petits magasins ou commerces spécialisés ont les moyens de profiter d’horaires d’ouverture prolongés, de sorte que ceux-ci ne bénéficieraient qu’aux « grands », Migros, Coop, Manor, Globus etc. Les petits commerces, défavorisés, sont de plus en plus nombreux à mettre la clé sous le paillasson. En dernière instance, c’est aussi le consommateur qui est lésé, puisque son choix devient de plus en plus restreint.
Un centre-ville attractif ? Mettant « l’humain » au centre de leurs préoccupations, ils parlent d’un centre-ville attractif, où il ferait bon flâner. Pourtant, plusieurs magasins et boutiques qui vendaient des articles correspondant aux besoins quotidiens de la population ont disparu, comme l’UNIP, et à leur place on voit des magasins d’électroménager et d’électronique à n’en plus finir (Fust, Interdiscount, Migros-Electronics). Des cafés du centre-ville, qui étaient appréciés comme points de rencontre, tels que Cristallina, Le Radar, Mövenpick, ont dû céder à des bijouteries et des maisons de haute couture à l’affût de quelques touristes fortunés. Des librairies ont connu le même sort. Globus, Bon Génie et consorts nous offrent des chantiers interminables pour maximiser les surfaces exploitables ; à peine un échafaudage enlevé, un autre pousse quelques mètres plus loin. Les engins utilisés pour ces « travaux d’amélioration » gênent la circulation, les TPG doivent déplacer des arrêts, mais les autorités n’y voient apparemment pas « l’utilisation accrue du domaine public » qu’elles sont promptes à invoquer, quand des militants distribuent des tracts ou font signer une pétition. Les mêmes milieux, qui prétendent vouloir œuvrer pour un centre-ville agréable et convivial, s’opposent à des projets de rues piétonnes et veulent supprimer des subventions pour des institutions d’encadrement des jeunes.
Les conditions de travail du personnel de vente sont peu enviables. Les femmes y sont majoritaires (60%) et la plupart d’entre elles (80%) ont des emplois à temps partiel. Même si elles visent un plein temps, elles se voient proposer des activités à taux réduit, ce qui fait descendre les salaires individuels au-dessous du « salaire de coordination » et dispense les employeurs de verser des cotisations pour le 2e pilier. Ce ne sont plus des temps partiels librement choisis, mais des conditions de travail imposées. Avec un contrat de travail de 8 heures par semaine, l’employée doit être à disposition de l’entreprise durant toutes les heures d’ouverture du magasin - 67h et demie actuellement, et 71 heures demain, si la loi passe. Cette exigence de disponibilité liée au travail sur appel empêche, que la personne puisse cumuler deux postes pour mieux s’en sortir financièrement, et lui rend impossible toute autre activité, qu’elle soit familiale, culturelle, politique ou syndicale. En outre, toute perspective d’amélioration professionnelle par des cours réguliers devient illusoire. Le patronat veut des employés à sa merci et une clientèle abrutie qui n’aurait qu’un seul plaisir dans la vie : acheter.
Anna Spillmann, Genève novembre 2010