Nos gouvernements ont-ils décidé d’user de l’ironie ? Le choix de Cancún (Mexique) comme ville d’accueil des négociations sur le climat prête à la réflexion. Ou à la colère. Au cœur de la lagune, des forêts vierges et des plages immaculées, se sont élevées des centaines de tonnes de béton, d’acier et de verre. En l’espace de 35 ans, politiciens, promoteurs et transnationales ont fait de Cancún, « le rêve des banquiers » [1]. Pas moins de 36.000 chambres d’hôtel ont été construites depuis 1975 fragilisant la côte et l’exposant aux déchaînements de la nature.
Dans le genre « contre-indiqué en matière de développement durable », le Moon Palace, qui abrite les séances plénières de la conférence sur le climat, a été construit sur une aire de mangroves. Typiques des zones côtières tropicales, ces étendues de végétation abritent d’innombrables espèces protégées et participent à réguler les effets du dérèglement climatique. Cancún n’illustre pas seulement la voracité immobilière, elle est aussi une ville de ségrégation séparant par une large avenue privilège et plaisir contre pénurie. Comme le rappelle Luis Hernandez Navarro, journaliste au Guardian, « le projet s’est révélé écocide en laissant des milliers de personnes sans assainissement ni électricité adéquat ».
L’Alena, source de dévastations
L’absence de protection de l’environnement ne se limite pas à cette station balnéaire. Graciela Gonzales est membre de l’Assemblée nationale des affectés environnementaux (ANAA) qui regroupe des communautés victimes de désastres socio-environnementaux. Pour elle, le Mexique est devenu « un des pays connaissant les plus hauts niveaux de dévastation environnementale de la planète ». En cause ? « La dérégulation produite par les Accords de Libre-Échange Nord-Américains » assure t-elle. Depuis leur entrée en vigueur le 1er janvier 1994, le Mexique a signé plus de 40 accords de ce type. Aux côtés notamment de la Via Campesina, l’ANAA a donc décidé d’organiser des caravanes sillonnant le pays pour « rendre visible » des lieux et des communautés fortement affectées sur le plan environnemental.
Parties la veille de l’ouverture des négociations, l’une des caravanes avait pour point de départ le village d’El Salto. Situé dans la zone industrielle de Guadalajara à 500 km à l’ouest de Mexico, El Salto concentre plus de 200 entreprises de tout type – pétrochimiques, agro-industrielles, de construction... – qui rejettent leurs eaux usées dans le fleuve Santiago. Parmi les contaminants, on retrouve des métaux lourds, dont le chrome, le plomb, le cobalt, l’arsenic, le cuivre, le magnésium et le mercure. « Le fleuve récupère aussi la majeure partie des eaux usées non traitées de la 2e ville du pays », précise Anna Bednik de France Amérique Latine. « Les habitants d’El Salto payent cher le rêve du progrès néolibéral qui ne leur apporte même pas la sécurité de l’emploi », dénonce t-elle.
Gagnant les bords du Rio, une odeur fétide envahit l’espace. Face à nous, le fleuve est désormais recouvert d’une épaisse mousse blanche se formant au pied d’une cascade. Un nombre incroyable de cancers, de maladies respiratoires et de la peau, sont apparus dans cette zone métropolitaine. La mort le 13 février 2008 du jeune Miguel Angel López Rocha a suscité à l’époque une importante mobilisation sociale. Suite à sa chute dans le fleuve le 26 janvier 2008, le garçon de 8 ans est mort trois semaines plus tard d’une intoxication à l’arsenic confirmée par le secrétariat de la santé de Jalisco. Une lutte pour la survie est désormais engagée par les habitants de l’El Salto comme le relate en quelques minutes cette vidéo réalisée le 28 novembre 2010. [2]
Le retour des haciendas
Sur la route menant à Mexico, la caravane traverse Morelia. Derrière la splendeur du patrimoine baroque de cette « ville aux pierres roses », se découvrent des milliers d’hectares de monocultures irriguées d’avocats. « C’est une agriculture d’agroexportation, presque tout est voué à l’exportation vers les États-Unis », explique Maria Blas Cocari.
Originaire de la région, Maria est productrice de maïs bleus biologiques, des variétés paysannes ancestrales. Elle dénonce « le retour du système des haciendas », ces terres étant en grande majorité la propriété d’investisseurs étrangers. Et décrypte les dérégulations générées par la signature des traités de libre-échange ayant eu des conséquences concrètes en profitant aux multinationales du Nord. « Les incidences sont également environnementales », renchérit Maria et d’énumérer la forte consommation en eau, la déforestation illégale permettant d’augmenter les surfaces utiles et la pollution liée à la forte utilisation d’intrants chimiques. Ces dernières années, les conflits d’usage de la ressource hydrique se sont multipliés remettant en cause l’accès à l’eau reconnu comme un droit fondamental par les Nations-Unies l’été dernier.
Dissoudre les collectifs de travail
C’est au tour des membres du Syndicat mexicain des électriciens (SME) d’accueillir les caravanes dans la colère. Connu pour son indépendance, le SME est également puissant puisqu’il compte 66.000 membres. Parmi eux, 44.000 travaillaient pour Fuerza y Luz, une entreprise publique décentralisée distribuant et commercialisant l’énergie électrique dans la zone centrale de Mexico. Le passage d’un décret organisant la dissolution de l’entreprise le 11 octobre 2009 entraîne le départ de 28.000 travailleurs avec une prime. 16.000 autres décident de rester parmi lesquels Fernando Godinez. Son espoir, « que le gouvernement respecte la loi en créant une nouvelle compagnie, car ce que faisait cette entreprise hydroélectrique est considéré comme un service nécessaire ». À ses yeux, il n’y a aucune contradiction entre les luttes sociales et environnementales. « Nous luttons pour améliorer la forme de production de l’électricité ». Et de préciser que « l’hydroélectricité ne pollue pas lorsqu’elle est produite sans barrage ».
Zone de guerre
Alors que la nuit tombe sur la banlieue de Mexico, les habitants de Magdalena Contreras accueillent sous une pluie d’applaudissements les militants de la caravane. Ils luttent contre un projet d’autoroute qui aura pour conséquence d’exproprier une partie des habitants. Un contraste saisissant surgit entre leur volonté de se battre pacifiquement et la zone de guerre dans laquelle ils évoluent. Car autour de nous, ce sont des dizaines de maisons qui ont d’ores et déjà été éventrées par les bulldozers.
Pedro Flores Martinez vit ici depuis plus de cinquante ans. Amer, il relate les menaces des promoteurs qui assurent vouloir tout saccager si les habitants ne se résignent pas à leur concéder leurs maisons. « Nous avons décidé de nous organiser et de nous unir entre voisins, explique t-il. Nous organisons des marches et des réunions d’information. Ce qui nous a protégés jusqu’ici est l’appui que nous avons reçu de la presse et des organisations de protection des droits humains ».
Sur le toit d’une des maisons récemment concédées, Pedro Girard Rivera, natif de Magdalena Contreras, pointe du doigt la dernière forêt du District Fédéral. « Leur projet de six voies va détruire plus de 60.000 arbres, s’insurge t-il. C’est un projet mortel qui va priver d’eau et de terre les communautés ». Alors que des militants regagnent la caravane afin de gagner Cancún pour la deuxième semaine des négociations climat, des habitants viennent leur confier des bougies afin, expliquent-ils, « d’éclairer les gouvernements ». Si comme Graciela de l’ANAA, ils ne se font guère d’illusions sur les résultats escomptés à Cancún, ils voient néanmoins dans ces négociations l’opportunité de mettre en lumière « la duplicité des gouvernements ».
Sophie Chapelle