Quelle est votre analyse de la situation politique, économique et sociale de l’Asie du Sud Est ?
Karamat Ali (KA) : Le point commun à tous les pays de la région c’est la mise en place de politiques néo-libérales avec leur lot de privatisations, de libéralisation et de dérégulation. C’est vrai aussi pour le Pakistan. Le Sri Lanka a également mené cette politique à large échelle. L’Inde est en train de le faire, tout comme le Bangladesh. Cela a engendré une augmentation du chômage et des violations du droit du travail. En effet, dans tous ces pays, des réformes des différents régimes de législation du travail les ont rendus plus flexibles et ce, en faveur des employeurs. Conjointement à ce processus, on a pu observer un fort ralentissement dans la mise en route de systèmes de protection sociale. Toutes les formes existantes de protection ont été démantelées ou sont en voie de démantèlement. A part en Inde où, une loi sur l’emploi garanti en milieu rural a été introduite en octobre 2005. Ceci est un pas en avant important. Les autres pays sud asiatiques pourraient suivre cette voie ! Ceci étant dit, ces systèmes de protection existaient surtout dans le secteur formel pour les fonctionnaires par exemple, mais cela ne concernait pas plus de 5 à 10% de la population active.
L’autre point commun aux pays de la région concerne l’extension significative des droits des fondamentalistes religieux. En effet, cela fait aussi partie de la démocratisation de ces pays ! !
L’autre facteur le plus négatif de cette politique néolibérale est la militarisation de nos pays. Les dépenses militaires ont connu une augmentation considérable depuis plus de 5 ans. Surtout, depuis la nucléarisation de l’Inde et du Pakistan. Ceci est accompagné d’une militarisation, à large échelle, de nos sociétés civiles. La prolifération des armes légères est très importante en Asie du Sud. Les violences des Etats vis à vis d’organisations de la société civile telles que les associations de femmes, de personnes de basses castes, de travailleurs liés, d’enfants..., se sont multipliées. Les plus vulnérables de nos sociétés sont en proie à des brutalités très rudes. Ceci est malheureusement un point commun à nos pays.
Un autre point commun est celui du développement du dialogue entre l’Inde et le Pakistan. En effet, ils sont maintenant dans la même logique néolibérale car, le capital a besoin d’évoluer dans des sociétés stables !! Ceci a indéniablement permis de réduire les tensions et conflits entre nos pays ! De plus, les capitalistes locaux ont souhaité développer les échanges commerciaux au sein de la zone sud asiatique. C’est un développement positif mais cela a été accompagné, il ne faut pas l’oublier, par une forte militarisation de cette zone.
La normalisation n’est pas l’instauration de la Paix !
Les élites vont en direction de la normalisation et les peuples veulent la Paix ! Cela impliquerait une démilitarisation. Il est toutefois vrai que la normalisation créée, pour les populations, des occasions de faire pression sur leurs gouvernement en faveur de la Paix et du développement. En effet, il y a des conflits entre tous les pays d’Asie du Sud Est comme entre l’Inde et le Pakistan, entre le Pakistan et l’Afghanistan, entre l’Inde et le Bangladesh, entre l’Inde et le Sri Lanka... Alors quand on parle de coopération sud asiatique, cela ne doit pas faire oublier que tous nos gouvernements ont beaucoup joué sur les nationalismes entre et au sein de nos pays.
L’Association Sud Asiatique pour la Coopération Régionale existe depuis 20 ans. Créée en 1995, elle n’a pu agir jusqu’à présent. Surtout à cause du conflit entre l’Inde et le Pakistan. Début 2005, les différents gouvernements se sont mis d’accord sur le fait de travailler à l’instauration d’une zone sud asiatique de libre échange d’ici 2015. Ils se laissent donc 10 ans pour développer cet espace. Cela signifie également des possibilités d’action pour les mouvements en faveur de la Paix et liés aux questions d’emploi afin de ne pas laisser cet espace entre les mains des élites et permettre une coopération entre citoyens. Ceci aidera peut être à raisonner en terme d’identité transfrontalière.
Une identité sud asiatique permettrait de dépasser les identités nationalistes qui trouvent souvent racine dans des conflits passés ou dans des lectures très partiales de l’Histoire. Ce sont donc des développements très positifs bien que l’on observe en même temps une augmentation très importante de la misère.
Duarte Baretto (DB) : En Inde, il y a actuellement une tentative de privatiser entièrement ou partiellement des secteurs publics. La gauche tente de s’y opposer mais elle fait partie du gouvernement d’union progressiste ! Concernant le fondamentalisme en Inde, beaucoup considèrent à tort que le gouvernement extrémiste ayant quitté le pouvoir, on peut se reposer. Pourtant, la société indienne est très influencée par ces tendances radicales.
En effet, des groupes hindouistes travaillent à l’organisation de la société sur la base de références traditionalistes. Ces fondamentalistes se trouvent même dans le parti du Congrès. Le repli communautaire est très fort en Inde.
Dans certaines régions frontalières avec le Pakistan, il y a un désir profond des populations de rencontrer des pakistanais. Des liens d’amitié et familiaux existent entre les gens. L’assouplissement des modalités de circulation de moyens de transport a aidé à aller à la rencontre des autres. Il y a un réel désir de développer des relations amicales avec le Pakistan. Heureusement, elles vont en augmentant. Espérons qu’elles se transformeront en accord concret comme par une circulation fluide des personnes et des biens.
En quoi les FSM de Mumbai début 2004 et le prochain à Karachi en 2006 peuvent ils contribuer à un rapprochement entre les populations et sur quelles questions principales peuvent ils débattre et agir ensemble ?
KA : Ce qui compte c’est que les gens puissent se rassembler à large échelle et être capables d’échanger et de débattre sur des questions qui nous préoccupent tous. Si les gens peuvent se regrouper, notamment des Indiens et des Pakistanais, cela sera important pour le processus de réconciliation entre nos pays.
A Bombay, lors du FSM, pendant près d’une semaine, plus d’une centaine de pakistanais ont pu passer du temps avec des gens appartenant à des mouvements divers venant de toute l’Inde et d’autres pays du Monde. Ils ont ainsi mieux appréhendé les objectifs de leur lutte et les moyens utilisés pour faire entendre leurs voix. Des vrais liens d’amitié se sont noués.
Pour le FSM à Karachi en 2006, nous espérons que quelques centaines d’indiens puissent être présents et participent aux débats. Lors de ce FSM, nous allons traiter des questions habituellement abordées lors des FSM passés. Cela dit nous allons aborder également les questions évoquées plus tôt lors de notre entretien, tel que la militarisation des sociétés civiles... Nous allons aussi échanger sur la situation d’occupation de l’Afghanistan, sur l’agression permanente du peuple irakien, sur les menaces proférées contre l’Iran et sur la présence de troupes militaires étrangères dans la région, et en Asie plus largement. La question de la guerre sera proéminente lors du FSM de 2006, au Pakistan.
DB : J’espère que lors de ce FSM, la question de la coopération entre l’Inde et les USA sera également traitée notamment en matière de nucléaire.
KA : Certainement, car cette question est régulièrement abordée par les militants de la Paix pakistanais et indiens. Nous devons tous nous mobiliser au plus vite en faveur de la démilitarisation de la région car la présence d’armes nucléaires pose un danger très très important. Même si les gouvernements n’utilisent peut être pas délibérément ces armes, elles peuvent exploser accidentellement ou tomber entre les mains de fanatiques ! Cela sera discuté en lien avec la question de l’énergie nucléaire. Cette décision des USA de d’engager une collaboration exclusive avec l’Inde nous inquiète beaucoup. Elle aura des conséquences sur toute la région si elle se poursuit.
DB : En Inde, nous avons récemment passé une loi relative au droit à l’information mais certaines questions et zones du pays en sont exclues. La Cour Suprême a estimé que toute question relative au nucléaire ne peut être posée par les ONG, ni par la presse. Elle invoque la sécurité nationale. Nous devons donc faire pression afin d’en savoir plus sur tout cela !
Justement quel type d’action menez-vous au niveau citoyen afin de faire avancer les questions de la Paix et du développement des contacts entre vos deux pays ?
KA : Nous avons mené une Marche de citoyens indiens et pakistanais en faveur de la Paix, début 2005. Nous avions commencé à en discuter en décembre 2003. Cela a pris du temps à organiser. Elle devait se dérouler entre Karachi et New Delhi, mais, compte tenu de la présence de fondamentalistes, nous avons décidé de modifier l’itinéraire qui nous a finalement mené de Delhi jusqu’à Multan, au Pakistan. Cela représente une centaine de kilomètres. Le gouvernement indien a autorisé cette Marche jusqu’à la frontière. Le gouvernement pakistanais n’a pas donné son soutien à cette Marche et n’a pas donné de visas à tous les marcheurs indiens. Nous avons donc marché dans les villes, mais entre les villes, nous avons emprunté des bus. Nous nous sommes transformés en une sorte de caravane ! Cela a été un grand succès ! Les populations se sont montrées très enthousiastes. Nous avons recueilli un nombre très important de signatures, près de 20 000. Notre pétition en faveur de la dénucléarisation de l’Asie du Sud, la réduction des dépenses militaires et la résolution pacifique des conflits, notamment au Cachemire a donc eu une résonance significative. Des deux côtés de la frontière, les gens ont signé ! Nous avons également collectés des fonds. C’était la première fois que des indiens et des pakistanais marchaient ensemble et rencontraient des milliers de personnes en chemin. Certaines nous ont symboliquement accompagnés pendant 15 ou 20 km.
Le soir, dans chaque ville, les associations locales organisaient des évènements, et des rencontres. Nous avons passé beaucoup de temps avec des militants locaux et cela a amené des gens de la base à entendre des discours en faveur de la Paix et à participer à des débats, ce qui était assez nouveau pour nombre d’entre eux.
Au Pakistan, nous avons contacté les gouvernements locaux de Lahore à Multan qui, contrairement au gouvernement national, se sont montrés très coopératifs.
Tout au long du chemin, ces gouvernements locaux ont organisé des réceptions pour les marcheurs. Ils ont prévu des déjeuners et des dîners en présence de représentants politiques. Cela nous a permis de débattre avec eux. Cela a également eu un impact sur les populations. Certains pakistanais n’avaient jamais vu un indien de leur vie !
Depuis, nous espérons poursuivre dans cette voie et peut être organiser une autre Marche en nous centrant sur le thème du nucléaire. En effet, suite aux essais menés par l’Inde en 1998, une marche avait été organisée en 1999 au Bihar, sur le site de ces tests où Boudha avait passé beaucoup de temps. Ils avaient ainsi marché pendant des milliers de kilomètres et mobilisé un nombre très important de marcheurs sur cette question. Nous prévoyons de poursuivre dans cette voie.
La presse et des chaînes de TV ont bien couvert notre démarche. Des programmes spécifiques et des débats ont été organisés pendant 10 jours. La presse écrite a fait de nombreuses interviews des marcheurs. Cela a permis un débat très ouvert, notamment lorsque nos amis indiens sont entrés sur le territoire. Dès la frontière indo-pakistanaise, une chaîne de TV a fait un programme en direct d’une heure. Nous n’avons connu aucune censure. Des débats très ouverts ont pu avoir lieu. Pendant 10 jours il y a eu des articles dans la presse écrite sur la cause que nous défendons, sur les questions du nucléaire, de la militarisation de nos sociétés, sur le fondamentalisme religieux..... Les marcheurs sont allés rencontrer des élèves dans des écoles. C’était très important car il nous paraissait important d’informer les enfants de notre démarche et des questions qu’elle soulève.
Harsh Kapoor (HK) : Il y a des idées peu coûteuses initiées par la population. Il y a par exemple ces appels téléphoniques entre des jeunes qui ne se sont jamais rencontrés vivant en Inde et au Pakistan. Les militants locaux des 2 villes où ils vivent, organisent cette rencontre et le coût d’un appel de 2 heures entre ces jeunes indiens et pakistanais qui échangent, chantent des chansons, ne coûte que 50 à 60 €uros. Le téléphone est une technologie accessible. En septembre dernier dans 2 villes du Pakistan et d’Inde, des militants ont invité des jeunes dans un café Internet équipé de webcams afin qu’ils puissent se voir tout en discutant. Avant ces échanges, les militants locaux qui encadrent ces jeunes ont organisé des réunions de préparation avec des ateliers. Ces actions peu coûteuses se sont révélées efficaces en matière de découverte de l’autre.
Compte tenu du caractère très audacieux de votre Marche, avez-vous mis en place des mesures spécifiques de sécurité ?
KA : Nous n’avons été confrontés à aucune hostilité de la part de qui que ce soit lors de notre Marche. Nous n’avions d’ailleurs prévu aucun dispositif particulier. Les gens se sont montrés très amicaux partout. Cela dit, les gouvernements locaux avaient mis des moyens de sécurité à notre disposition. Il y avait une patrouille de police qui nous accompagnait dans chaque région. En effet, le gouvernement central s’était rendu compte de la nécessité de faire quelque chose. Il a donc donné des consignes aux forces de police qui se mobilisaient d’une frontière à l’autre des régions visitées, sans que nous n’ayons à en faire la demande. Cela a été une initiative spontanée de leur part.
Nous avons beaucoup parlé des relations entre l’Inde et le Pakistan mais qu’en est’il de la relation de vos 2 pays avec la Chine, autre pays majeur en Asie ?
KA : Il y a eu beaucoup d’hostilité entre l’Inde et la Chine depuis 1962 quand ces deux pays se sont livrés une guerre dont on ne connaît plus vraiment la cause aujourd’hui ! Depuis ces dernières années, l’Inde et la Chine ont entamé des négociations notamment sur leur litige frontalier. Ils ont gelé la frontière. Et puis il y a eu le litige sur le Siachen au nord de l’Himalaya. La Chine a maintenant reconnu que le Siachen fait partie intégrante du territoire indien.
DB : Et en échange, l’Inde a accepté que le Tibet fasse partie de la Chine !!! c’est important de le souligner !
KA : Cette issue du conflit entre l’Inde et la Chine va avoir des effets positifs sur la région et sur les relations entre l’Inde et le Pakistan aussi. En effet, jusqu’à présent, la Chine utilisait les litiges entre nos deux pays pour gagner des faveurs auprès de chacun d’eux. Ceci va enfin prendre fin et peut être déboucher vers une coopération positive entre ces 3 pays et plus largement, en Asie. Il ne faut toutefois pas omettre de signaler que les USA se sentent très menacés par cette pacification de nos rapports. Ils utilisent l’Inde comme contre poids vis à vis de la Chine. Et en Inde, il y a des forces qui seraient très contentes de jouer ce rôle car les bénéfices de l’augmentation de la militarisation ne sont pas négligeables ! Il y a d’autres forces qui y sont également favorables, pour des raisons plus idéologiques.
Cela sera très intéressant d’observer l’évolution de la situation. La signature récente de cet accord entre les USA et l’Inde reflète bien cet axe stratégique que certains voudraient mettre en place. Toutefois, au sein du gouvernement indien et même du parti du Congrès, il y a des dissensions sur ce point et c’est une bonne chose ! Les américains ont posé la question du nucléaire car ils veulent mettre un terme au lien qui se noue entre l’Iran, le Pakistan et l’Inde principalement autour de la mise en place d’un gazoduc.
Comment analysez-vous la stratégie de l’Inde qui, lors de la Conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de Cancun s’est alliée avec le Brésil et l’Afrique du Sud pour faire contre poids aux pays du Nord et qui en même temps opère un rapprochement significatif avec les USA ?
DB : L’Inde joue sur plusieurs niveaux. Avec la Chine, il est certes temps de développer nos contacts. L’Inde pense à ses intérêts à long terme en matière d’énergie nucléaire et voit d’un bon œil une collaboration avec les USA. Dans le domaine économique , l’Inde souhaite également collaborer avec les américains. A Cancun, l’Inde avait joué un rôle positif avec le Brésil et l’Afrique du Sud. Malgré ces contradictions, il y a une stratégie générale de l’Inde de nouer et renforcer ses liens avec 3 ou 4 pays importants, la Chine, les USA, la Russie et, le Pakistan plus récemment.
KA : Ces régimes utilisent des problématiques comme monnaies d’échange. Le problème de ces élites est qu’elles n’ont pas de principes sur lesquels reposent leurs prises de positions. Elles sont plutôt opportunistes dans leur manière de négocier, de nouer des alliances fluctuantes et parfois viciées. Ils veulent obtenir les meilleures faveurs auprès des USA.
DB : Après la Conférence de Cancun de l’OMC, il y a eu également une tentative d’intégrer le Brésil et l’Inde et, dans une moindre mesure l’Afrique du Sud, dans les traités commerciaux afin d’adoucir leur niveau de contestation !
Le Bangladesh qui est présenté comme un pays emblématique en matière de développement grâce ou à cause du système du micro-crédit et la Grameen Bank semble vivre une période assez rude avec une montée significative de l’intégrisme... Comme voyez-vous son avenir ?
KA : Il y a plusieurs manières d’aborder le Bangladesh. Ce qui est le plus inquiétant concernant ce pays c’est qu’il devient la base du fondamentalisme. C’est très inquiétant car dans ce pays, la population a connu des combats sanglants pour parvenir à sa libération nationale. Des millions de personnes ont été tuées et soudain on se rend compte que la situation est pire qu’au Pakistan en matière d’influence des fondamentalistes ! Si vous vous rappelez en août 2005, ils ont mené une série d’attentats simultanés dans 63 des 66 régions composant le Bangladesh. C’est une preuve de leur grande capacité d’organisation. Il y a aussi une organisation musulmane qui s’affiche comme non violente mais est la base de recrutement de jeunes musulmans pour diverses organisations violentes. La plus grande congrégation des talibans est établie au Bangladesh. Elle est passé du Pakistan au Bangladesh ! Ceci est très, très, très sérieux. Cela nous conduit à interroger le rôle du micro-crédit et des ONG, de la pseudo participation citoyenne, la Grameen Bank que l’on nous montrait comme un modèle de développement dans le monde entier !...
Quelle était la réelle politique autour de tout cela ?! C’est une question qui doit être étudiée de près. Un peu comme en Inde avec les massacres au Gujarat. Je demande toujours à mes amis militants indiens qui travaillent dans la zone : quel est l’impact de votre travail ? Ils me répondent, trop souvent à mon goût, qu’ils ne veulent pas intervenir dans des questions politiques. Le Bangladesh doit être étudié sous cet angle également.
Ceci pose la question du « développementalisme » et de ses limites. Au Bangladesh, le second opérateur de téléphonie mobile est une ONG !! Les ONG ont eu certes un rôle très important mais des questions se posent en leur sein. Par exemple, dans la plupart d’entre elles, qui sont énormes en terme de nombre de salariés et de moyens financiers, il n’y a pas de syndicat ! Quel rôle ont elles joué dans la dépolitisation du pays, par leur politique « assistentialiste » ?
DB : Les ONG ont comme privatisé le développement ! En Inde, même en milieu rural et dans les bidonvilles urbains, l’accès à la santé a été privatisé !
KA : J’aimerais que les ONG du Sud comme du Nord réfléchissent à ce processus et tentent de comprendre ce que cela veut dire ! Notamment en matière de micro-crédit et de la poursuite de nos actions. Je pense que lorsque vous proposez des micro crédits à des personnes qui sont totalement exclues de la société et n’attendent rien de l’Etat, vous rendez un sacré service à l’Etat et parfois à des escrocs locaux ! Nous avons ces réformes juridiques qui en fait servent à rendre encore plus intouchables les multinationales qui poursuivent leur exploitation des ressources naturelles et humaines ! Grâce au micro crédit les gens achètent des voitures à crédit qu’ils ne peuvent pas rembourser, et qu’on leur retire !
Via le micro crédit, les populations en difficultés subissent une pression morale et sociale. Pour moi, le micro-crédit, c’est l’intégration des plus marginalisés dans une position permanente de subordonnés.
D’après vous, pourquoi les ONG refusent elles depuis tant d’années d’assumer la dimension politique et sociale de leur travail et du développement en général ?
KA : Parce que, si vous intégrez du politique dans le processus de développement, le rôle des ONG sera très limité. Le rôle des ONG c’est une sorte de stratégie pour la survie. Par exemple, chez PILER nous avons défini notre rôle comme celui de fournir des informations et de former des travailleurs. Nous ne voulons pas conduire leur vie à leur place ! Notre rôle est très limité. En revanche, à travers le micro-crédit, on fait ce que l’Etat aurait du faire. Le micro crédit incite ces populations à ne pas faire de demande auprès de l’Etat pour qu’il assume son rôle. Je crois qu’il nous faut nous interroger sur l’impact politique des ONG. PILER a été souvent sollicité pour faire du micro crédit et nous avons refusé car nous estimons que c’est à l’Etat d’assumer cela ! Notre rôle est de permettre aux populations d’être debout et de lutter pour le respect de leurs droits. L’Etat est souvent capable de proposer des taux d’intérêt à 6% pour de grandes entreprises, pourquoi n’est il pas en mesure de le faire pour ces populations marginalisées ? Pourquoi l’Etat demande t’il à ces derniers de payer 15% ?! Par le micro crédit on légitimise le néolibéralisme ! Même quand on croit lutter contre ! Le Bangladesh a été largement imité sur le micro crédit, notamment en Asie du Sud où il considéré comme un paradigme du développement ! Ceci nécessite une étude pointue à mener avec les bangladeshi. Le fait que tous les mollahs se retrouvent au Bangladesh représente un développement que je ne souhaite à aucun pays !!! Les pauvres sans argent et sans mollahs se portent sans doute bien mieux !
DB : Je pense que trop d’ONG plaquent ces schémas tout faits sur le terrain et pensent que tout va aller de soit.
Par exemple, en Inde très peu de choses ont été faites en matière d’organisation et de syndicalisation des ouvriers du textile. Dès qu’ils bougent un peu, une série de codes de conduite arrivent ! Ceux qui les invoquent ne souhaitent pas l’existence de syndicats. Qu’est ce que ces fameux codes de conduite impliquent officiellement ? des promesses de salaires qui parfois, ne restent que des promesses, des conditions de travail meilleures... Trop souvent les patrons acceptent ces fameux codes de conduite pour se dédouaner de leurs pratiques et lutter, de manière insidieuse, contre la constitution de syndicats. Lors du Forum Social Mondial de Mumbai nous avons beaucoup traité de ces questions. La question suivante reste toutefois posée, comment les ONG peuvent elles accepter aussi aisément ces codes de conduite qui ne sont pas de vraies garanties !! »