La professeure Lin Yanling et le chercheur Ju Wenhui travaillent tous les deux à l’Institut chinois des relations industrielles (China Institute of Industrial Relations, CIIR), un organisme public. On peut penser que la présentation qu’ils font n’est pas qu’un exercice de sociologie appliquée, mais traduit aussi des réflexions et des perspectives probablement présentes dans les sphères du pouvoir. (réd)
Une grève dans un secteur clé
La grève de fin mai s’est déroulée dans une entreprise du secteur automobile (CHAM Guangdong), au cœur d’un dense réseau de sous-traitance. Les neuf jours et demi d’arrêt de travail ont amené d’autres entreprises à stopper la production et à subir des pertes importantes. On peut estimer que par un effet de cascade, entre 70 000 et 100 000 ouvriers et ouvrières de l’industrie automobile étaient touchés par cette grève.
De plus, les salaires sont bas dans l’industrie automobile : les salarié·e·s de CHAM Guangdong doivent travailler dix à douze heures par jour, 28 jours par mois pour toucher l’équivalent d’un salaire minimum local. Ils sont en cela représentatifs de la classe ouvrière chinoise, dont la participation au Produit national brut n’a cessé de se réduire, passant de 57 % en 1983 à 37 % en 2005. Les salarié·e·s de l’industrie automobile du Guangdong mettent en avant trois problèmes essentiels à leurs yeux : les salaires sont trop bas, les horaires trop longs, les heures supplémentaires trop fréquentes et la structure des salaires est injuste (différence entre salariés et management, mais aussi entre travailleurs du cru et d’ailleurs.)
Une organisation autonome
Cette lutte, comme d’autres récentes, se mène indépendamment des syndicats. Les salarié·e·s de CHAM Guangdong ont effectivement commencé par se tourner vers le syndicat de l’entreprise, mais sans succès. Toutefois, la nouvelle génération de travailleuses et travailleurs migrants a une conscience de plus en plus forte de ses droits et de ses intérêts. En même temps, l’absence de canal d’expression ne peut que mener au conflit. Dans le cas de CHAM Guandgong, les syndicats sont non seulement resté sourds, ils ont aussi agressé physiquement les grévistes.
Internet a joué un rôle certain dans l’organisation des grévistes et l’information sur leur lutte. Les raisons de cette lutte, les événements, leur évolution, les réactions de la direction et des autorités figuraient rapidement sur le site web des grévistes. Outre Internet, les salarié·e·s ont massivement utilisé les SMS pour communiquer et s’organiser.
Les réactions des autorités
Le 12 juin, l’intervention, dans une vidéoconférence sur le développement économique, du secrétaire du Parti de la province de Guangdong, Wang Yang, également membre du Comité central du Parti communiste, donne le ton : il faut arriver rapidement à une régulation des conflits dans les entreprises. La loi sur la gestion démocratique dans les entreprises et celle sur les négociations collectives doivent aboutir le plus rapidement possible et les syndicats d’entreprise doivent vraiment être au service des salarié·e·s.
Le 21 juillet, le comité permanent de l’Assemblée nationale populaire de la province rédige un projet de modification de la loi sur la gestion démocratique des entreprises dans le Guangdong qui suggère d’élire des délégués des travailleurs, qui seraient habilités — si un cinquième des salarié·e·s le demandent — à négocier des accords salariaux. Le reste du projet montre que le gouvernement provincial encourage les salarié·e·s à choisir la voie des négociations pacifiques pour faire valoir leurs droits, afin de faire baisser le niveau des conflits entre les entreprises et leur personnel, de plus en plus intenses.
Un nouveau positionnement des syndicats
La grève de CHAM, comme les événements de Foxconn, amènent les syndicats à sortir de leur double rôle, intenable à terme, de représentation des travailleurs et de membres de la direction des entreprises.
La Fédération panchinoise des syndicats (ACFTU) approuve le 26 juillet une résolution stimulant le développement des syndicats à la base, leur intimant d’être véritablement les porte-parole
et défenseurs des intérêts des travailleurs.
La résolution clarifie aussi les rôles respectifs de l’appareil d’Etat et des syndicats : « Dans le cas où des actions collectives se développent, les syndicats d’entreprise doivent d’abord consulter les travailleurs, afin de réunir des informations, puis informer des revendications le comité local du Parti d’abord, les niveaux supérieurs ensuite, dans l’objectif d’empêcher une intensification du conflit. Les syndicats doivent se placer sous la direction du gouvernement et du comité du Parti afin de représenter les droits des travailleurs dans le mécanisme de négociation collective ».
Pour les auteurs du rapport, cette résolution de l’ACFTU permet de passer d’une construction du mouvement syndical de haut en bas à une construction de bas en haut, rendant possible la transformation de l’ACFTU en véritable instrument de défense des travailleurs dans les entreprises. A leurs yeux, la subordination du mouvement syndical à l’appareil d’Etat et à celui du Parti ne semble pas représenter un obstacle à son indépendance dans la négociation collective.
Lin Y-ju