En direct de Caracas,
Cette semaine à Caracas s’ouvre le Forum social mondial polycentrique. Dans ce pays d’Amérique du Sud, un grand processus de transformation que d’aucuns qualifient de révolution est en cours. Les changements sont bel et bien perceptibles : dans les barrios, l’armée distribue des aliments ; des étudiants parcourent ces quartiers pauvres pour en finir avec l’analphabétisme. Dans ses discours, le président Hugo Chávez s’attaque sans réserve aux riches du pays et à l’impérialisme étasunien. Un nouveau champ de possibilités est ouvert : celui d’un autre monde, tout comme le suggère la maxime du FSM.
Fractures
Malgré ces indices, la société marchande suit son cours apparemment normal. La coexistence de ce régime marchand et du processus de transformations en cours est source de tensions sociales qui provoquent une forte polarisation. D’une part, la majorité pro-Chávez, réunie autour de ce président qui occupe un espace immense de la sphère politique, défend le processus bolivarien cœurs et âmes. D’autre part, l’opposition au changement utilise toutes les armes possibles - aux sens propre et figuré - pour abattre ce régime. L’opposition défend les principes d’un capitalisme reposant sur la propriété privée. La fracture entre les antagonistes est palpable. Un exemple parmi d’autres : les producteurs de café ont récemment décidé de cesser la distribution des précieux grains pour faire augmenter les prix régulés par le gouvernement. En réponse, Chávez a déclaré publiquement qu’il était prêt à nationaliser ce secteur de production. Contre le profit privé, le gouvernement propose l’étatisation.
Toutefois, c’est sans doute dans son besoin de repenser les transformations que doit être analysé le processus vénézuélien. En effet, l’économie, qui repose depuis le début du siècle dernier sur la rente pétrolière, n’a pas favorisé le développement d’organisations ouvrières et communautaires. Ainsi, le fort mouvement d’appui à Chávez ne repose pas sur la force d’une organisation populaire consolidée. Le pouvoir populaire n’est pas inexistant pour autant. Les grandes manifestations spontanées, qui ont joué un rôle de première importance dans le sauvetage du président qui subissait un coup d’État en 2002, démontrent une force importante du mouvement populaire.
Voilà dans quelle société se déroulera le chapitre vénézuélien du Forum social mondial polycentrique de cette année. Pour poursuivre la lancée glorieuse de ce forum inclusif des alternatives au néolibéralisme, l’édition de 2006 aura lieu non pas dans un, mais dans trois pays : le Mali, le Pakistan et le Venezuela. Grâce à son principe initiateur, le forum vise à générer des échanges et des débats entre les alternatives sociales développées partout. Il se veut un espace démocratique et ouvert où les participants sont les artisans des activités qui s’y déroulent. Le Forum est ainsi mondial puisqu’il attire des militants des quatre coins du globe, et sa démocratie réside non seulement dans la liberté qui est accordée aux participants, mais également dans la diversité qui les caractérise.
Il est tout à fait approprié que le FSM, dont la devise rappelle qu’un autre monde est possible, se déroule au cœur d’un processus de transformation, celui du Venezuela. Toutefois, il laissera également place à une foule d’autres activités n’ayant pas nécessairement d’accointances avec la situation locale. Si le forum est mondial parce qu’il est un processus qui se multiplie et attire des participants des quatre coins du globe, il est aussi un évènement localisé annuellement dans un pays particulier dont les conditions en influencent l’organisation pratique. La dynamique particulière du Venezuela saura laisser sa marque. C’est une nouvelle épreuve pour le FSM qui doit aussi être mondial par sa capacité à se déplacer d’un pays à un autre. Des précédentes éditions du forum, seule celle de 2004 eut lieu à l’extérieur du Brésil : en Inde. Le succès de ce transfert marquait une étape. L’articulation du forum à la dynamique vénézuélienne en marquera une autre. La simple transmission, depuis le Brésil, du savoir pratique nécessaire à l’organisation d’un tel événement n’est pas une mince tâche, mais elle est en voie d’être réussie, et la tension entre le caractère mondial du processus et sa réalisation locale, en voie d’être résorbée.