Compte-tenu de l’urgence climatique – les émissions de gaz à effets de serre ont vraisemblablement augmenté de 3 % en 2020 – il n’y a qu’une seule façon d’évaluer un accord : permet-il de réduire drastiquement les émissions de GES ? A la lecture des deux textes issus des négociations de Cancun, la COP-16 n’aura pas été à la hauteur des enjeux, alors que les espérances n’étaient déjà pas très élevées. Les engagements actuels, selon les prévisions des scientifiques, pourraient conduire à une augmentation de la température de plus de 4°C. Soit un véritable désastre pour de nombreux pays fortement vulnérables aux dérèglements climatiques (îles, zones côtières, régions avec peu de ressources hydriques, etc…).
A cette absence d’engagements suffisants, s’ajoute la remise en cause du seul instrument légalement contraignant actuel, le protocole de Kyoto. Le nouveau texte offre en effet de nombreux échappatoires aux pays désirant se dégager de leurs responsabilités. Présentées comme de véritables succès, les mises en place d’un fond vert pour le climat et d’un dispositif pour lutter contre la déforestation sont loin d’être satisfaisants. Par exemple, les sources de financement du fonds vert ne sont pas précisées, laissant la porte ouverte à une primauté de financements privés possiblement issus des marchés carbone. Ce fonds sera par ailleurs confié pour les trois prochaines années à la Banque Mondiale qui ne cesse d’accroître ses financements pour les projets d’extraction de pétrole. Le dispositif REDD+ (Réduction des Emissions liées à la Déforestation et la Dégradation des forêts) quant à lui ne reconnaît pas les droits des populations locales et en l’état sera surtout une opportunité pour des multinationales ou des Etats de financer des projets « verts » à moindre coût sans rien changer de leurs émissions.
Au final, les Etats-Unis et la Chine sont les grands gagnants de cet accord, leurs exigences ayant toutes été respectées. Les Etats-Unis ne s’engagent sur rien de contraignant. La Chine ne verra aucun contrôle international sur ses politiques nationales. Une fois de plus, les réalités géopolitiques et économiques ont largement déterminé le résultat de ces négociations. Preuve en est qu’on ne sauvera pas le climat sans changer le système.
Exclus des négociations pour avoir porté « la parole des peuples »
09 Décembre 2010
Ce mercredi 8 décembre, une vingtaine de représentants d’organisations de la société civile n’ont pu pénétrer sur les lieux des négociations à Cancun. Leur accréditation a été « suspendue ».
Leur tort ? Avoir pris part à la conférence de presse du mardi 7 décembre organisée par la Via Campesina au Moon Palace. Rejointe par l’ambassadeur de Bolivie, Pablo Solon, les négociateurs en chef du Paraguay, Miguel Lovera et du Nicaragua Paul Oquin, la conférence de presse de 30 minutes s’est poursuivie sur le perron de l’édifice Azteca, suscitant un attroupement assez important de médias, représentants de la société civile et curieux de passage. Tour à tour, ce sont donc Josie Riffaud de la Via Campesina, Tom Goldtooth d’Indigenous Environmental Network, Ricardo Navarro des Amis de la Terre, Pablo Solon etc.. qui ont expliqué pourquoi se tenaient 1000 Cancun soit 1000 actions partout dans le monde ce mardi 7 décembre et pourquoi des milliers de manifestants partis à l’aube du centre de la ville de Cancun se rapprochaient peu à peu du centre de négociations officiel pour y organiser une assemblée des peuples. Cette vidéo retrace la journée :
Transformer notre modèle de développement
...qui se poursuit à l’extérieur avec l’arrivée de Pablo Solon
Formant un tout cohérent, ces initiatives ont montré que les véritables solutions sont moins dans les salons feutrés du Moon Palace que dans les revendications de ceux qui n’y ont pas accès. A ainsi été établie une assemblée alternative aux négociations officielles, ces dernières étant incapables de répondre de façon efficace, juste et soutenable au défi climatique. Y ont été énoncées des propositions concrètes qui s’inscrivent toutes dans l’esprit de l’accord des peuples de Cochabamba dans l’idée selon laquelle il n’est pas possible de régler la question climatique sans transformer profondément notre modèle de production et de développement : de véritables réductions d’émissions de GES des pays du Nord, la reconnaissance des droits des populations indigènes et paysannes dans la protection des forêts et le rejet du dispositif REDD actuellement en cours de négociation, l’arrêt de la marchandisation des ressources naturelles, le transfert hors marché de technologies propres et de financements conséquents vers les pays pauvres, la fin des traités de libre-échange agricoles détruisant l’agriculture paysanne et les marchés locaux, la relocalisation des activités de production, un moratoire sur l’exploitation de nouveaux champs pétrolifères, etc...
Moralès, seul à l’écoute, dénote
Malgré la présence de dizaines de médias sans doute à l’étroit dans des négociations figées, aucun délégué officiel des pays du Nord n’a daigné rencontrer les représentants de ces organisations de la société civile. Une nouvelle occasion de perdue. C’est d’ailleurs une situation qui ne devrait pas s’arranger avec l’éviction de cette vingtaine de représentants d’organisations de la société civile et l’arrivée des ministres et des chefs d’Etat. Seul Evo Morales, président de la Bolivie, a annoncé vouloir sortir du Moon Palace pour rencontrer la Via Campesina et ses alliés. Ce sera ce jeudi 9 décembre en début d’après-midi.
Cancun : faudra-t-il aller au clash ?
07 Décembre 2010
Avant Cancun, le discours officiel était « finies les grandes ambitions et la recherche d’un accord global, place aux petits pas et aux avancées sectorielles » (financements, déforestation, etc...). L’annonce fracassante du Japon affirmant qu’il ne souhaitait pas de deuxième période d’engagements dans le cadre du protocole de Kyoto a changé la donne.
Le Japon a depuis été rejoint par la Russie et le Canada, et conforté par des déclarations plus qu’ambiguës de l’Union Européenne dont on ne sait pas vraiment ce qu’elle veut, ou par celles des Etats-Unis. Le débat s’est ainsi retourné et la stratégie de Christiana Figueres a volé en éclat. A la fois les pays du Sud - notamment la Bolivie et ses alliés -, et la société civile ont transformé ces déclarations en casus belli. Seul dispositif légalement contraignant - bien qu’impuissant à sanctionner les pays qui ne respectent pas leurs engagements - le protocole de Kyoto reste pour beaucoup un dispositif à préserver et prolonger.
Coup d’éclat
Cette deuxième période d’engagements, prévue par les textes signés par ces mêmes pays - hors Etats-Unis - est donc en passe de devenir la pièce incontournable des négociations. Le reste (financements, déforestation, etc...) n’est pas pour autant secondaire. Mais la « progression » de ces dossiers dépend désormais étroitement de l’issue du protocole de Kyoto. La très grande majeure partie des pays en développement, notamment les pays africains, exigent que les pays dits « développés » s’engagent sur une nouvelle période après 2012. Pour l’instant sans succès. Et sans prendre pour le moment la seule décision à-même de changer la donne : « clasher », réaliser un coup d’éclat en quittant la table des négociations, ne serait-ce que momentanément. A la veille de l’arrivée des ministres, aucun pays n’a encore pris cette responsabilité. Cela permettrait pourtant de dissiper le brouillard autour de ces négociations.
Le niveau des émissions ? C’est pas par ici...
Ce renversement de débat étonnant ne doit pourtant pas faire illusion. Si le protocole de Kyoto est au centre des débats, il masque l’essentiel : le niveau de réduction d’émissions de Gaz à Effets de Serre (GES) à atteindre à court et long terme. Puisque les pseudo-engagements de Copenhague ne sont pas à la hauteur des exigences de réduction fixées par la science et que les émissions mondiales sont reparties à la hausse en 2010 (+ 3 % selon toute vraisemblance), la logique aurait voulu que le débat porte sur le niveau de réduction des émissions pour 2020 et 2050 ainsi que sur les dispositifs contraignants à mettre en œuvre. Rien de tout cela. Ainsi, après une semaine à Cancun, et aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun des débats ne porte sur le niveau de réduction de GES. Par contre, de nombreux acteurs s’attachent à promouvoir les fausses solutions : la sauvegarde et l’extension des marchés carbone, l’extension du rôle de la Banque Mondiale, un dispositif REDD sans reconnaissance des droits des populations indigènes, l’intégration de la séquestration du carbone dans les mécanismes de développement propre, le recyclage de l’aide au développement. Le constat « il n’y a rien de bon à attendre de Cancun, mais beaucoup de choses mauvaises », établi par cette vidéo, n’en est que plus prégnant.
Retour à la réalité
Sortir des lieux officiels des négociations, c’est revenir à la réalité. Loin du Moon Palace, ces salons, piscines et transats sur sable blanc, deux espaces de la société civile ont ouvert ce week-end. D’un côté, l’espace mexicain - Dialogue climatique. D’autre part, avec l’arrivée des caravanes de la Via Campesina et de l’Assemblée des affectés environnementaux du Mexique (voir ici), ce sont des populations directement touchées par le changement climatique qui ont investi le complexe sportif Jacinto Canek, au cœur de la ville de Cancun. Le forum « pour la vie, la justice environnementale et sociale » associe compte-rendus des caravanes, débats thématiques et actions de rue. Ainsi en est-il de la manifestation de ce dimanche visant à commémorer la mémoire de Lee, ce paysan sud-coréen qui s’était immolé par le feu lors du sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce en 2003. Pour l’OMC, l’objectif de la Via Campesina et autres mouvements internationaux était de bloquer les négociations et/ou, en tout cas, en sortir des éléments essentiels comme l’agriculture.
Reclaim Power bis
A l’inverse de l’OMC, dans les négociations climat, alors que les dérèglements climatiques s’accroissent et font peser de grandes incertitudes sur les populations les plus vulnérables (voir cette interview), il s’agit d’obtenir un accord à la hauteur des enjeux, juste et contraignant. En ce sens, et parce que beaucoup n’ont aucune illusion sur le résultat s’il n’y a pas un choc exogène chamboulant les négociations de fond en comble, la Via Campesina et ses alliés initieront ce mardi une manifestation qui se rapprochera autant que possible du lieu officiel de négociation. Ce mardi 7 décembre est la journée de mobilisation internationale et des 1000 Cancun. Au plus près du lieu officiel des négociations, dans une perspective similaire à l’action Reclaim the Power organisée le 16 décembre dernier à Copenhague, une assemblée des peuples sera alors organisée, qui sera rejointe par des délégués et observateurs de l’intérieur des négociations. Pour mettre les négociations sur les rails de la justice climatique et de la justice sociale ?
Maxime Combes, membre de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
« Deux mondes qui ne se comprennent pas »
03 Décembre 2010
Ce vendredi, plus de 500 personnes engagées depuis près de 5 jours dans des caravanes parties de San Louis Potosi, Guadalajara, Acapulco, Oaxaca et du Chiapas (voir ici) vont arriver à Cancun. Organisées par la Via Campesina, l’Assemblée des Affectés Environnementaux (ANAA), le Syndicat mexicain des Électriciens (SME) et le Mouvement de Libération Nationale, les caravanes se sont arrêtées mardi à Mexico pour une manifestation et un forum. Occasion de poser les bases de ce que seront les revendications à Cancun de ces mouvements dont la majorité représente des populations directement victimes de désastres environnementaux. Lors de la manifestation, Alberto Gomez de la Via Campesina et Graciela Gonzales de l’ANAA ont planté le décor :
Lors du forum, un peu plus tôt le matin, Paul Nicholson, figure historique du mouvement La Via Campesina fixe les contours du débat : « Nous vivons une crise alimentaire, climatique, financière, nous allons de crise en crise, qui au final sont une et même crise, une crise de modèle de développement, une crise du modèle néollibéral ». La conséquence ? « Nous avons besoin d’un changement systémique, pas de passer à la voiture électrique » ! Pour cela, il préconise de privilégier « l’agriculture paysanne à l’agrobusiness d’exportation, car elle peut refroidir la planète » et d’assurer une « relocalisation des productions », seule à même de participer à « un nouveau modèle énergétique ».
Andrès Barella de l’ANAA pointera les contradictions des gouvernements qui pour la majorité continuent à « mener des politiques qui détruisent la planète, les fleuves, les espèces, les aquifères, les forêts... » sans « changer quoi que ce soit ». Et au contraire, pour faire face au changement climatique, « ils prônent les OGM et ce faisant détruisent les 30000 variétés de mais que comptent le Mexique ». Et par dessus-tout, « ils cherchent à privatiser encore plus les ressources naturelles, l’eau, l’air, les forêts... ». L’attaque est claire. Il s’agit de refuser l’extension des marchés carbone et des mécanismes qui permettent aux multinationales ou au pays du Nord de ne pas réduire leurs émissions domestiques en investissant, un peu, dans des projets de réduction d’émissions ou de supposées émissions évitées, au Sud. Pour Fernando Mesque du SME, Cancun ne fait pas mystère : « il y aura des accords sur tout ce qui génère des bénéfices dans les gouvernements capitalistes (marché carbone, REDD...) et par contre rien, bien sûr, sur ce qui bénéficie aux peuples ».
REDD (dispositif de Réduction des Emissions dues à la déforestation et la dégradation des forêts), est l’objet de toute les attentions. Pour Ana Deita du Centre d’Etudes pour le Changement dans les Campagnes au Mexique (CECCAM), tout en précisant que « nous n’allons arriver à aucun accord à Cancun » s’inquiète que ce dispositif, s’il devait être mis en place, puisse « affecter les paysans et populations indigènes du monde entier ». Officiellement présenté comme devant permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de la déforestation et de la dégradation des forêts, notamment dans les pays du Sud, REDD s’appuie sur un principe contestable visant à financer les initiatives qui « évitent des émissions » liées à la déforestation. Roque Pedace, réviseur du GIEC se rappelle comment ce principe fut critiqué à ses débuts, comme en 2001 à Marrakech (voir ici). Aujourd’hui la tonne de carbone la moins chère, « la déforestation évitée » pourrait permettre aux multinationales du Nord de financer des projets au Sud pour éviter de réduire leurs propres émissions. Pour Ana Deita, il y a plusieurs risques : « la conversion en marchandise du carbone et de l’air qui sont pourtant des biens communs » ; « les pays industrialisés ne vont pas réduire leurs émissions » ; « le risque que soit introduit les plantations nouvelles » ; « une possible articulation aux marchés carbone ». Ces forêts sont donc considérées comme des seuls puits à carbone. « Or la majorité des peuples indigènes et paysans vivent dans les forêts mais ceux ci n’ont pas de droit sur ces terres ». Cela a des implications très concrètes poursuit-elle : « Aujourd’hui plus de 50 % des zones forestières du Mexique sont aux communautés locales, ce qui est une exception ». Aujourd’hui, « le Mexique tente de changer la loi agraire pour que le gouvernement puisse être candidat à REDD ». Or « la terre est un bien commun, la terre est notre, elle ne se vend pas », affirmera-t-elle avec force.
Comme le notera Larry Lohmann, finalement, « ces deux mondes, d’un côté les négociateurs officiels et de l’autre les affectés environnementaux, se regardent mais ne se comprennent pas ». Les premiers disent aux seconds « ce n’est pas notre rôle de pousser pour un changement structurel, puisque c’est de créer un nouveau marché qui génère des bénéfices pour les banques ». Et de l’autre, on rétorque que : « tout ne se vend pas ». Pour Yvonne Yanès, d’Accion Ecologica, les alternatives sont ailleurs en rappelant que « laisser le pétrole dans le sol est la seule manière de combattre le changement climatique ». Elle propose de prendre exemple sur « la Bolivie visant à faire reconnaître les droits de la Terre Mère », l’initiative de mouvements équatoriens soutenus par Vandana Shiva et Nnimmo Bassey pour que « BP rembourse les dommages causés dans le Golfe du Mexique », le projet Yasuni ITT en Equateur ou la reconnaissance par ce dernier des « droits de la nature comme bien de l’humanité » dans sa Constitution de 2008.
Cancun ? Des caravanes dénonçant « la duplicité des gouvernements »
02 Décembre 2010
Il n’est pas rare de lire que les populations affectées par le changement climatique ou les conséquences des désastres environnementaux attendent beaucoup des sommets comme celui qui vient de s’ouvrir à Cancun pour résoudre les défis auxquels ils sont confrontés. Présenté comme le sommet de la dernière chance pour sauver la planète, Copenhague n’avait-il pas créé l’illusion qu’il était possible, par un accord entre les pays de la planète, de résoudre la crise climatique ? Cancun, dont plus personne n’espère un accord global, contraignant, juste et à la hauteur des enjeux, suscite-t-il des attentes particulières ?
Caravanes pour la vie, justice environnementale et sociale
Caravanes pour la vie, justice environnementale et sociale© Alter-Echos
Notre participation aux caravanes organisées par la Via Campesina, l’Assemblée des Affectés Environnementaux (ANAA), le Syndicat mexicain des Électriciens et le Mouvement de Libération Nationale, ont permis de se faire une idée plus précise. L’objectif de ces caravanes : « visibiliser » quelques-uns des lieux et des communautés fortement affectés sur le plan environnemental au Mexique. A la question « qu’attendez-vous de Cancun », rares sont ceux qui vous répondent qu’ils attendent que « les gouvernements passent à l’action ». Ils n’ont aucune illusion. A l’image des spécialistes du climat, militants d’organisations sociales et environnementales, intellectuels que nous avons interrogés au cours des 4 derniers mois, dans le cadre du projet Echo des Alternatives comme le montre cette vidéo.
« Nous allons à Cancun pour dire vraiment ce que sont nos gouvernements, pour montrer les ravages de leurs politiques et dire que nous ne sommes pas convaincus par leurs mesures d’adaptation » nous a confié Machuy Zamouripa de la communauté Magdalena Contreras qui se bat contre un projet d’autoroutes pour desservir les quartiers riches de Mexico au détriment de leur village et de la forêt avoisinante. Selon Christina Barros de cette même communauté, « les gouvernements ont décidé de ne pas s’occuper des peuples, seulement du capital et du pouvoir économique ». « Ils n’ont jamais eu pour objectif de préserver un environnement sain ou nos droits, dont celui de vivre là où nous sommes », poursuit Machuy.
Cette réaction est-elle une exception ? Pas le moins du monde. Sur le parcours des trois caravanes parties de San louis Potosi, Guadalajara et Acapulco, ce sont des dizaines d’exemples de communautés affectées par les mono-cultures d’exportation, les industries destinées aux marchés du Nord, aux négligences et décisions arbitraires des autorités ne tenant aucun compte des communautés locales. Ces caravanes démasquent les contradictions du gouvernement mexicain qui s’est présenté comme « vert » à la veille de Cancun. Mais pas seulement. Elles démasquent également le caractère absolument pernicieux des politiques libérales imposées par les pays du Nord. L’Anaa rappelle ainsi que le Mexique est sans doute le pays qui a signé le plus d’accords de libre-échange de la planète, plus de 40. Et que depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA), le 1er janvier 1994, le Mexique est devenu « un des pays connaissant les plus hauts niveaux de dévastation environnementale de la planète, permise par la dérégulation produite par ces accords ».
Il suffit de quelques heures passées à El Salto (Etat de Jalisca) ou à Toluca (Etat de Mexico) pour appréhender les conséquences concrètes de ces dérégulations profitant aux multinationales du Nord. Dans les deux cas, d’immenses zones industrielles, facilitées par des politiques fiscales avantageuses et une absence totale de régulation environnementale, rejettent leurs effluents contaminés directement dans les rivières environnantes. A El Salto, tirant son nom d’une jadis magnifique cascade de 40 mètres de long et 15 mètres de haut, il est devenu impossible de se baigner, au risque d’y perdre la vie, comme pour le jeune Miguel Angel qui s’est empoisonné à l’arsenic en janvier 2008. Au pied de la cascade, dont le débit est beaucoup plus faible et l’odeur fétide, semblent se détacher des bouts de banquise. En réalité ce sont des mousses extrêmement polluantes qui poursuivent leur route dévastatrice sur l’aval de la rivière. En amont, ce sont des entreprises pharmaceutiques multinationales, des entreprises de production automobile mais également des entreprises d’assemblage informatique qui profitent à la fois des bas salaires et d’une totale impunité environnementale pour vendre leurs produits au meilleurs prix sur les marchés des pays dits « développés ».
Ces exemples sont monnaie courante. L’Anaa recense 63 cas de graves pollution et de destruction des ressources naturelles. Le Mexique, comme d’autres pays, est devenu un paradis pour multinationales sans aucune considération sociale ou environnementale. Si la caravane n°1 a pu se rendre compte des conséquences dévastatrices des mines à ciel ouvert lors de son passage à San Louis Potosi (Cerro San Pedro), 70 % du territoire mexicain est aujourd’hui livré aux prospections minières des multinationales. A Coatzacoalcos (Etat de Véracruz), la caravane partie ce 1er décembre de Mexico City, avec plus de 500 participants, y rencontrera des populations affectées par l’industrie pétrolière qui a contaminé l’eau, l’air et le sol, suscitant des taux de cancer parmi les plus élevés de la planète.
Que fait le gouvernement mexicain ? Pas grand chose. Qu’attendent les populations affectées de Cancun ? Absolument rien, la plupart du temps résignées par des années de luttes et d’interpellations des pouvoirs publics sans obtenir de réaction. Ils pratiquent ce que Enrique Encizo Riviera d’El Salto appelle « l’environnementalisme des pauvres, un environnementalisme par obligation, une lutte de survie pour la vie de nos enfants ». « Nous sommes les témoins et les victimes des conséquences de leurs activités, mais personne ne nous écoute », poursuit-il. Pour Graciella Gonzales de l’Anaa, « seuls les gens peuvent résoudre ces problèmes, par leurs luttes et leurs organisations pour construire une alternative ». Cancun ? « Une opportunité pour mettre en lumière la duplicité des gouvernements, et montrer qu’on ne pourra pas préserver l’environnement sans changer de système ».